Les ingratitudes de l'amour

Il y avait quelque chose d'affreusement déprimant dans la culture des gens d'un certain âge.

« Décidément, je ne suis ni très aimable ni très chaleureuse, se dit-elle. Quand par hasard je tombe sur une femme charmante et pleine de bonnes intentions, mon premier réflexe est de me dérober. »

« C’est déjà difficile d’être un étranger, se lamentait-il, et même pour un Américain peut-être ; mais être latino-américain… c’est ce qu’il y a de plus terrible ! »

« Il n’y a que sous un climat méditerranéen que l’on peut éprouver un vrai sentiment de plaisir à boire un vin aussi âpre, se dit-il. Mais sûrement pas dans le Derbyshire. »

On a l’impression d’être plus proche du cœur des choses en s’adonnant à des tâches inférieures qu’en mettant au point le plus parfait index. De nouveau elle laissa voguer ses pensées vers sa maison et tout ce qu’il y fallait faire, et elle commença à se demander pourquoi elle était venue à ce colloque quand elle avait tellement de manières plus utiles de s’occuper. Elle dut attendre que le prédicateur laïque, dans ses prières improvisées, émît une vague allusion à « l’un d’entre nous qui était tombé malade » pour qu’elle se souvînt d’Aylwin Forbes et de sa beauté, de la façon dont il avait rouvert les yeux quand elle s’était penchée vers lui, des creux de ses tempes. La vue de cet homme lui avait fait oublier Maurice un instant. Et puis il y avait Viola qui, malgré son attitude plutôt hostile, avait l’air d’être une personne « intéressante », quelqu’un qui pourrait même devenir une amie.

C’était l’ennui quand on essayait de se rendre utile, pensa-t-elle ; on risquait si souvent de faire ce qu’il ne fallait pas.

« Mon Dieu, comme il est beau ! se dit tout à coup Dulcie. Comme un marbre grec, ou comme une statue qu’on aurait déterrée dans le jardin d’une villa italienne, les traits un peu émoussés, douée du charme de ce qui n’est pas absolument parfait. »

« Le public considère toujours les faiseurs d’index comme des bêtes de somme dénuées d’intelligence », se disait Dulcie un peu indignée, tout en souriant légèrement à une vieille plaisanterie qu’Aylwin venait de sortir ; or un livre pouvait être sauvé comme il pouvait être gâché par son index.

Ce n’était pas naturel pour un homme de vivre seul. Mais était-il vraiment seul ? Pouvait-on savoir cela ? 

Tous ces gens, dont les pensées portaient normalement sur des sujets savants, étaient humains, en fin de compte. Dulcie sortit de son lit, enfila sa robe de chambre et se donna un coup de peigne. Elle décida d’apporter une tasse de thé à Viola, qui avait probablement mal dormi après sa nuit agitée.