Comme beaucoup d'adolescentes, Jenny Marchand est mal dans sa peau. Pas d'amis, physique ingrat, caractère revêche, elle observe de loin ces adolescents populaires qui ne la remarquent même pas. Un jour d'audace folle, elle tente sa chance auprès d'un beau garçon dont elle est amoureuse. le rejet et la honte, puis le harcèlement sur les réseaux sociaux, exacerbent en elle la colère et la détresse. Perdue dans sa détresse et sa solitude, Jenny ne voit aucune issue. Mais un message change sa vie. Une inconnue lui tend la main, lui offre son amitié. Pour la première fois, Jenny a une amie, qui l'accepte, la comprend et la soutient. Alors, à corps perdu, Jenny se jette dans cette amitié empoisonnée. Quelques mois à peine suffiront à transformer l'adolescente complexée en apprentie terroriste.
Ainsi donc, comme
Anaïs Llobet dans l'excellent
Des hommescouleur de ciel,
Abel Quentin s'empare du sujet brûlant de la radicalisation et du passage à l'acte terroriste d'adolescents en perdition. Radicalisation n'est d'ailleurs pas le bon terme, comme l'a expliqué l'auteur. Jenny ne connaît rien à l'Islam, Jenny ne comprend pas, Jenny ne réfléchit pas. Elle est abreuvée sans cesse de mots et d'images de haine, échos de sa colère et de sa souffrance. Ce n'est pas une conversion, c'est un lavage de cerveau. Cela paraît impossible et pourtant… combien de parents ont vu ainsi dériver l'enfant aimé… C'est troublant, terrifiant.
Abel Quentin nous entraîne dans l'esprit de Jenny, certaines lectrices (et lecteurs) pourront se reconnaître un peu dans cette jeune fille perdue, proie idéale pour des fous en tous genres. Car elle n'est que ça finalement, une gamine paumée, qui se croit enfin acceptée, qui fait partie d'un groupe pour la première fois de sa vie, qui a l'impression d'avoir un but alors que son avenir lui semblait vide. Une gamine paumée chez qui les versets sanglants et les images de décapitation, cohabitent avec le monde de Harry Potter
Outre le récit de la descente aux enfers de Jenny, Abel Marchand nous raconte celle de ses parents. Un couple ordinaire, classe moyenne, pavillon en banlieue. Ils assistent, impuissants, à la transformation de leur fille. Ils cherchent de l'aide mais n'en trouvent aucune. La gendarmerie ne peut rien faire, les associations non plus, pas plus que le proviseur du lycée. Ils n'ont aucune prise sur leur fille, qui à 15 ans, comme on le croit souvent à cet âge, est persuadée qu'elle sait tout et que ses parents ne savent rien.
J'ai moins adhéré en revanche aux passages plus politiques consacrés au président Saint-Maxens et à son premier ministre, candidat aux présidentielles. Je n'ai jamais éprouvé grand intérêt pour la politique, les jeux de pouvoirs m'ennuient (sauf quand il est question de rois maudits ou d'un trône de fer…), les mesquineries, manipulations, petits et grands mensonges… Saint-Maxens, vieux roublard de la politique sur le déclin, et Benevento, arriviste aux dents longues, sont des personnages très réalistes, trop peut-être.
Malgré ce léger bémol, j'ai beaucoup aimé ce roman, bien écrit et percutant. Un premier roman réussi qui a figuré dans la première sélection du Goncourt.
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