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Citations sur Cahiers Georges Perec, n°2 : W ou Le souvenir d'enfance (84)

Il y a deux mondes, celui des Maîtres et celui des esclaves. Les Maîtres sont inaccessibles et les esclaves s’entre-déchirent. Mais même cela, l’Athlète W ne le sait pas. Il préfère croire à son Étoile. Il attend que la chance lui sourit. Un jour, les Dieux seront avec lui, il sortira le bon numéro, il sera celui que le hasard élira pour amener jusqu’au brûloir central la Flamme olympique, ce qui, lui donnant le grade de Photophore officiel, le dispensera à jamais de toute corvée, lui assurera, en principe, une protection permanente. Et il semble bien que toute son énergie soit consacrée à cette seule attente, à ce seul espoir d’un miracle misérable qui lui permettra d’échapper aux coups, au fouet, à l’humiliation, à la peur. L’un des traits ultimes de la société W est que l’on y interroge sans cesse le destin : avec de la mie de pain longtemps pétrie, les Sportifs se fabriquent des osselets, des petits dés. Ils interprètent le passage des oiseaux, la forme des nuages, des flaques, la chute des feuilles. Ils collectionnent des talismans : une pointe de la chaussure d’un Champion Olympique, un ongle de pendu. Des jeux de cartes ou de tarots circulent dans les chambrées : la chance décide du partage des paillasses, des rations et des corvées. Tout un système de paris clandestins, que l’Administration contrôle en sous-main par l’intermédiaire de ses petits officiels, accompagne les Compétitions. Celui qui donne dans l’ordre, les numéros matricules des trois premiers d’une Épreuve olympique a droit à tous leurs privilèges ; celui qui les donne dans le désordre est invité à partager leur repas de triomphe.
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J'écris: j'écris parce que nous avons vécu ensemble, parce que j'ai été un parmi eux, ombre au milieu de leurs ombres, corps près de leurs corps; j'écris parce qu'ils ont laissé en moi leur marque indélébile et que la trace en est l'écriture: leur souvenir est mort à l'écriture; l'écriture est le souvenir de leur mort et l'affirmation de ma vie.
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Un lecteur attentif comprendra sans doute qu'il ressort de ce qui précède, que dans le témoignage que je m'apprête à faire, je fus témoin, et non acteur. Je ne suis pas le héros de mon histoire. Je n'en suis pas non plus exactement le chantre.
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Je n’ai pas de souvenirs d’enfance  : je posais cette affirmation avec assurance, avec presque une sorte de défi. L’on n’avait pas à m’interroger sur cette question. Elle n’était pas inscrite à mon programme. J’en étais dispensé  : une autre histoire, la Grande, l’Histoire avec sa grande hache, avait déjà répondu à ma place  : la guerre, les camps.
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C'est de cette époque que datent les premières lectures dont je me souvienne. Couché à plat ventre sur mon lit, je dévorais les livres que mon cousin Henri me donnait à lire. (...) Le troisième livre était Vingt ans après, dont mon souvenir exagère à l'excès l'impression qu'il me fit, peut-être parce que c'est le seul de ces trois livres que j'ai relu depuis et qu'il m'arrive encore aujourd'hui de relire : il me semble que je connaissais ce livre par coeur et que j'en avais assimilé tellement de détails que le relire consistait seulement à vérifier qu'ils étaient bien à leur place : les coins de vermeil de la table de Mazarin, la lettre de Porthos restée depuis quinze ans dans la poche d'un vieux justaucorps de d'Artagnan, la tétragone d'Aramis en son couvent, la trousse à outils de Grimaud grâce à laquelle on découvre que les tonneaux ne sont pas pleins de bière mais de poudre, le papier d'Arménie que d'Artagnan fait brûler dans l'oreille de son cheval, la manière dont Porthos, qui a encore un bon poignet (gros, je crois bien, comme une côtelette de mouton), transforme des pincettes de cheminée en tire-bouchon, le livre d'images que regarde le jeune Louis XIV lorsque d'Artagnan vient le chercher pour lui faire quitter Paris, Planchet réfugié chez la logeuse de d'Artagnan et parlant flamand pour faire croire qu'il est son frère, le paysan charriant du bois et indiquant à d'Artagnan, dans un français impeccable, la direction du château de La Fère, l'inflexible haine de Mordaunt demandant à Cromwell le droit de remplacer le bourreau enlevé par les Mousquetaires, et cent autres épisodes, pans entiers de l'histoire ou simples tournures de phrase dont il me semble, non seulement que je les ai toujours connus, mais plus encore, à la limite, qu'ils m'ont presque servi d'histoire : source d'une mémoire inépuisable, d'un ressassement, d'une certitude : les mots étaient à leur place, les livres racontaient des histoires ; on pouvait suivre ; on pouvait relire, et, relisant, retrouver, magnifiée par la certitude qu'on avait de les retrouver, l'impression qu'on avait d'abord éprouvée : ce plaisir ne s'est jamais tari : je lis peu, mais je relis sans cesse, Flaubert et Jules Verne, Roussel et Kafka, Leiris et Queneau ; je relis les livres que j'aime et j'aime les livres que je relis, et chaque fois avec la même jouissance, que je relise vingt pages, trois chapitres ou le livre entier : celle d'une complicité, d'une connivence, ou plus encore, au-delà, celle d'une parenté enfin retrouvée.
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[...] Les livres racontaient des histoires; on pouvait suivre; on pouvait relire, et, relisant, retrouver, magnifiée par la certitude qu'on avait de les retrouver, l'impression qu'on avait d'abord éprouvée: ce plaisir qui ne s'est jamais tari: je lis peu mais je relis sans cesse, Flaubert et Jules Verne, Roussel et Kafka, Leiris et Queneau; je relis les livres que j'aime et j'aime les livres que je relis, et chaque fois avec la même jouissance, que je relise vingt pages, trois chapitres ou le livre entier: celle d'une complicité, d'une connivence, ou plus encore, au-delà, celle d'une parenté enfin retrouvée.
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Les Organisateurs, d'abord étonnés par la faiblesse véritablement déplorable des résultats obtenus lors des décathlons et des pentathlons, faillirent un instant supprimer ces épreuves. Ils les maintinrent , finalement, mais en les adaptant d'une façon tout à fait originale à la médiocrité des concurrents : ils en firent des épreuves pour rire, des fausses épreuves destinées à délasser le public de la tension extrêmement forte qui règne pendant la plupart des compétitions : c'est déguisés en clowns, grimés d'une manière outrancière, que les concurrents du pentathlon et du décathlon pénètrent sur le stade et chaque épreuve est prétexte à dérision : le 200 mètres se court à cloche-pied, le 1 500 mètres est une course en sac, la planche d'appel du saut en longueur est souvent dangereusement savonnée, etc. La victoire dans ces épreuves requiert certes quelques aptitudes sportives, mais surtout des qualités d'acteur, un certain sens du mime, de la parodie ou du grotesque. Un novice faiseur de grimaces, ou affligé de tics, ou légèrement handicapé, s'il est par exemple rachitique, ou s'il boite, ou s'il traîne un peu la patte, ou s'il présente quelque tendance à l'obésité, ou s'il est au contraire d'une maigreur extrême, ou s'il est atteint d'un fort strabisme, risquera fort - mais l'on court souvent des risques encore plus grands que d'être livré aux facéties d'un public hilare - d'être affecté à l'équipe du pentathlon ou du décathlon.
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Il y a cela et c'est tout. Il y a les compétitions tous les jours, les Victoires ou les défaites.Il faut se battre pour vivre. Il n'y a pas d'autre choix. Il n'existe aucune alternative. Il n'est pas possible de se boucher les yeux, il n'est pas possible de refuser. Il n'y a ni recours, ni pitié, ni salut à attendre de personne. Il n'y a même pas à espérer que le temps arrangera cela. Il y a cela, il y a ce qu'il a vu, et parfois ce sera beaucoup moins terrible que ce qu'il a vu, et parfois ce sera beaucoup plus terrible que ce qu'il a vu. Mais où qu'il tourne les yeux, c'est cela qu'il verra et rien d'autre et c'est cela seul qui sera vrai.
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Les souvenirs sont des morceaux de vie arrachés au vide
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"Il y a deux mondes, celui des Maîtres et celui des esclaves. Les Maîtres sont inaccessibles et les esclaves s’entre-déchirent."
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