Rivages, peut-être en mal de bon nouveaux auteurs, est allé nous rechercher un auteur suédois (gage de qualité, sans doute..., d'autant qu'il est criminologue et profileur) et a entrepris de traduire des romans datant de 1978, ou presque. Dès lors, le lecteur se retrouve dans la position inconfortable de lire en 2016, des pages écrites en 1978... avec tout le décalage que cela implique et le fait que le thriller, le polar, le roman noir a beaucoup évolué depuis lors.
Le sujet... un braquage banal, est le point de départ à une réflexion sur la
police et sur la société suédoise, ce Welfare State que l'Europe entière enviait dans les années 70, une société qui semblait tenir le cap malgré les chocs pétroliers. Avec humour (un humour grinçant tenant davantage de l'ironie, du cynisme, voire du sarcasme, que de Starsky et Hutch),
Leif Persson présente une galerie de policiers aux prises avec le système.
Car, à mes yeux, le personnage central du livre, c'est la structure, le système. Qu'il s'agisse de la
police ou de la société, il y a au-dessus de ces hommes, désespérément faillibles, une sorte de chappe de plomb qui cadenasse tout. C'est noir... noir de noir, 90% de cacao... L'auteur dresse, en creux, un portrait sans concession de la société scandinave, où les choses ne sont pas ce qu'elles semblent. C'est un propos qui est connu maintenant. Mankell,
Nesbo... l'ont aussi asséné. Mais en 1978, c'était déroutant, à mon avis.
Au-delà de l'intrigue (qui n'est finalement qu'un prétexte),
Leif Persson joue avec le lecteur. Même s'il s'en défend en postface, il amène petit à petit des faits réels, ou réalistes, dans une intrigue qu'il positionne comme de la pure fiction.
Le policier a de la chance, c'est sa seule planche de salut... Surtout quand le criminel est dans ses propres rangs. C'est éminemment politisé comme propos. le policier doit être tenace, mordre et ne rien lâcher, mais cela ne suffit pas.
Les protagonistes finissent par trouver une piste, presque par hasard. Mais dans d'autres départements, on va considérer qu'il n'est pas bon que la vérité éclate. Il vaut mieux une
police qui a une réputation d'inefficacité qu'une
police dont on étalera la corruption...
Le point de vue pris par
Persson est original et fait en effet référence à
Sjöwall et
Wahlöö dans ce souci permanent du détail procédurier. le rythme est évidemment lent (du moins pendant 2/3 du livre). Car il fauttout mettre en place.
Le procédé qui consiste à placer en dabut de chaque chapitre des extraits de rapports ou de livres (réels ou fictifs) en relation avec le propos dudit chapitre est original. Cela éclaire le propos. Cela ajoute souvent une dimension humoristique à l'ensemble (qui, au premier degré, se révèle assez noir, je le répète).
Cela a évoqué en moi plusieurs affaires qui se sont déroulées en Belgique, la plus connue étant l'affaire Dutroux. Elle a mis en lumière les errements et les erreurs de la
police en tant que système (surtout via la guerre que se livraient
police et gendarmerie à l'époque). La chance et une forme de persévérance dans le chef de quelques hommes a permis de sauver quelques jeunes filles, in extremis. le simulacre de commission parlementaire, dont les audiences étaient télévisées, a parachevé la débâcle de cette affaire.
Ces hommes, décrits par
Leif Persson, sont aux prises avec une réalité qui les dépassent sont attachants, touchants dans leur maladresse, humains face à un bloc de béton nommé système.