J'ai plutôt apprécié ce livre. Qui est un bon mix entre théorie haut niveau, exemples cliniques et explication d'un parcours personnel de thérapeute. On a là quelque chose de complet qui tient la route. Il s'adresse, selon moi, essentiellement à des professionnels, thérapeutes et caetera.
D'emblée, j'ai été attiré par le titre « Les imaginations conjuguées », dans ma pratique personnelle je ne cesse de constater à quel point l'entrelacement des imaginaires entre patient et thérapeute est d'une grande fécondité et très amusant, et dans la foulée un énorme levier thérapeutique.
Je ne peux pas m'empêcher de penser que les idées dans ce livre rejoignent très fort celles touchant à l'hypnose conversationnelle. Car il s'agit bien de cela, libérer les mots, le langage, souvent bloqué, libérer d'autres voix, d'autres voies dans un discours qui structure, définit, enferme ou qui restructure, redéfinit et libère. Des traumas, des souffrances de maladie, chronique ou pas. Sortir d'un discours sclérosant qui vient de plus loin... en le réinterrogeant, lui et ses auteurs...
Ecrire à ses agresseurs, à ses parents, et imaginer ce qu'ils nous diraient en retour, tenter de lire et écrire l'histoire d'une autre façon, par un autre biais, qui complète celle-s qu'on a déjà, pour ne plus pouvoir revivre sans arrêt les choses en souffrant.
Je ne vais pas dévoiler les diverses techniques : l'équipe réfléchissante, l'utilisation du miroir sans tain, la lettre en retour, et bien d'autres. Pas tout à fait neuves et originales mais bien utilisées... Hélas, ces choses demandent une vraie structure et beaucoup de moyens, j'ai peine à penser qu'on puisse réunir facilement cela dans plein de services ou institutions...
Penn s'inscrit dans le constructionnisme social, celui de Kenneth Gergen et autres. Avec un début psychanalytique et un détour par la sysgtémique de
Selvini-Palazzoli. Un parcours qui rejoint des pontes comme Lynn Hoffmann, Tom Andersen... Les idées croisent celles de l'EMDR, des théories du trauma de van der Kolk...
L'auteure a comme dada les familles dont l'un des individus souffre d'une maladie chronique,
« Les présentes réflexions sur la façon de gérer la maladie chronique peuvent servir de protocole de travail aux professionnels lors d'interventions précoces en milieu familial.
Pour la (les) personne(s) en traitement, il est important de chercher si une maladie semblable s'est déclarée dans les générations précédentes et d'en découvrir l'histoire ou la nature. le génogramme peut résumer l'histoire de façon concise. Les modèles qui se transmettent de génération en génération y apparaissent rapidement. Les structures de coalitions caractéristiques créatrices du sauveur par excellence dans la génération actuelle, comme "je m'occupe de ma mère depuis qu'elle a eu une attaque", etc. doivent être soulignées. »
Concernant le travail sur les traumas et l'intervention en groupe, l'auteure eu nous dit :
« Nan nous a dit que ses flashbacks étaient précédés d'une sort d'aura : une sensation physique vague souvent accompagnée de nausées, de verges et de perte de la notion du temps. La peur restait l'émotion la plus forte. Nan avait fait partie d'un groupe d'aide aux personnes victimes d'agression sexuelle. Bien que ces groupes soient utiles en certains cas, ils ne parviennent selon moi que rarement à restructurer l'histoire intime de façon à pouvoir seulement la partager.
Rosemary Masters (2000), une thérapeute de notre groupe, a fait remarquer que nous existons habituellement dans des états fluctuants du soi. Nous pouvons changer rapidement de notre façon de penser selon les exigences que nous dictent notre monde extérieur ou intérieur, tout en restant cohérent avec nous-mêmes et avec les autres. Dans l'agitation extrême qu'induit la maladie ou le traumatisme, ces états se figent et donnent naissance à des modèles répétitifs. Nous pensons (avec d'autres) que le traumatisme antérieur reste fixé quelque part dans une région du cerveau, une zone inaccessible au langage, qui contient un puissant matériel émotionnel.
Penn cherche à vraiment préciser ce qu'elle entend par langage, conversation, elle circonscrit bien les concepts qu'elle utilise. Je ne sais pas si ça a réellement un intérêt pratique mais si ça l'a aidé elle à se comprendre et à appréhender plus facilement son travail... Autre distinction d'importance : empathie et compassion.
Je pense que ce livre est un de plus dans la bonne vague de thérapie ouvertes, humaines, intégratives, qui peuvent s'insérer, s'implémenter, s'ajouter à plein d'autres, se combiner, et je pense aussi qu'on peut les muter, les corrompre un peu, pour autant qu'on sente et s'entende sur ce qu'on fait. Quand je lis ceci : « ... l'usage de la lettre en retour est un modèle qui s'applique particulièrement bien aux familles confrontées à une maladie chronique. Cette voix est unique, c'est celle du client qui se répond à lui-même en prenant la voix d'un membre important de la famille, comme s'il répondait avec sa propre voix. Nous avons appris que cette expérience fait surgir les éléments manquants de sa personnalité. », je ne peux m'empêcher d'y voir des traits communs avec les Constellations familiales, par exemple. Autre exemple : la Technique du futur, du plan d'avenir : « Utiliser le plant d'avenir avec la famille la met en méta-position par rapport à ses problèmes et augmente le potentiel évolutif du système. Ce qui écarte l'idée de la prédétermination et permet d'aborder un modèle de changement spécifique à chaque famille. » Propos qui à on sens rejoint les thérapies solutionnistes. Les puristes ne seront évidemment pas d'accord avec moi. Tant pis.
Des poèmes, écrits par l'auteure, qui se placent en fin de chapitre n'ajoutent pas pour moi de plus-value. Je ne les a pas apprécié particulièrement, du coup a contrario ça déforce la place de Penn dans mon coeur et son impact sur moi en ressort diminué. Dommage...
Pour conclure, je dirais que ce livre peut vous permettre, thérapeute que vous êtes, encore de vous affiner, d'oser aborder des situations ardues, qui paraissent très bloquées, en douceur, en maîtrise et en s'amusant, en s'amusant beaucoup, pour autant que votre imaginaire, et votre imagination peuvent le concevoir. Ainsi votre imagination se conjuguera avec celles de vos patients pour de beaux moments !