À présent retraité, Greg Brandt a revêtu une autre casquette : il aide des jeunes à décrocher de la drogue. Sa façon à lui de se sentir utile, et peut-être de retrouver un semblant de foi en l'humanité après tout ce qu'il a vu du temps où il était flic.
Dans les bas-fonds de la vie nantaise, son nouveau rôle de samaritain dérange. Mais ce serait mal connaître le bonhomme que de l'imaginer ployer le genou devant des caïds à la (pas si) petite semaine. Lorsque Hamed en vient aux menaces, un gamin qu'il a jadis coffré pour meurtre devenu un homme rempli de haine qui a la mainmise sur le trafic local, exigeant de Greg qu'il monnaie son passe-droit, l'ex-inspecteur voit rouge. Il n'a pas le temps de reprendre ses esprits qu'un ancien collègue lui rend une visite tout sauf courtoise pour lui annoncer le meurtre sanglant d'une flic… soupçonnée d'avoir trempé dans le vol de soixante-dix kilos d'héroïne fraîchement saisis. Barrault, ledit collègue, va vite le gêner aux entournures. Persuadé que Greg a des accointances dans le milieu grâce à l'association qu'il dirige, il aimerait lui extorquer quelques tuyaux sur Hamed. Son nouveau job, Greg l'exerce par altruisme, par conviction que chacun peut être remis sur le droit chemin. S'il y a un fruit pourri dans le panier, il ne balancera pas tout pour autant.
Tandis que les banlieues s'embrasent et que des rixes toujours plus barbares s'organisent pour prendre la place d'un vieux de la vieille du milieu nantais qui vient d'être écroué, Greg Brandt voit les enjeux de cette affaire devenir de plus en plus personnels, et ne peut se résigner à tirer sa révérence avant d'avoir rappelé à certains qu'il est un code d'honneur qu'on ne piétine pas…
Plus que jamais, ce dernier opus des Nuits nantaises nous place face aux fêlures de l'inspecteur Brandt. Il m'avait déjà incroyablement touchée dans L'Arménien puis dans le Sicilien, et une fois encore, il a réussi à m'arracher une larme.
Carl Pineau n'aurait pas pu avoir de meilleure idée que de placer son (anti) héros au centre de ce final. Entre bien-fondé et déraison, le point de vue de Greg Brandt – ce flottement dans son regard lorsqu'il observe ce qu'est devenu le monde – apporte une tout autre dimension à l'histoire. Une résignation sans amertume. Les constats d'un homme blessé, mais toujours debout, quoi qu'il arrive. Sa manière d'appréhender les événements donne la certitude qu'il fera « ce qu'il faut ».
J'étais heureuse de recroiser certains personnages des précédents volets, qui s'intègrent naturellement ici, car leur histoire commune avec Brandt m'a appris à mieux le connaître, et c'est ce que je souhaitais viscéralement depuis notre rencontre en 2018. On estime souvent un homme à ses actes, et Françoise et Dario ont tous deux joué un rôle essentiel dans la façon dont Greg s'est construit. le gaillard n'est pas facile à cerner, et le travail de l'auteur sur son évolution est absolument incroyable. Je l'avais décrit par le passé comme étant pugnace et méticuleux ; les années lui ont apporté une sensibilité certaine qui ne m'a fait que l'aimer plus encore. On perçoit, derrière l'intrigue, le travail d'orfèvre de
Carl Pineau, cette habileté à flouter les limites de la fiction à travers des caractères forts, admirablement développés. Portée par un style ciselé au burin à son apothéose, cette conclusion aux Nuits nantaises m'a fait poser le bouquin à plusieurs reprises pour grogner à voix haute « Mais il se passe quoi, là ??? » : les premières pages (que j'ai relues trois fois à la recherche d'un indice) vous plongent dans une angoisse qui vous tenaille jusqu'au dernier chapitre. Un coup de maître, cette construction. La décennie 2000, sa surenchère de violence, de haine, avec Nantes en toile de fond, est dépeinte avec beaucoup de clairvoyance.
Carl Pineau ne se contente pas de placer son histoire dans les années 2000, il nous les fait revivre en exploitant les événements qui ont marqué l'actualité et retranscrit, avec une justesse poignante, les sentiments qui nous ont animés à cette époque.
Je pourrais vous parler des heures de ce roman, mais je vais conclure en vous disant que si je ne devais garder qu'un seul polar de ces dix dernières années, j'en garderais trois : la trilogie des Nuits nantaises. Pour sa noirceur, ses notes d'espoir, pour cette écriture unique qui vous transporte avec force. Si chaque volume peut se lire indépendamment, la lecture des trois vous permettra d'apprécier la capacité de l'auteur à se renouveler tout en restant proche des valeurs humaines qu'il a transmises à ses personnages et qui habitent chacune de ses histoires. Merci, Carl.