Dans l'ombre de la lumière

Au fait, je viens de m'en apercevoir : Augustinius est dans sa trente-troisième année lorsqu'il reçoit ce baptême. A l'âge où le Christ meurt, cet homme naît à Dieu. Peut-être sa mère lui avait-elle enfin trouvé un père spirituel, l'évêque Ambrosius ?
Et peut-être mon amour n'avait-il servi qu'à te donner soif d'un autre amour ?

L'évêque d'Hippo Regius tente de nous dire que le seul effort humain ne suffit pas pour changer de vie, contrairement à ce que suggèrent les philosophes païens. Il faut que Dieu s'empare de vous, vous torde, vous essore jusqu'à ce que l'homme accepte, cède, s'abandonne...

“J’avais 32 ans lorsque Augustus m’a rejeté. Depuis je n’ai plus fait l’amour. ”

Je n'y comprenais rien : si à Milan la cour était chrétienne, elle n'accepterait jamais un orateur soutenu par un païen et un manichéen, si fortunés fussent-ils l'un et l'autre ! Pas du tout, m'expliqua Alypius, ce sont des jeux de pouvoir, païens et manichéens s'allient à l'occasion contre l'influence croissante des catholiques et des ariens. Et surtout, la mère de l'empereur est obligée de ménager le puissant préfet de Rome, qui est aussi le chef du parti païen au Sénat, un parti toujours très influent.

Un bateau vomissait sa cargaison : hommes, femmes, enfants, hébétés, souvent très maigres. Ils titubaient dans la lumière de septembre comme s'ils ne pouvaient la supporter - mais le plus intolérable, ce sont peut-être les images scellées au fond de leurs yeux (p. 222)

Ce passage sur les recoins et les replis de la mémoire, ses caches secrètes où tout est entreposé? Un prodigieux trésor, selon l'évêque. Si vaste qu'il nous échappe en partie : des souvenirs dont on ne se souvient pas, si on peut dire, mais qui peuvent ressurgir à tout moment. (p. 297)

Pourquoi tant d'hommes et de femmes ont-ils besoin d'une religion constituée, organisée ? p.261

Je ne peux m’empêcher de me pencher sur le papyrus posé sur le bureau. Ce n’est pas son écriture, mais je repère un fragment de phrase corrigé de sa main – oui oui, je reconnais les boucles nerveuses, mon cœur se met à galoper -, il a biffé, ave rage, puis récrit juste au-dessus. Je déchiffre, lentement, à voix basse. Silvanus m’aide, m’encourage – eh bien, tu vois, tu n’as pas oublié les lointaines leçons de l’école (bien entendu je ne lui ai pas dit que j’avais refait mes classes en compagnie de mon fils et de son père). Après avoir un peu ânonné, je parviens à prononcer : « Personne n’est sans faute devant toi, pas même l’enfant dont la vie n’a qu’un jour sur terre. » Augustinus s’adresse à son Dieu. Il avait d’abord écrit : » pas même le jeune enfant ». Mon tremblement reprend, je suis terrifiée. Ainsi, il a encore accentué, durci : même un nouveau-né est coupable …

Tu préférais les olives provenant de la région au sud d’Hippo Diarrhytus. Dodues, savoureuses. Je les choisissais avec soin au marché et les conservais dans une jarre que Faonia et Marcellus nous avaient offerte pour la naissance d’Adeodatus. Cette jarre aux flancs renflés, j’avais le sentiment qu’elle me représentait lorsque j’étais enceinte. Et si elle se remplissait d’olives par mes soins, mon corps à présent – je l’avais compris – devait rester vide.

Tu vois Elissa,le temps que je me pose la question-c'est quoi le temps?-déjà il s'est échappé.Comment le désigner?Le présent,on ne peut en parler sans l'annuler,le passé s'estompe si vite,et l'avenir se dérobe.