Contribution faite dans le cadre de masse critique, je remercie les éditions Breval et babelio.
Ce livre de Preston a pour sujet la « Guerre d'Espagne ». Sur ce conflit qui ensanglanta entre 1936 et 1939 l'Espagne, il existe un formidable (au sens étymologique, formidare : craindre, qui fait peur) paradoxe.
En effet, ces événements ont fait l'objet d'une masse considérable d'études historiques, quelques-uns des plus grands esprits contemporains ont écrit sur cette tragédie, étant témoins directs, voire acteurs (
Simone Weil,
Malraux,
Hemingway,
Bernanos,
Semprun…)
En dépit de l'importance, de la gravité de ce conflit il demeure tabou, non traité dans l'histoire officielle. C'est tout simplement un manque de respect, une offense envers toutes les victimes et les martyrs de la barbarie. Cette guerre ne serait qu'une simple « répétition » de la seconde guerre mondiale. « Répétition » qu'est-ce à dire, ce n'est pas la « vraie » pièce, le « vrai » drame, il ne s'agit que d'une sorte de guerre locale, « tribale » où les acteurs ne feraient que « répéter » ??
A l'occasion d'autres critiques sur le sujet où des éventements contemporains, j'ai déjà eu occasion d'exprimer l'avis que la guerre d'Espagne était indissociable du conflit « commencé » en 1939, lequel conflit n'était qu'une seule guerre mondiale de 30 ans commencée en ...1914.
Car comment peut-on soutenir par exemple qu'il n'y aucun lien entre l'invasion de la Chine par le Japon en deux étapes, en 1931 et en 1937, et Pearl Harbour ? Que les bombardements de terreur de la légion nazie Condor à Guernica et ailleurs en Espagne n'ont aucun lien avec ceux commis en 1939 en Pologne, en 1940 à Rotterdam, à Londres etc.. ? La même stratégie fasciste impérialiste de conquête de l'espace vital, de terroriser, d'anéantir les « sous hommes » et le complot mondial « judéo-bolchévique-maçonnique ».
Ce livre expose dans le détail cette descente aux enfers du génocide de ceux, sans distinction d'âge de sexe, de religion qui étaient considérés par Franco et ses partisans, dont l'Église catholique comme des sous hommes par nature, qu'ils aient été ou non des défenseurs actifs de la République, membres ou non d'un syndicat ou d'un parti hostile au fascisme.
Ce livre ne traite « que » cet aspect de la Guerre d'Espagne. Autrement dit, le lecteur ne trouvera pas l'exposé des opérations militaires et des enjeux internationaux, en dépit du fait qu'ils sont omni présents. Les brigades internationales sont par exemple à peine mentionnées.
C'est fort regrettable car cette guerre est « illisible » sans points de repère autour de la révolution russe, l'extermination des anarchistes par les communistes (Makhno, Cronstadt..), du stalinisme, des intentions belliqueuses de l'Allemagne nazie, etc.
En revanche, ce qui remarquablement développé dans cet ouvrage est la période antérieure au coup d'État de Franco, développement permettant de bien comprendre que, nonobstant le contexte de guerre mondiale, l'Espagne était gangrenée par des affrontements idéologiques d'une violence inouïe. Dans un pays à l'industrie encore embryonnaire, l'économie était encore très majoritairement agricole avec des relations sociales médiévales, une pauvreté qui acculait la masse de pauvres à un statut proche du servage. Ces pauvres gens demandaient juste un peu de dignité, du travail, ne pas être réduits à cueillir des glands et des olives pour survivre.
Dans ce contexte misérable, en 1934 la droite avait gagné les élections et une période de quasi guerre civile avait ensanglanté le pays, en particulier dans les Asturies où la répression par l'armée africaine dirigée avec barbarie par Franco anticipait de deux ans le calvaire de ceux qui ne prêtaient pas allégeance à la droite ultra.
Ces affrontements féroces entre 1934 et 1936 exacerbèrent à l'extrême les passions, les haines les désirs de revanche.
Par conséquent, à l'issue de la victoire électorale du Front Populaire en février 1936, il y avait un climat mortifère, les cavaliers de l'apocalypse déjà en selle… chaque camp s'apprêtait à en découdre ; les militaires préparaient leur coup d'état ouvertement et le gouvernement ne prit aucune mesure de précaution.
Il y a eu bien sur des massacres des deux côtés, en particulier dans le camp républicain, l'exécution en nombre de prisonniers « stratégiques » détenus à Madrid, évacués dans un transport sans retour alors que les forces franquistes se rapprochaient de la capitale, mais l'auteur argumente sans que cela puisse être vraiment contesté en l'état des connaissances et études faites à ce jour, que dans le camp républicain ce n'était pas un but de guerre mais plus le résultat de la désagrégation de l'Etat du fait précisément du coup d'Etat. Par ailleurs le bilan macabre est sans commune mesure entre les deux camps.
Et dans le camp républicain, il y eu aussi, la guerre dans la guerre, les exécutions, la torture par les communistes espagnols et du Komintern stalinien des anarcho-syndicalistes, de la gauche non communiste mais là aussi, pour effroyable que fut cet aspect il n'atteignit pas la dimension industrielle de la terreur franquiste.
On regrettera enfin que l'auteur qui a eu manifestement accès aux études les plus récentes n'ait pas consacré un chapitre à l'état du débat sur le sujet dans l'Espagne d'aujourd'hui, par exemple sur le travail de recherche d'identification des victimes.
Un livre remarquable à lire mais à mon avis pour les lecteurs ayant une grosse appétence pour les « pavés » historiques et ayant déjà de solides points de repère sur ces années noires.