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Critique de 5Arabella


Claude Pujade-Renaud, que je découvre avec ce livre, imagine la vie de la femme anonyme qui a partagé la vie de Saint-Augustin pendant une quinzaine d'année, lui a donné un fils, et qui a été répudiée à cause d'un projet de mariage en cours, qui finalement n'aura pas lieu. Elle n'aurait pas rejoint, comme la tradition le laisse entendre, une communauté religieuse, mais serait revenue à Carthage dont elle est originaire, là où elle a vécu la plus grande partie de sa relation avec Augustin. le roman évoque les souvenirs, la relation de couple, mais aussi ce qui advient de suite dans la vie d'Augustin et de celle que Claude Pujade-Renaud a choisi de nommer Elissa. Elle devient en effet proche d'un couple, dont le mari handicapé, Silvanus, est copiste, et reproduit un certain nombre d'écrits de l'évêque d'Hippone, dont les fameuses Confessions, ouvrage pour lequel il se passionne et qu'il évoque longuement devant Elissa , qui découvre un certain nombre de choses sur leur liaison vue par son compagnon, et qui livre aussi en écho son vécu à elle. En arrière plan, le contexte historique et social, les changements entraînés en particulier par le christianisme devenu religion d'état, les convulsion de l'empire romain qui s'achemine vers sa fin sous la poussée des Barbares.

J'ai au départ eu une petite réticence, à cause de l'invraisemblance des données de départ : cette femme qui a vécu un certain nombre d'année avec un homme en vue comme Augustin, qui revient chez sa soeur relativement rapidement (Elissa ne sera pas restée bien longtemps en Italie), dont les voisins et relations, ne devaient pas ignorer la situation, où d'ailleurs Alypius, un ami proche d'Augustin va la chercher sans problème lorsque le récit l'exige, peut devenir après son retour anonyme, personne n'ayant gardé la moindre trace de ses liens avec un Augustin qui devient de plus en plus célèbre. Et puis ce copiste qui lui lit les écrits d'Augustin, dont les Confessions, d'une façon si providentielle. Mais j'ai pu rapidement passer sur cet aspect quelque peu artificiel, car cela permettait en effet de mettre en parallèle les deux voix, et était indispensable pour que le roman puisse développer son propos. Une sorte de licence romanesque en somme.

Comme souvent, il vaut mieux ne pas lire et se fier aux présentation de l'éditeur, d'après qui Claude Pujade- Renaud « replique à l'histoire officielle ». Or elle suit en réalité avec une grande fidélité les données historiques que l'on peut trouver par exemple dans Les Confessions ou dans les biographies de référence, comme celles de Peter Brown ou Serge Lancel, qu'elle cite d'ailleurs parmi ses sources. Elle résume aussi sans réellement les déformer, un certain nombre d'idées exprimées par Saint-Augustin, surtout celles qui sont passées dans le débat plus grand public, en les simplifiant parfois très fortement, mais c'est inévitable dans un roman qui n'est pas par essence un traité de philosophie, et logique dans la bouche d'un personnage comme Elissa. Mais globalement le livre permet à quelqu'un qui n'aurait pas lu Les confessions et ne se serait pas intéressé à Saint-Augustin d'avoir une première idée de ce qu'a pu être la vie et un tout petit peu la pensée de cet homme.

Bien évidemment, c'est une femme blessée, rejetée par celui à qui elle a tout donné, qui a été séparée de son fils, et qui souffre. Et comme c'est elle qui parle, qu'elle est attachante, on peut avoir la sensation que l'auteur privilégie sa parole, son témoignage, par rapport à ceux de son illustre ex-compagnon. Mais là aussi je trouve que le livre est bien plus subtil et plus complexe que ce certains commentaires pourraient le laisser penser. Par exemple, Elissa évoque longuement Monique, la mère d'Augustin. Autant le dire, elle la déteste franchement, et cela dès le premier regard, pourrait-on penser à lire le roman. Tellement de choses ont été dites et écrites sur celle qui deviendra Sainte- Monique, sa relation avec son fils, en particulier a donné lieu à un nombre incalculables d'interprétations, entre autres psychanalytiques. Nul doute qu'elle aura été pour Saint-Augustin la femme de sa vie, qui n'a laissé que bien peu de place pour les autres. L'aversion d'Elissa est explicable, comme l'est sa façon d'essayer de lui attribuer la responsabilité de tout ce qui ne lui plaît pas chez Augustin, et en premier lieu son abandon. Mais on n'est pas obligé de la croire complètement sur parole, d'autant que Claude Pujade-Renaud suggère à un moment une sorte de mauvaise foi. Elissa exprime dans un passage de la sympathie pour Patricius, le père d'Augustin, qu'elle n'a pas connu. Elle lui reconnaît quelques défauts, comme ses infidélités et sa brutalité, envers serviteurs et animaux. Et là, le lecteur des Confessions s'attend qu'elle parle aussi du fait qu'il battait sa femme, élément qui figure à ce moment du livre de Saint-Augustin. Mais Elissa n'en dit rien, et il est clair qu'elle est au courant, à un autre moment ce passage est évoqué de façon très reconnaissable dans les lectures de Silvanus. Mais elle choisit de passer sous silence ce fait qui rendrait Patricius bien moins sympathique et Monique peut-être moins antipathique. Il ne faut donc pas prendre pour argent comptant tout ce qui dit Elissa, elle aussi livre sa version de l'histoire, qu'elle peut aussi arranger, ou dont elle n'a pas tous les éléments en main pour donner une version tout à fait complète et objective.

Encore plus intéressant à mon sens, ce passage dans lequel Sylvanus lit un extrait des Confessions dans lequel Augustin exprime une intense souffrance psychique, avant sa conversion. Cela aussi a donné lieu à énormément de lectures, à des diagnostics cliniques (dépression etc). Et Elissa réalise qu'elle n'avait pas eu conscience de cette souffrance chez l'homme qu'elle aimait. Comme si deux histoires parallèles se vivaient en même temps, sans réussir à vraiment se rejoindre. Ce qui pose la question du couple, du vivre ensemble, de ce qui est vraiment partagé, commun. Toute cette angoisse existentielle d'Augustin, dont la grande affaire aura été de donné un sens au monde et à son existence, qu'il a résolu uniquement par sa plongée dans la foi, semble avoir complètement échappé à Elissa. Ce qui pose aussi le questionnement, à mon avis essentiel, de savoir pourquoi tant d'hommes se satisfont très bien d'une relation de couple dans lequel leur partenaire partage (en réalité prend en charge) le quotidien, mais pas le reste, dans le cas d'Augustin, le philosophique, le spirituel. Où elle reste exclue de ce qui est considéré comme le plus essentiel. le livre évoque l'histoire biblique de Marthe et Marie, et suggère l'assimilation d'Elissa à Marthe. On a plus tendance maintenant à vouloir, tout au moins dans des déclarations d'intentions, que les femmes assurent les deux postures. Mais c'est vraiment une exigence énorme, si en même temps les hommes ne prennent pas en charge une part conséquente de la part de Marthe, parce que faire peser tout sur les femmes, les quotidien, le professionnel, le sensible, l'intellectuel, les met forcément dans une situation impossible qui peut mener rapidement à un sentiment d'échec.

Aimer Augustin aura été au final la seule chose qui ait eu de l'importance pour Elissa, tout le roman évoque cet amour, dont elle ne s'affranchit pas malgré la trahison, malgré l'absence, malgré les années. le livre est au final une sorte de déclaration d'amour à cet homme, comme Les confessions sont aussi une déclaration d'amour que cet homme fait à son Dieu, qui exclut tout autre amour, comme l'amour qu'Elissa porte à Augustin lui rend impossible d'aimer quelqu'un d'autre. L'absolu de l'un répond à l'absolu de l'autre.

Un beau livre qui ouvre beaucoup de pistes de réflexion.
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