L’assiduité de la nuit complète, les manies de la jouissance, les images des rêves murmurés et les effrois contés, l’abandon de la nudité puis du sommeil extraient mieux le secret que le langage, le jour, les vêtements, etc.
On n’aime qu’une fois. Et la seule fois où on aime on l’ignore puisqu’on la découvre.
Les plus belles choses du monde :
les soies du marcassin,
les marrons luisants dans leur bogue crevée,
les braises ardentes,
les livres de Tchouang-tseu,
de Montaigne, de Kenkô, de Musil,
les sources des ruisseaux,
les yeux des chevaux,
l’aube
Mais rien ne peut rivaliser en beauté
avec les deux corps de la femme et de l’homme face à face
qui soudain découvrent à leur plus grande surprise qu’ils s’aiment déjà
alors qu’ils ne se connaissent ni d’Eve ni d’Adam
et qu’ils ignorent jusqu’à leur nom
Bien plus encore que dans l'espace, c'est dans le temps que les amants doivent être désemparés par l'amour qu'ils se portent.
Il est toujours suprenant de découvrir combien la passion amoureuse et les audaces de l'étreinte peuvent être disjointes. Mais ce n'est pas sans raison : elles ne viennent pas d'un même monde. Et elles ne pénètrent pas dans une même obscurité.
Tous les amants lorsqu’ils s’aiment se retournent sur leur ombre et en s’enlaçant l’écrasent.
Le circuit, tel est le social.
Court-circuit la folie.
Hors circuit l’amour.
Aimer, c’est dépendre d’un autre comme jadis nous dépendions : de façon absolue. C’est souffrir qu’il souffre. C’est mourir s’il meurt. C’est prendre le risque de ne plus être tout entier à l’intérieur de soi. Ne plus être complété consiste à devenir vulnérable.
Or l’amour, c’est cela : la vie secrète, la vie séparée et sacrée, la vie à l’écart de la société.
… Ils forment à eux seuls une bibliothèque de vies brèves mais nombreuses. Ils s’entre-lisent dans le silence, à la lueur des chandelles, dans le recoin de leur bibliothèque, tandis que la classe des guerriers s’entre-tue avec fracas sur les champs de bataille et que celle des marchands s’entre-dévore en criaillant dans la lumière tombant à plomb sur les places des bourgs ou sur les surfaces des écrans gris, rectangulaires et fascinants qui se sont substitués à ces places.