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Voici typiquement le genre de lecture que je n'aurais pas faite sans babélio et ses lecteurs, je découvre également Léo Perutz avec plaisir.
Le cavalier suédois est une oeuvre qui tient du récit d'aventure, de la satire et du roman historique, le tout teinté de fantastique et conté dans un style agréable et très vivant, les pages se tournent pour ainsi dire toutes seules.
J'ai apprécié la note d'introduction qui nous parle de l'auteur ainsi que le prologue qui nous plonge idéalement dans l'ambiance.
J'ai apprécié aussi ces nombreuses notes de bas de pages indiquant "en français dans le texte", elles me font toujours sourire dans les éditions françaises (les seules que je sois capable de lire), elles témoignent aussi d'un temps où le français pouvait être une langue de référence, j'avoue que cela me procure un certain plaisir.
Il serait compliqué de parler du scénario sans dévoiler tout ou partie de l'intrigue qui en elle même n'est pas particulièrement originale, en passant je conseille d'éviter de lire la quatrième de couverture qui révèle d'emblée ce que l'on est supposé apprendre qu'aux deux tiers de la lecture...
L'histoire commence avec deux hommes frigorifiés et dans le plus grand dénuement, l'un est un voleur et l'autre un gentilhomme qui a déserté l'armée en plein conflit.
L'un est habitué à survivre quand l'autre croit encore que tout lui est dû, peut-on imaginer association plus improbable ?
j'ai beaucoup aimé cette lecture, aimé le rythme et le style ainsi que le scénario qui bien que prévisible est simplement bon.
Pour faire une analogie avec la musique et des airs souvent joués, je dirais qu'il s'agit d'une bonne interprétation sur un thème souvent évoqué.
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Les éditions Libretto possèdent le don de rappeler à l'ordre la postérité quand cette dernière, tête en l'air… du temps, abandonne l'oeuvre de certains auteurs importants à la poussière.
Ecrits il y quarante ans ou il y a un peu plus d'un siècle, je ne me lasse pas de découvrir les romans de Wilkie Collins, Vladimir Bartol, Max Aub, Erskine Childers, Robert Margerit ou Robert Penn Warren.
Leo Perutz, « le Kafka aventureux » selon Borges, appartient à cette confrérie prestigieuse dont il faut absolument momifier les mots sur du papier pour qu'ils traversent les siècles.
Né à Prague en 1882, de langue allemande, Leo Perutz s'est installé à Vienne. Blessé grièvement durant la première guerre mondiale, il a ensuite fui l'Anschluss en 1938 pour la Palestine. Il est revenu en Autriche en 1953 et y est mort quatre ans plus tard, dans un relatif anonymat.
le Cavalier Suédois, son chef d'oeuvre, écrit entre 1928 et 1936, est comme tous les grands romans, impossible à cadenasser dans un seul genre littéraire. Roman d'aventure, Roman historique, Roman d'amour, Roman fantastique, conte philosophique, manifeste politique contre les inégalités et l'hégémonisme. Une oeuvre "gigogne".
Le récit s'articule autour d'une imposture. Il nous transporte au début du XVIII ème siècle en Silésie, lorsque le jeune roi de Suède, Charles XII veut soumettre l'Europe Centrale et Orientale.
Dans les frimas de l'hiver et dans une campagne enneigée, un jeune noble, Christian von Tornefeld, parti pour rejoindre l'armée suédoise, en quête de gloire et de prestige, se réfugie dans un moulin pour se protéger du froid. Il est accompagné d'un voleur de grand chemin, plutôt de "petit sentier", surnommé Piège-à-poule. Les deux hommes ont en commun d'être pourchassés, l'un pour désertion, l'autre pour ses larcins.
Le moulin est hanté par son meunier, chasseur de têtes chargé d'alimenter les mines d'un Prince-Evêque, en forçats de travail et âmes égarées. L'offre ne fait pas rêver les deux fuyards quand on apprend que le Prince Evêque est surnommé « l'ambassadeur du diable » et qu'une légende raconte que son recruteur est un être maléfique, plus mort que vivant, qui se serait pendu quelques années plus tôt.
Profitant de la pédanterie et de la lâcheté du jeune noble, le voleur lui propose un pacte et les deux hommes échangent leur destin. Par couardise et naïveté, le jeune noble rejoint les forges de l'Evêché et Piège-à-poule endosse l'identité du noble Suédois.
Le roman suit les aventures du voleur qui va profiter de l'aubaine de cette noblesse inespérée. le « von » ouvre des perspectives. Pour faire fortune et venger son infortune, à la tête d'une poignée de brigands, il va multiplier les sacrilèges en pillant les églises, s'emparant d'objets du culte et de reliquaires.
Devenu riche, il va conquérir la jeune fille promise à Christian von Tornefeld et en tombera follement amoureux. Elle l'épouse, croyant avoir affaire au noble cousin.
Mais les beaux jours sont comptés et le Cavalier Suédois va être rattrapé par son passé.
Je vous rassure. Il ne s'agit pas du scénario d'un film de cape et d'épée avec Jean Marais.
Ici, les personnages ne sont pas binaires, il n'y a pas les gentils d'un côté et les méchants de l'autre. le voleur sans scrupule et plutôt détestable du début évolue en bon père de famille, prêt aux plus grands sacrifices. Il ne recherche aucune absolution mais il acquiert une noblesse de coeur digne du titre qu'il a usurpé.
Les questions de l'identité et du jeu des apparences sont au coeur de l'ouvrage. Hitchcock aurait adoré en faire un film, même sans blonde platine à l'affiche. Les histoires de doubles et d'usurpateurs ne manquent pas mais Leo Perutz échappe à la tentation du manichéisme. Sur le sujet, je trouve qu'il prolonge et approfondit à sa manière et de façon très subtile les questionnements de Stevenson dans « L'Etrange cas du docteur Jekyll et de M.Hyde ».
Si le récit est haletant, les passages les plus réussis à mes yeux sont ceux qui expriment l'amour unissant Le Cavalier suédois à sa petite fille. Ils sont d'une poésie incroyable pour un roman de ce genre et le petit soupçon de fantastique distillé avec parcimonie permet à l'auteur d'envelopper le récit d'un voile mystérieux qui ensorcelle le lecteur sans déshumaniser les personnages.

Ce roman ne fait que 200 pages mais ses mots pèseront dans ma mémoire .
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Au début du XVIII siècle, en Silésie, deux compagnons d'infortune lient leur destin et tentent d'échapper au gibet, à la faim et au froid, et errent sur les routes. L'un est un voleur, piège-à-poules, l'autre, un jeune déserteur, un gentilhomme d'origine suédoise, Christian von Tornefeld. Ils trouvent refuge dans un moulin où un repas est servi... leur hôte est le fantôme d'un meunier qui s'est pendu. Celui-ci, afin de s'acquitter d'une dette, sert de roulier, une fois l'an, pour un évêque, un terrible despote, dont les forges sont comparées à l'enfer. C'est Tornefeld qui y sera conduit à la place du voleur. Piège-à-poules usurpe l'identité de son compagnon ainsi qu'un puissant arcane, un parchemin consacré, parvient à la fortune en devenant capitaine de brigands, puis en épousant la cousine de Tornefeld dont il gère le domaine. Mais le passé ne risque-t-il pas de resurgir? Léo Perutz nous offre un roman riche en péripéties, au style truculent, un roman picaresque en Europe centrale.
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Quand j'arrive à un nombre de critique qui est un multiple de cent, j'aime à marquer le coup avec une un peu spéciale, sur un livre qui m'a particulièrement marqué d'une façon ou d'une autre. Mais tout à mon hiver parisien et son tunnel de rhumes et de gastros (le revers de la médaille quand on a miraculeusement réussi à décrocher une place en crèche) j'ai laissé passer la quatre-centième. Qu'à cela ne tienne, je célèbrerai donc la quatre-cent-troisième comme il se doit.

Nous sommes au XVIIème siècle, quelque part dans les plaines de Silésie. La Suède domine le monde. Elle a vaincu Danemark, Pologne, Saxe, et maintenant son roi fou et implacable, Charles XII, poursuit le tsar de toutes les Russies à travers les steppes infinies. Mais ici, un déserteur de son armée, un gentilhomme qui n'est encore qu'un gamin trop gâté, erre dans la neige en compagnie d'un vagabond. Il demande à ce dernier d'aller à plusieurs lieux de là, jusqu'au domaine où réside sa jeune cousine à laquelle il est fiancé, et de quérir du secours. Mais pendant sa visite le vagabond aperçoit la jeune fille, et en tombe instantanément amoureux. Pour elle, il va concevoir un incroyable plan…

Non loin de là, une gigantesque mine de fer engloutit les hommes par dizaines. Bien souvent des condamnés, les autres on ne se soucie pas trop de savoir s'ils sont volontaires. Par précaution on les enchaine tous, et on abat ceux qui essayent de s'enfuir avant d'avoir fait leurs années. Parfait pour se débarrasser du jeune gentilhomme. le vagabond se met ensuite à la tête d'une bande de brigands, et entreprend de détrousser églises, monastères et bourgeois. Pendant des années ils sévissent et terrorisent la région, puis du jour au lendemain on n'en entend plus parler. Quelques jours plus tard, au domaine de la jeune cousine qui entre temps est devenu femme, un visiteur inattendu se présente : son cousin est de retour pour l'épouser ! Ses poches débordent d'écus pour sauver les terres hypothéquées, et son coeur d'amour pour sa fiancée. Mais le vagabond peut-il ainsi faire la nique au destin et se décharger à jamais de sa condition ? Voila qui est moins sûr…

Une fabuleuse aventure au souffle mystique à travers les plaines et les collines enneigées de l'Europe centrale. le gentilhomme se fera vagabond et le vagabond se fera noble, le blé continuera de murir et la guerre de rugir au loin. Et de tout cela, il ne restera que l'amour d'une petite fille et ses souvenirs de l'être merveilleux qui, défiant l'impossible et la mort, venait la nuit toquer à ses volets pour l'embrasser.
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Par une froide nuit de blizzard de 1701, deux hommes cheminent en direction de la frontière séparant la Pologne de la Suède. le premier est un voleur, un pauvre hère si dégouté de sa vie de misère qu'il a pris la résolution de s'engager dans les forges du Prince-archevêque, véritable enfer sur terre et refuge de tous les repris de justice du pays. le second est un nobliau suédois ayant déserté les armées de Pologne pour rejoindre les forces du roi de Suède. Bien qu'ils n'aient rien en commun, la neige et la faim les ont réunis pour quelques heures et le sort s'apprête à leur jouer un bien mauvais tour : dans un moulin abandonné et hanté par le fantôme de son meunier suicidé, leurs deux destins vont bifurquer, empruntant des voies dramatiques et inattendues... Huit ans plus tard durant un hiver fort semblable à celui-ci, une fillette est visitée chaque nuit par le spectre de son père, un noble propriétaire pourtant parti guerroyer à des centaines de kilomètres de là. Quels liens, quelle toile de mensonges, d'intrigues et de traquenards habilement tramés unissent par-delà les années ces deux curieux événements ? C'est ce que « le Cavalier Suédois » de Leo Perutz nous invite à découvrir.

On m'avait tant vanté ce roman que je n'ai pu m'empêcher de grommeler dans ma barbe en l'ouvrant pour la première fois : « Toi, mon gars, t'as intérêt à tenir tes promesses… » Béni soit le sieur Perutz, il a amplement répondu à mes attentes et je sors de cette lecture tout à fait enchantée ! Roman historique savamment saupoudré de fantastique, « le Cavalier Suédois » est une oeuvre pleine de charme et de mystère, dotée en sus d'une intrigue remarquablement construite, de celle qui nous mène du début à la fin par le bout du nez et ceci pour notre plus grand plaisir. L'histoire est délicieusement prenante, le style simple et poétique à la fois, le personnage principal attachant (malgré une moralité souvent déficiente et un très très gros complexe social), les dialogues spirituels et finement écrits, l'atmosphère mélancolique et envoutante… La présence du merveilleux est particulièrement bien dosée, imprégnant tout le récit sans jamais que celui-ci ne verse dans le fantastique pur et dur. Pour ne rien gâcher, les thématiques abordées ne manquent pas d'intérêt et de profondeur : impuissance des hommes face à la destinée, usurpation d'identité, culpabilité et quête de rédemption, ravages du désir et de la jalousie...

En conclusion, une belle fable, poétique et intrigante à souhait ! J'ai noté qu'une adaptation BD avait été réalisée par l'illustrateur Jean-Pierre Mourey et peut-être me laisserai-je tenter, mais ce sera après avoir parcouru le reste du l'oeuvre du sieur Perutz. « le Marquis de Bolibar » me tente particulièrement – les guerres napoléoniennes : miam miam !
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FATALITAS !

«La fatalité, c'est ce que nous voulons» affirmait sans l'ombre d'une hésitation le romancier et essayiste bourguignon Romain Rolland. Si le héros malheureux du roman le Cavalier suédois eût sans aucun doute rejeté de toutes ses forces - de toute son âme - une telle allégation, son créateur, l'écrivain pragois de langue allemande Leo Perutz, ne l'aurait certainement pas déniée.
De quoi s'agit-il donc ici ? Par l'entremise d'un prologue, un narrateur anonyme se substitue brutalement à une mémorialiste, enchâssant ainsi l'histoire qu'il va nous conter à l'intérieur de la sienne, procédant ainsi dès les première pages à ce qui fera l'un des thèmes majeurs du texte : l'imposture. Et il entame ainsi son propos :

«C'est l'histoire de deux hommes, lesquels se rencontrèrent dans une grange, un jour de l'hiver 1701 où il gelait à pierre fendre. Ils y scellèrent un pacte d'amitié. Après quoi tous deux cheminèrent de compagnie, sur la route qui va d'Opole jusqu'à la frontière de Pologne, à travers les campagnes enneigées de Silésie.»

Le décors est ainsi succinctement planté, mais il y manque tout de même quelques détails d'importance. Ainsi, notre premier larron, le jeune Christian von Tornefeld, noble suédois de petite extraction, est en fuite et recherché pour désertion après avoir giflé son supérieur qui avait proféré quelque malheureuse parole à l'encontre du Roi Charles XII de Suède dont il souhaite rejoindre les troupes afin de s'y faire une réputation, un prénom (son aïeul sauva la vie à un précédent Roi de Suède), mais sans y laisser trop de plumes, notre jeune homme étant aussi pédant et prétentieux, même dans l'affliction, qu'il est pusillanime. Le second n'a ni nom ni prénom, tout juste un sobriquet : Piège-à-Poule ! C'est un voleur misérable et sans envergure, vivotant de petits larcins, recherché cependant par les Dragons afin de le mener au gibet - punition fort fâcheuse et généralement définitive qui attend aussi le jeune freluquet -, et qui s'est résolu à abandonner sa liberté pour mener une vie de forçat consentant dans les mines du Prince-Évêque local, surnommé «l'ambassadeur du Diable». Le diable, d'ailleurs, n'est jamais bien éloigné de notre histoire ébouriffante, les pas de nos deux fuyards croisant celui d'un meunier des plus funestes et mystérieux, réputé suicidé, qui s'annonce plus simplement comme le recruteur de l'évêque et qui mettrait bien la main pour son maître sur ce chapardeur, étique mais bien bâti. Le jeune homme de son côté, s'accrochant à cette idée fixe de rejoindre les troupes de son roi, s'aperçoit qu'ils sont proches des terres de son riche parrain, père de la jeune fille à laquelle il avait jadis promis le mariage. Cependant, aussi arrogant que peu courageux, il missionne son compagnon de fortune afin qu'il demande aide, or et vêtements à ce noble de province. Mal lui en prend car, accomplissant parfaitement sa mission, Piège-à-Poule va apprendre que l'ancien maître est mort, que les gens de ferme, de l'intendant au plus simple des valets de basse-cour, profitent abondamment de la situation pour ruiner cette anciennement riche demeure, qu'un vieux bougre de bouffi nobliau local, usurier et avare, contribue à ruiner par toute une série de prêts à taux honteux, acculant la jeune et candide héritière à sa perte (dans l'espoir avoué de la pousser au mariage) et que le jeune freluquet que le filou a promit d'aider est toujours dans le cœur de la belle.
L'idée, fatale, peut naître : par tous les moyens possibles, il prendra la place du jouvenceau, rachètera les terres du château, éconduira tous les profiteurs du dernier manant au gros seigneur, se fera aimer de la charmante héritière et l'épousera. Mais demeure toutefois un problème majeur... C'est qu'il n'est pas Christian von Tornefeld ! C'est avec un art consommé de la rouerie, d'une intelligence et d'une vivacité certaine, d'un sens profond de l'auto-justification de ses actes - les bons comme les mauvais - que notre indigent va parvenir à ses fins, réussissant par ruse à envoyer le (vrai) cavalier suédois dans les mines de l'enfer, s'enrichissant en accomplissant un genre de vol auquel nul n'avait songé avant lui - par crainte de la punition divine - à savoir le cambriolage des biens précieux, statues dorées, ciboires d'argent et autres reliquaires présents dans le saint des saints des églises de la région. Il sauvera ainsi la belle ingénue des griffes de son Harpagon, l'épousant et lui donnant dans la foulée une fille, qu'il adore comme sa vie, et sans doute bien plus encore. Mais la destinée veille. La fatalité ne peut laisser celui s'étant substitué à un autre vieillir tranquillement et mourir, satisfait, dans son lit entouré des siens. Et la chute est aussi fracassante, diabolique, irréversible que l'élévation fut rapide et évidente. Le lecteur le pressent dès l'émergence de l'idée machiavélique mais il espère tout de même jusqu'au bout une rémission... pour services rendus !

Il ne faut que quelques pages pour se laisser totalement embarquer par le Cavalier suédois dont l'auteur lui-même estimait que c'était sa meilleure réussite, son oeuvre la mieux accomplie. En fait d'accomplissement, c'est effectivement une pure merveille.

Qu'on en juge un peu : L'ouvrage peut se lire comme un pur roman picaresque - ce personnage de Piège-à-poule en est une espèce de parangon, un miséreux magnifique, un indigent rusé comme goupil et, s'il n'a pas froid aux yeux, si sa morale personnelle n'est pas dans les clous habituels, ses méfaits semblent assez rapidement aussi justifiables que les actes d'une immoralité insupportable, toute légale, que mène le bal des hypocrites, ces nobles ou ces prélats qui sont à la fois les maîtres, les diseurs de loi et les exploiteurs de ce monde sans pitié ni honneur véritable (il est évident que la description de Leo Perutz de ce monde supposément ancien n'est en rien gratuite). En un mot comme en cent, on fini très rapidement par s'y attacher à cet archétype de déclassé, même si l'on peine à oublier totalement la faute originelle. On est indéniablement dans la lignée de ces romans ébouriffants comme le Diable boiteux de Velez de Guevara, le Paysan parvenu du français Marivaux ou encore du fabuleux Manuscrit trouvé à Saragosse de Jan Potocki (que l'on peut aussi classer dans le genre "gothique").
Si le Cavalier suédois n'est pas à proprement parler un roman historique, les rappels incessants à ce que fut "La Grande Guerre du Nord" au début du XVIIIème, mettant aux prises, pour aller très vite, la Russie et ses alliés polonais, Danois ainsi que certains états allemands contre l'Empire Suédois hégémonique de l'époque donne une saveur, une couleur qui plaira assurément aux amateurs du genre.
Roman pour partie fantastique aussi, il semble parfois faire un hommage discret mais appuyé aux romans gothiques allemands du début du XIXème. N'y croise-t-on pas un meunier maléfique, ancien suicidé, dont on ne sait s'il dit vrai lorsqu'il affirme avoir été sauvé in extremis de son acte maudit de Dieu, mais qui, depuis, est redevable à l'évêque de ce sauvetage, cherchant et trouvant sans fin de futurs hommes de charge promis à une vie infernale ? Leo Perutz est bien top malin lui-même pour sombrer dans un fantastique de pacotille, qui s'exhiberait avec force magie ou autres manifestations d'épouvante inutiles, grotesques. Son fantastique à lui est presque crédible. Il laisse au lecteur la possibilité de croire à la présence physique réelle, directe ainsi que le jeune gentilhomme conçoit l'apparition tranquille de ce valet supposé des enfers par d'aucuns. Tandis que c'est l'homme perdu, à l'existence déjà riche d'expérience mais sans verni culturel et qui ne cache pourtant pas une foi à géométrie très variable, qui s'avérera le plus superstitieux ou, selon l'interprétation qu'on en veut, le plus ouvert à la présence des incarnations d'un autre monde. Pour autant, c'est le jeune prétentieux qui apparaîtra le plus crédule des deux hommes aux yeux du lecteur, et pour son plus grand malheur.
Roman métaphysique, enfin - n'oublions pas que Leo Perutz était juif, dans un monde, la Mittel Europa de l'entre-deux guerres, où l'on entendait gronder ce Léviathan bien vivant, monstrueux de l'Allemagne Nazie (la première publication de ce texte date de 1936) -, qui nous parle de destin, de faute, de fatalité, du rachat de l'ignominie par toutes les souffrances possibles jusqu'à la mort expiatrice (thème chrétien s'il en est mais Perutz n'était-il pas à la rédaction d'un ultime texte intitulé le Judas de Léonard, signe que ce thème revêt une importance capitale tout au long de son oeuvre ?), de la tragédie ontologique de l'homme (du moins dans l'univers perutzien) confronté à un dilemme, à un paradoxe éternel et insoluble, d'être à la fois maître de son libre-arbitre et entièrement à la merci de l'omnipotence divine.
Accessoirement sans doute, mais certainement pas en vain, c'est enfin une histoire d'amour tragique ainsi qu'un magnifique témoignage d'amour d'un père pour son enfant. Ceci est très loin d'en être le thème essentiel, mais c'est un aspect suffisamment peu présent ailleurs, dans la littérature dite "classique" pour se permettre de le signaler.

Cette multiplicité de niveaux de lecture et de sujets, du roman d'aventure picaresques complètement échevelé et jubilatoire à la réflexion la plus profonde sur le sens de l'existence humaine et ses ressorts, porte indéniablement ce roman très haut au panthéon des ouvrages incontournables du XXème siècle. Celui que Jorge-Luis Borges surnommait le "Kafka aventureux" est un maître du style, de la forme, du suspense dont la lecture est d'un dépaysement grisant, salutaire, d'une vivacité inouï, d'un rythme trépident et sauvage. C'est plein de révérences et pourtant parfaitement original. C'est d'une absolue évidence de lecture et pourtant d'une complexité d'analyse impressionnante, mais sans la moindre lourdeur. On ne s'y ennuie tellement pas le moindre instant (ce qui est finalement plus rare qu'il y parait, même avec certains "grands" livres) qu'à peine est-il refermé... On en redemande !
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Je voudrais citer Olivier Cena qui parle de Léo Perutz en ces termes

Perutz est un prestidigitateur magnifique, un manipulateur de l'étrange, un maître du récit.
Il aime, comme arme suprême, utiliser l'Histoire, l'officielle et la petite. Entendez par là : dans un contexte historique bien précis, il s'insinue à travers une faille obscure dans le monde de la fiction. Là, on retrouve les thèmes privilégiés de Perutz, l'amour, la mort, la fatalité et le destin entrant dans la construction d'un jeu machiavélique de substitution.
Autant dire qu'on ne peut raconter un roman de Perutz sans gâcher le plaisir du lecteur. On ne dévoile pas la science d'un magicien. »

Je suis en accord total avec ces quelques lignes citées à la fin du roman. Je me sens incapable d' écrire une critique équivalente
Un seul conseil: lisez Perutz. C' est magique
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Un conte bien mené, teinté de fantastique distillé deci-delà, parfois nié, parfois assumé, au service d'une histoire où un homme brave le Destin pour mieux se sentir vivre. Faut-il le regretter ? Vaut-il mieux suivre un chemin tout tracé ou prendre systématiquement le chemin de traverse ?
Par certain côté, ce petit roman présente un aspect philosophique sans que cela ne soit trop appuyé, une sorte de morale déguisée, comme seuls les contes d'antan savaient le faire. Et d'ailleurs, l'atmosphère de cette histoire est empreinte d'une certaine nostalgie somme toute agréable.

À lire, car on en ressort le sourire aux lèvres, satisfaits d'avoir lu une histoire bien menée, avec une bonne fin, et, plus que cela, une écriture quelque peu surannée mais indiscutablement délicieuse.
Leo Perutz est un auteur à découvrir !
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Cela faisait longtemps que cet ouvrage attendait sagement dans ma PAL, je l'avais repéré lors d'une vidéo de Babelio (2018 !) où l'éditeur Libretto présentait une sélection de livres de l'imaginaire qui ont attiré mon attention.

J'ai retrouvé le lien : https://youtu.be/ep24PhzxLLw, la vidéo est aussi sur la page babelio du livre le cavalier suédois de Perutz.

L'histoire se déroule au tout début du XVIIIeme siècle en Silésie (territoire qui se trouve dans le centre de l'Europe, et qui correspond aujourd'hui grosso modo au sud-ouest de la Pologne). Deux hommes fuient les autorités à travers la campagne dans le froid de l'hiver. L'un est déserteur, l'autre voleur…

Et c'est tout. Je ne peux en dire plus sur l'histoire car la quatrième de couverture elle-même ne dévoile rien et c'est mieux ainsi.

Ce que je peux dire en revanche, c'est que bien que petit (un peu plus de 200 pages), ce roman est dense et riche.

En effet, le contexte historique est assez développé, c'est la période de la Grande guerre du Nord (la bataille de Poltava est évoquée). Les deux protagonistes étant de milieux sociaux très éloignés, l'auteur brosse un portrait très réaliste du quotidien, des aspirations et préoccupations différentes de chacun.

La religion - avec la question du sacré, et celle du bien et du mal - est à fortiori présente puisqu'elle conditionne les comportements, traditions du quotidien et manière de penser de la population. Mais Leo Perutz a su y introduire une touche de fantastique appréciable.

Mais ce roman, c'est aussi de l'action et de l'aventure, de l'amour et de l'émotion. Et le dénouement… parfait.

Et puis, la traduction est agréable et fluide, les pages se tournent toutes seules.

La suggestion de l'éditeur a donc été excellente car j'ai beaucoup aimé cette lecture. J'avais acheté deux autres ouvrages de sa sélection, je sens que je ne vais pas trop tarder à les sortir de ma pal.
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Un très bon récit, j'ai beaucoup apprécié, je suis étonné que l'auteur, l'histoire, ne soit pas plus connu que cela, j'ai déniché ce chef-d'oeuvre dans un Emmaüs, pourquoi n'ai-je pas connu avant ?
Je ne me suis pas lassé durant ma lecture, j'ai été porté tout du long.
J'espère découvrir d'auteurs ayant ce même talent et qui mérite d'être connus. le style me fait penser à de la littérature du XIXe siècle, un siècle que j'apprécie par son foisonnement littéraire, avec entre autres : Maturin, Shelley, Goethe ( moitié des deux siècles), Dickens, Hugo, etc. Je suis encore débutant pour cette découverte de ce siècle ainsi que la moitié du XXe, mais depuis je ne me lasse pas. Les deux siècles sont riches d'originalité...
Leo Perutz un auteur a retenir...
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