Une fois de plus, le Tassili avait ouvert au voyageur ses solitudes. Qui avait dit que le Sahara était fini ? Il ne l'était pas plus que le soir du combat de l'Escadron Blanc, lorsque Marçay laissait tomber son mousqueton. Le désert ne mesure pas aux combats son éternité. Il suffit de la marche de trois nomades faisant dégringoler les pierres, et réveillant dans les rochers des tentes invisibles.
Un Brécourt, au contraire, était porté en sens inverse par son entêtement, sa précoce misanthropie, et par un amour qui, ne fût-il resté aucune solitude pour lui répondre et le justifier, l'eût poussé à des extrêmes insensés pour tâcher de faire la preuve que la foi a toujours le dernier mot contre le doute.
Était-ce vrai que vient un jour où l'homme avance en âge et, malgré tout son amour, renonce ?
— C'est ta femme ? lui demande Attalah. Emerveillement pour une vie, Anne-Marie entendit Brécourt dire oui.
Pourquoi l'histoire d'Attalah ben Cheick, qui allait à l'aube reprendre le désert, emmenant son fils coupable, possédait-elle à ce point l'esprit de Brécourt ? Était-ce, avec la clarté blanche qui glaçait les cimetières mozabites, l'effet de l'approche de l'heure où le nomade sellerait ses montures, l'appel de l'étoile qui le conduirait ? Était-ce la faute de la lettre de Chavannes, et de sa plainte de dépossédé ? Brécourt parlait du cœur d'un Attalah, des anciennes fiertés.
Seul dans le silence des pierres ému par l'approche humaine, sous la muraille, près de la source suscitée par ses mains, il avait le sentiment de veiller, de couvrir enfin de son corps le corps même de la patrie.
Son bordj, seul une belle mort pourrait lui attacher son nom : "Bordj Brécourt". (chap. 21)