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Tous les personnages qu’a peints Georges de La Tour sont immobiles, divisés entre la nuit où ils s’élèvent et la lueur qui les éclaire en partie. Surgissant dans l’ombre, touchés par un fragment de lueur, ils tiennent en suspens un geste incompréhensible.
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Chez Georges de La Tour, la lumière montre à l'insu des corps qu'elle montre. Ils sont surpris dans l'extase ; surpris dans la stupeur ; ou dans l'insomnie ; ou par la fatigue ; surpris dans l'application qu'ils mettent à écraser une puce ou un pou avec leurs ongles ; surpris dans l'instant où ils soufflent sur la flamme ou sur le foyer de la pipe ou sur le brandon qu'ils tiennent entre leurs doigs.
Ils ne s'adressent pas à eux qui les voit.
Ils ne regardent pas la lueur qui les éclaire sans qu'ils le sachent. Une présence les absorbe. Ils ne se mêlent pas à notre vie. Ils sont notre vie quand nous sommes à l'autre, quand nous ne sommes plus en spectacle ; quand, dévêtus, alors que nous songions à nous coucher, un songe vide, un retour à soi nous arrête en nous même.
C'est l'aimée qu'on voit dormir.
Il arrive qu'on ressente parfois de brusques appels de solitude. Même la vie amoureuse engendre à l'improviste de brusques appétits paniques de solitude.
C'est l'envie de se retrouver seul, de faire des gestes sans témoins. C'est l'envie de relâcher les traits, d'ôter son visage. À vrai dire, c'est quelque fois simplement l'envie de prendre un bain ou de se couper les ongles. Ce sont des convoitises d'ermites d'une heure ou deux. C'est l'envie de se laver le coeur dans le silence. De se chuchoter à soi-même dans le silence sa paresse et sa peur et son vide et de se savonner soi-même comme un ancien bébé.
Il y eut deux grandes chandelles dans l'histoire et elles ont coïncidé dans le temps : les leçons de ténèbres de la musique baroque, les chandelles des toiles de La Tour.
Les offices des Ténèbres, lors de la semaine sainte, constituaient un rite au cours duquel on éteignait une à une, dans le chant, les lettres hébraïques qui forment le nom de Dieu et, une à une, grâce au souffle d'un enfant en robe rouge et surplis, les bougies qui les représentaient dans l'obscurité de l'agonie.
Il fit de la nuit son royaume
Les oranges et les rouges de La Tour brûlent par-delà le temps comme des braises.
c’est le maître des nuits. C’est le maître des regards tournés en dedans. C’est le maître des paupières baissées
Georges de La Tour élut la vie quotidienne la plus simple, la plongea et la simplifia encore dans la nuit, pour la revêtir du reflet de grandeur qu’est la luisance, la couche de lumière
George de La Tour a désiré que la large chevelure blonde et bouclée traditionnelle devînt lisse et noire. Les larmes traditionnelles de la pénitente ne roulent plus sur la joue. Ce n’est pas une Vénus repentie mais une femme grave dont le corps a aimé le plaisir et qui pense.
[Les personnages qu'a peints Georges de La Tour] ne regardent pas la lueur qui les éclaire sans qu'ils le sachent. Une présence les absorbe. Ils ne se mêlent pas à notre vie. Ils sont notre vie quand nous sommes à l'autre, quand nous ne sommes plus en spectacle ; quand, dévêtus, alors que nous songions à nous coucher, un songe vide, un retour à soi nous arrêtent en nous-mêmes.