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Critique de ODP31


ODP31
04 septembre 2019
Les éditions Libretto possèdent le don de rappeler à l'ordre la postérité quand cette dernière, tête en l'air… du temps, abandonne l'oeuvre de certains auteurs importants à la poussière.
Ecrits il y quarante ans ou il y a un peu plus d'un siècle, je ne me lasse pas de découvrir les romans de Wilkie Collins, Vladimir Bartol, Max Aub, Erskine Childers, Robert Margerit ou Robert Penn Warren.
Leo Perutz, « le Kafka aventureux » selon Borges, appartient à cette confrérie prestigieuse dont il faut absolument momifier les mots sur du papier pour qu'ils traversent les siècles.
Né à Prague en 1882, de langue allemande, Leo Perutz s'est installé à Vienne. Blessé grièvement durant la première guerre mondiale, il a ensuite fui l'Anschluss en 1938 pour la Palestine. Il est revenu en Autriche en 1953 et y est mort quatre ans plus tard, dans un relatif anonymat.
le Cavalier Suédois, son chef d'oeuvre, écrit entre 1928 et 1936, est comme tous les grands romans, impossible à cadenasser dans un seul genre littéraire. Roman d'aventure, Roman historique, Roman d'amour, Roman fantastique, conte philosophique, manifeste politique contre les inégalités et l'hégémonisme. Une oeuvre "gigogne".
Le récit s'articule autour d'une imposture. Il nous transporte au début du XVIII ème siècle en Silésie, lorsque le jeune roi de Suède, Charles XII veut soumettre l'Europe Centrale et Orientale.
Dans les frimas de l'hiver et dans une campagne enneigée, un jeune noble, Christian von Tornefeld, parti pour rejoindre l'armée suédoise, en quête de gloire et de prestige, se réfugie dans un moulin pour se protéger du froid. Il est accompagné d'un voleur de grand chemin, plutôt de "petit sentier", surnommé Piège-à-poule. Les deux hommes ont en commun d'être pourchassés, l'un pour désertion, l'autre pour ses larcins.
Le moulin est hanté par son meunier, chasseur de têtes chargé d'alimenter les mines d'un Prince-Evêque, en forçats de travail et âmes égarées. L'offre ne fait pas rêver les deux fuyards quand on apprend que le Prince Evêque est surnommé « l'ambassadeur du diable » et qu'une légende raconte que son recruteur est un être maléfique, plus mort que vivant, qui se serait pendu quelques années plus tôt.
Profitant de la pédanterie et de la lâcheté du jeune noble, le voleur lui propose un pacte et les deux hommes échangent leur destin. Par couardise et naïveté, le jeune noble rejoint les forges de l'Evêché et Piège-à-poule endosse l'identité du noble Suédois.
Le roman suit les aventures du voleur qui va profiter de l'aubaine de cette noblesse inespérée. le « von » ouvre des perspectives. Pour faire fortune et venger son infortune, à la tête d'une poignée de brigands, il va multiplier les sacrilèges en pillant les églises, s'emparant d'objets du culte et de reliquaires.
Devenu riche, il va conquérir la jeune fille promise à Christian von Tornefeld et en tombera follement amoureux. Elle l'épouse, croyant avoir affaire au noble cousin.
Mais les beaux jours sont comptés et le Cavalier Suédois va être rattrapé par son passé.
Je vous rassure. Il ne s'agit pas du scénario d'un film de cape et d'épée avec Jean Marais.
Ici, les personnages ne sont pas binaires, il n'y a pas les gentils d'un côté et les méchants de l'autre. le voleur sans scrupule et plutôt détestable du début évolue en bon père de famille, prêt aux plus grands sacrifices. Il ne recherche aucune absolution mais il acquiert une noblesse de coeur digne du titre qu'il a usurpé.
Les questions de l'identité et du jeu des apparences sont au coeur de l'ouvrage. Hitchcock aurait adoré en faire un film, même sans blonde platine à l'affiche. Les histoires de doubles et d'usurpateurs ne manquent pas mais Leo Perutz échappe à la tentation du manichéisme. Sur le sujet, je trouve qu'il prolonge et approfondit à sa manière et de façon très subtile les questionnements de Stevenson dans « L'Etrange cas du docteur Jekyll et de M.Hyde ».
Si le récit est haletant, les passages les plus réussis à mes yeux sont ceux qui expriment l'amour unissant Le Cavalier suédois à sa petite fille. Ils sont d'une poésie incroyable pour un roman de ce genre et le petit soupçon de fantastique distillé avec parcimonie permet à l'auteur d'envelopper le récit d'un voile mystérieux qui ensorcelle le lecteur sans déshumaniser les personnages.

Ce roman ne fait que 200 pages mais ses mots pèseront dans ma mémoire .
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