Terrasse à Rome, par
Pascal Quignard. Il s'agit d'un roman, mais on pourrait parler d'une chronique ou d'une biographie. le sujet paraît documenté, certains personnages n'ont rien de fictif, tel Claude Gellée dit le Lorrain, pourtant le nom de Meaume le graveur n'apparaît nulle part ailleurs que dans le roman de Guignard. C'est donc en faisant illusion que ce dernier plonge et nous entraîne dans le monde et l'art de la gravure au XVIIe siècle.
Après une période d'apprentissage à Paris et Toulouse, Meaume travaille comme graveur chez Heemkers à Bruges. Il rencontre Nanni, la fille d'un orfèvre dont il tombe amoureux fou. Elle aussi, et leur relation est brûlante, mais Nanni était promise à Vanlacre, lequel apprend la chose et se venge en défigurant Meaume avec de l'eau-forte qu'il lui lance au visage. Meaume, blessé au propre et au figuré car Nanni le rejette, se met à errer avec son matériel de gravure et ses pas l'amènent à Rome en 1643.
Meaume est habité par une passion unique qui le consume jusqu'à la pointe de son burin, et c'est le corps de celle qu'il a aimée plus que tout, Nanni. Leur rupture brutale est sa vraie blessure, et c'est pourquoi Meaume est un solitaire, s'abstient des jeux mondains d'Italie, veut rester le seul témoin de sa colère et de sa souffrance, et se console dans le noir et blanc de son art, dans les gris de scènes licencieuses, de paysages sublimes, de personnages grossiers ou raffinés, eau-forte ou manière noire, tout cela décrit avec la plus extrême précision. Il cherche aussi l'apaisement dans les bras de Marie, mais Marie ne réussit pas à lui faire oublier Nanni.
Hors de tout conformisme narratif, le roman s'écoule au long de chapitres scandés, quasi expérimentaux : langue précise, parfois sèche, érudite, interrogeant le langage, ses sens cachés, ou interpellant le savoir du lecteur, procédant par citations, sortes de sentences demandant à être vérifiées, par petites touches quand il s'agit de Meaume, ou longs développements quand l'art de la gravure est exploré. L'écriture, la construction, le ”don” au lecteur, échappent à tout classement, séduisent ou agacent, mais constituent un genre unique, tout à fait personnel. Tout comme le sens du détail, de la répétition, du rythme par l'emploi des temps ou la taille des phrases.
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Terrasse à Rome” est le livre d'une cassure à travers un personnage physiquement abimé sublimant l'ingratitude du sort en art, un art qui oscille entre représentation du détail et profusion de noir ou de brume qui ont pour effet de noyer le détail, comme un ”chapeau à large bord” masque un visage disgracieux.
Par son style, sa manière, sa poésie, c'est un livre fort, à la fois distant et poignant, qui accapare, caresse, rend visible l'invisible sans donner dans l'analyse psychologique.
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