Citations sur Ellis Island (23)
mais Ellis Island n'est pas un lieu réservé aux juifs.
il appartient à tous ceux que l'intolérance et la misère ont chassé et chassent encore de la terre où ils ont grandi.
( p.67 _P.O.L poche, 2019 )
ils avaient renoncé å leur passé et à leur histoire,
ils avaient tout abandonné pour tenter de venir vivre ici une vie qu'on ne leur avait pas donné le droit de vivre dans leur pays natal
et ils étaient désormais en face de l'inexorable
ce que nous voyons aujourd’hui est une accumulation informe, vestige de transformations, de démolitions, de restaurations successives
entassements hétéroclites, amas de grilles, fragments d’échafaudages, tas des vieux projecteurs
mais ce n'était pas encore l'Amérique :
seulement un prolongement du bateau,
un débris de la vieille Europe,
où ceux qui étaient partis
n'étaient pas encore arrivés,
où ceux qui avaient tout quitté
n'avaient encore rien obtenu
Comment saisir ce qui n'est pas montré, ce qui n'a pas été photographié, archivé restauré, mis en scène ?
Comment retrouver ce qui était plat, banal, quotidien, ce qui était ordinaire, ce qui se passait tous les jours ?
Ellis Island est pour moi le lieu même de l’exil, c’est à dire le lieu de l’absence de lieu,le non-lieu, le nulle part … comme si la recherche de mon identité passait par l’appropriation de ce lieu-dépotoir…
On conseilla à un vieux Juif russe de se choisir un nom bien américain que les autorités d’état civil n’auraient pas de mal à transcrire. Il demanda conseil à un employé de la salle des bagages qui lui proposera Rockefeller.
Le vieux Juif répéta plusieurs fois de suite Rockefeller, Rockefeller pour être sûr de ne pas l’oublier. Mais lorsque, plusieurs heures plus tard, l’officier d’état civil lui demanda son nom, il l’avait oublié et répondit, en yiddish : Schon vergessen (j’ai déjà oublié), et c’est ainsi qu’il fut inscrit sous le nom bien américain de John Ferguson.
Ce que moi, Georges Perec, je suis venu questionner ici, c'est l'errance, la dispersion, la diaspora.
Ellis Island est pour moi le lieu même de l'exil, c'est à dire, le lieu de l'absence de lieu, le non-lieu, le nulle part.
C'est un petit îlot de quatorze hectares, à quelques centaines de mètres de la pointe de Manhattan.
les indiens l'appelaient l'île aux Mouettes,
et les hollandais l'île aux huîtres.
On conseilla à un vieux juif russe de se choisir un nom bien américain que les autorités d'état civil n'auraient pas de mal à transcrire. Il demanda conseil à un employé de la salle des bagages qui lui proposa Rockefeller. Le vieux juif répéta plusieurs fois de suite Rockefeller, Rockefeller pour être sûr de ne pas l'oublier. Mais lorsque, plusieurs heures plus tard, l'officier d'état civil lui demanda son nom, il l'avait oublié et répondit, en yiddish : Schon vergessen (j'ai déjà oublié), et c'est ainsi qu'il fut inscrit sous le nom bien américain de John Fergusson.
ne pas dire seulement : seize millions d'émigrants sont passés en trente ans par Ellis Island
mais tenter de se représenter
ce que furent des seize millions d'histoires individuelles, ces seize millions d'histoires identiques et différentes de ces hommes, de ces femmes et de ces enfants chassés de leur terre natale par la famine ou la misère, l'oppression politique, raciale ou religieuse, et quittant tout, leur village, leur famille, leurs amis, mettant des mois et des années à rassembler l'argent nécessaire au voyage...
...il ne s'agit pas de s'apitoyer mais de comprendre (pages 52-53)