Ce très beau roman évoque un sujet rarement traité, l'internement dans des camps de la communauté tzigane pendant la seconde guerre mondiale.
6500 personnes alors ont séjourné dans une trentaine de camps en France.
Paola Pigani a rencontré l'une d'elle, Alexienne. C'est son témoignage qui a servi de trame à ce roman.
Alba (Alexienne) a 14 ans en novembre 1940, quand avec sa famille, on l'envoie dans le camp des Alliers près d'Angoulème.
Elle y restera jusqu'en mai 1946, presque 2 ans après la fin de la guerre.
Mais que reproche-t-on aux tsiganes?
"Le camp d'internement se veut un camp d'éducation où tout le monde doit oublier un mode de vie antérieur, apprendre les joies de la sédentarisation, le plaisir de vivre dans des ersatz de maisons qui se putréfient sur des sols froids et humides, traversés de toutes sortes de rongeurs et d'insectes nocifs, le plaisir d'être coupés de la bienfaisance des arbres, du vent et de la lune. le plaisir d'oublier la lumière qui vous traverse le corps du matin au soir.
Les objectifs secondaires de l'internement sont de leur apprendre à vivre comme tout le monde, d'abandonner leurs rites, leurs vices, d'adopter des règles d'hygiène, d'éduquer les enfants, de les faire travailler afin qu'ils ne soient pas à la charge de l'État."
Ainsi le but est surtout de leur faire renoncer à ce qui fait leur identité. leur culture, leurs croyances.
A ce sujet,
Paola Pigani nous en apprend beaucoup, sur leur rapport à la nature, à leurs chevaux, les rites qui accompagnent les différentes étapes de la vie (naissance, fiançailles, mort), l'importance de la musique, leur peur des coins noirs des maisons des "gadjés"...
Et que leur propose-t-on en échange dans ces camps? Des conditions de vie et d'hygiène déplorables, le froid, la faim. L'éducation se résume à 4 heures d'école par semaine pour les enfants. Les hommes travaillent à l'extérieur du camp, mais les femmes restent enfermées dans des maisons qui ne correspondent pas à leur mode de vie et leur font peur. Leurs chevaux meurent. Leurs roulottes sont détruites.
Pourtant, malgré les conditions difficiles, la solidarité entre manouches tient.
Malgré les humiliations, ils restent debout.
Certains tentent de s'évader pour rejoindre la Résistance. "...Ne pas être français comme les autres? Jean veut se prouver à lui-même qu'il sera français jusqu'au bout de sa fierté."
Malgré la mort, la vie s'immisce parfois. Au médecin qui lui reproche sa grossesse, Alba répond "pour la mort, on a tout le temps devant nous, Monsieur le Docteur. Pour vivre, il faut faire vite."
Quelques "gadjés" leur apportent également leur soutien et essaient d'adoucir leur peine.
Mine, une jeune volontaire, se débat pour permettre aux enfants de jouer quelques heures à l'extérieur du camp. Michel, un gardien du camp, les aide discrètement.
Quand en 1944, la guerre se termine, leur enfer se poursuit encore pendant 2 ans.
Et quand enfin les portes s'ouvrent, beaucoup sont morts et les autres n'ont plus ni roulottes, ni chevaux.
Mais, petit à petit, malgré la misère, ils vont tenter de se reconstruire et de renouer avec leurs traditions.
Paola Pigani est en quelque sorte une passeuse de voix d'une communauté méconnue, encore aujourd'hui souvent rejetée et cette voix est portée dans une langue riche.
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