L'art de la photographie offre un beau symbole. On "prend" le paysage, ou le phénomène ou le visage. Et l'on développe. Mais ce qui a eu besoin de lumière, d'exposition, ne pourra se "rendre" que dans l'obscurité
L'obsession de la mort enlève la vie comme une lame de fond. Reste l'homme, qui attrape le torticolis de l'attente
Oisiveté mère de tous les vices et fille de toutes les vertus.
Non seulement je n'ai pas besoin de voir les êtres que j'aime pour les aimer: j'ai besoin de ne pas les voir. Mais continuent-ils à m'aimer? Alors on se revoit.
Le meurtre, ou l'accident, donnent un sens au passé ; un sens qu'il n'avait et ne pouvait pas avoir. On ne peut pas vivre si l'on n'attend pas un événement qui va donner au geste présent une signification totale qu'il est incapable de rendre sur le moment. L'inspiration n'est pas autre chose que cet éclairage privilégié d'un lieu apparemment sans mystère. Autrement dit, vivre, c'est espérer vivre, c'est attendre. S'attendre à vivre. On vit pour vivre. On est forcé d'être là, comme un esclave, pour qu'un jour peut-être se déclare la présence d'un conquérant. Vivre, c'est rager, c'est faire sans cesse des enfants sans savoir si le sperme a porté au bon endroit.
(P44)
Certaines pensées, ou sensations, se doivent de rester personnelles, cachée, pour garder leur caractère de cynisme ou de vérité. Un ami qui m'annonce qu'il va se marier parce qu'il n'a pas d'argent et que sa future femme en regorge, je ne lui en veux pas de penser cela. Ce sont ses affaires. Mais il me dégoûte de m'en faire part.
(P36)
Nous manquons de témoin et qui est pur le matin, tel qu'il le souhaite et qu'on le souhaite, ruine cette pauvreté le soir par dégoût d'être quoi que ce soit sous le soleil et sous la lune
Quand on me demande si j'aime la poésie, je ne réponds pas. Car la poésie n'est pas aimable. Je comprends de moins en moins d'ailleurs ce qu'on entend par divertissement. Le théâtre, par exemple. On me dit que c'est distrayant. Je ne trouve pas. Je m'y ennuie quand il est proposé à ma seule distraction. J'y suffoque quand il touche en moi les cordes raides. Où est le divertissement ? Toute grande oeuvre nous ramène à nos problèmes essentiels, qui sont simple comme bonjour, chaque matin nouveau se chargeant de les remettre à neuf, comme si jamais on ne les avait poussés à l'évanouissement définitif
Il faisait d'elle ce qu'elle voulait
Une maxime se travaille, se pense, profite de l'homme, est civilisée. Un mot la fait surgir. Un contact. Elle est court-circuit, mais les plombs sont réparables. L'aphorisme se passe de l'homme. Se fait et défait tout seul. Méprise. Il est le signalement le plus fier de l'indifférence. Ne sollicite, ne flatte ni l'amour ni l'opinion. Rien de politique. Il dit - s'il disait quelque chose - à peu près ceci " Ce n'est pas la peine de raisonner, de déraisonner. Ce n'est pas la peine. Je viendrai quand ça me chantera, sans que ton bel esprit y soit pour rien. Ca dépend plutôt(...) d'un angle (...) qui fera s'ouvrir toute les écluses. Quand toutes tes portes ouvertes seront en parfaite file indienne, ce sera à moi de les enfoncer (...) Ne te fatigue pas. Et surtout ne fais pas attention à moi. Fais comme si je n'existais pas. Car je n'existe pas.(...) Si tu veux m'attraper, tu déclenches les cloches de se pays qui s'appelle Folie. Va, et ne t'inquiète pas. Continue de penser que deux et deux font quatre puisque tu l'as trouvé, ou l'as appris. Sans croire m'intimider en proclamant que deux et deux font cinq. Ne te rends pas ridicule je t'en prie. N'essaie pas de me séduire. Courtise plutôt les femmes (...) et si jamais c'est par elles que tu deviens fou, ne fâche pas si tu entends derrière toi un grand éclat de rire