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Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Parfois il me vient à la bouche comme un gout de salé, un gout d'autrefois où la charrette de l' Ankou faisait « huick … huick » un autrefois où les noyés rodaient autour des rochers et happaient les enfants, pour être moins seuls, un autrefois où des étincelles jaillissaient sous les fers des lourds chevaux montant les cotes. Maintenant je sais que cet autrefois vivait sans dieux mais avec un au-delà parfois effrayant, parfois bienveillant.
Me vient alors à l'esprit les notes qu' Apronenia Avitia gravait sur ses tablettes de buis.
Apronenia Avitia naquit en 343.sous le règne de l'empereur Constant. Elle était patricienne, riche et vécut soixante et onze ans. Elle vit le barbare Alaric envahir Rome. Apronania Avitia « avait eu pour nourrice une jeune femme originaire de la région de Setia ; elle portait le nom de Latronia … ; elle mourut cruellement trois ans plus tard—l'année de la mort de Magnence—violée et dépecée à l'âge de vingt-deux ans au terme d'un banquet »
Elle consigne sur des tablettes de buis des achats qu'elle projette, des souvenirs, des plaisanteries, des scènes qui l'ont touchée.
Elle aime l'or, le plaisir, le souvenir du plaisir, la lyre, les barques plates qui passent sur le Tibre.

Elle n'est pas très sympathique, « Lycoris a accouché d'un enfant qui est mort au bout de quelques heures. J'assistai Lycoris dans son accouchement, accompagnée de Spatiales et de Nigrina.Je n'aime pas les chambres d'accouchement où le bébé est mort. Lycoris fit servir du vin de Syrie. le vin fut sans effet ; J'ai ressenti une tristesse qui a duré jusqu'au déjeuner, où je mangeai des huitres et des bolets. ». Devient parfois attendrissante. : « L'accent de la région de Setia. C'était l'accent de Latronia.Elle était extrêmement jeune, rieuse extrêmement belle. Elle fut assassinée l'année de la mort de Magnence. D. Avitus interdit que j'approchasse son corps. »
Superbe
Émouvant.
Mais on m'a dit que tout cela est faux, même les notes de bas de page qui ne renvoient à rien. Pascal Quignard a créé une ombre, le témoignage rêvé d'une femme dont les pensées nous seraient parvenues grâce à un arbre généalogique, une atmosphère qui est celle de l'époque dont Apronenia Avitia faisait partie. Traces de vie dans l'histoire du monde.
Superbe, émouvant,
D'un autrefois où les dieux étaient encore multiples mais qui allaient se réduire à Un ou à plusieurs Un


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IV° siècle et fin de l'Empire Romain....les tablettes de la patricienne Apronenia Avitia auraient pu insister sur cette catastrophe et pourtant, il n'en n'est rien.

Ces écrits mentionnent le quotidien, font le bilan de choses aimées à la manière des listes de dames de cour de la période Heian au Japon.
Par fragments, une vie se dessine; vie de femme, de mère ou d'amante qui magnifie les instants précieux et oublie les désastres relatifs de l'Histoire.
La puissance de la Chrétienté ou le déferlement barbare ne semblent pas ébranler l'amoureuse romaine et la femme qui vit au jour le jour.
L'Eternité, c'est l'instant qui se déguste et pas les vaines évocations de mouvements qu'un être seul ne peut embrasser.

Roman de l'éclatement ou de la pensée atomisée, les tablettes se lisent de manière archéologique; un pinceau à la main qui permet de découvrir au fond des sables de la Mémoire une pensée individuelle qui se vit et s'écrit sans souci de la postérité.
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Ce "roman" a très bien été décrit par Frandj : présentées comme un document, ces tablettes sont précédées d'une introduction qui donne des précisions sur leur auteur imaginaire, son âge assez avancé et sa vie dans une Rome décadente livrée aux chrétiens et aux barbares.
La situation envisagée est particulièrement propice à la nostalgie : celle de la jeunesse amoureuse pour cette femme vieillissante et celle d'une Rome puissante et sensuelle où le christianisme n'a pas encore apporté la honte des corps nus. Les chrétiens sont d'ailleurs décrits comme une secte redoutable à qui il est héroïque de résister encore : j'ai rarement vu un texte plus virulent que celui-ci à cet égard.
Dans ce contexte de fin du monde, Apronenia égrène ses souvenirs, mais aussi et surtout les choses "à ne pas oublier", les "bruits passionnants", les odeurs qu'elle aime. Quignard, qui aime à donner quelques indications au lecteur pour l'égarer davantage, cite - entre autres - le Livre de Chevet de Sei Shônagon dans son introduction fictive. Les tablettes font en effet écho à ce livre, où la dame de compagnie d'une impératrice japonaise du Xe siècle évoque ses couleurs, ses moments et ses objets préférés. Dans La Haine de la musique, Quignard évoque d'ailleurs à la fois chez Sei Shônagon et chez son Apronenia Avitia l'oreille tendue pour entendre un bruit de l'autre côté d'une cloison.
La préciosité de l'écriture de Quignard correspond ici avec la dimension poétique de son enjeu. J'ai pour ce texte minimaliste une fascination particulière : dire les petites choses, c'est évidemment lutter contre le temps et contre la destruction d'une civilisation aimée. Et l'imitation au plus près de Sei Shônagon donne au texte le même raffinement que son modèle. Je me souviens de l'émotion très grande que j'ai ressentie devant The Pillow book de Greenaway, qui reprend partiellement le procédé de Sei Shônagon. C'est au texte japonais que je pensais, mais à celui-ci aussi, cette fin des temps romains.
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