Citations sur Contes d'amour, de folie et de mort (33)
Elle abusait de la morphine, cédant à un besoin angoissé, et à la coquetterie. Elle avait trente-sept ans; elle était grande et humectait sans cesse ses lèvres charnues d'un rouge brûlant. Ses yeux, s'ils n'étaient pas grands, le paraissaient à cause de leur dessin et de leurs très longs cils; des yeux admirables d'ombre et de feu. Elle se fardait. Elle s'habillait, comme sa fille, avec un goût parfait. Comme femme, elle avait dû avoir un charme profond; maintenant l'hystérie avait bien abîmé son corps - et naturellement, elle souffrait du ventre. Quand le coup de fouet de la morphine était passé, ses yeux devenaient ternes, et de la commissure de ses lèvres, de ses paupières gonflées, pendait tout un réseau de fines rides. Et pourtant cette hystérie qui rongeait ses nerfs était pour elle l'aliment, quelque peu magique, qui la rendait tonique.
Une saison d'amour
A l'instant Maria Elvira m'interrompt pour dire que ma dernière phrase n'est pas juste : mon récit n'est pas seulement bon, il est très bon.
[ La méningite et son ombre ]
Le train démarra. Nébel, immobile, suivi des yeux la fenêtre qui se perdait au loin.
Mais Lidia ne parut pas.
[ Une saison d'amour ]
Les yeux d'un jeune suicidé qui a fumé héroïquement sa pipe exprimeraient-ils un courage désespéré ?
Peut-être bien que oui. De toute façon le parâtre, après m'avoir regardé fixement, haussa les épaules, et releva sur mon cou le drap qui avait un peu glissé.
- Je crois que je ferais mieux d'être l'ami de ce microbe, murmura-t-il.
- Je le crois aussi, répondis-je.
Et je m'endormis.
[ Notre première cigarette ]
Il n'est pas courant que le miel sylvestre ait ces propriétés narcotiques ou paralysantes, mais cela peut arriver.
[ Le miel sylvestre ]
Je ne sais pourquoi je n'ai rien ressenti de plus. Je présume que la raison est la suivante : au lieu de m'épuiser à me défendre à tout prix, angoissé, contre ce que je ressentais, ainsi que tous ont dû le faire, et même les marins sans s'en rendre compte, j'ai accepté simplement cette mort hypnotique, comme si j'étais déjà annulé.
[ Les bateaux suicides ]
Après trois mois de mariage, Mazzini et Berta orientèrent leur amour étroit de mari et femme et de femme et mari vers un avenir bien plus vital : un enfant. Quelle plus grande joie pour deux amoureux que cette honnête consécration de leurs sentiments, enfin libérés de l'égoïsme vil d'un mutuel amour sans fin aucune, et, ce qui est pire pour l'amour lui-même, sans espoir possible de renouveau ?
[ La poule égorgée ]
Aucune époque plus heureuse que celle que nous offrit ,à Maria et à moi,notre tante avec sa mort.
Pour lui, romantique au point d'être sensible à l'état de mélancolie douloureuse que provoque une simple bruine quand elle assombrit le patio, cette enfant, avec son visage angélique, ses yeux bleus et sa jeune plénitude, devait incarner la quintessence possible de l'idéal.
Cela dit, dans une crue du Haut Parana on trouve bien des choses avant d'atteindre la grume repérée. Des arbres, bien sûr, arrachés d'un seul coup, leurs racines noires, à l'air comme des pieuvres. Des vaches et des mules mortes, en compagnie d'un bon nombre d'animaux sauvages noyés, tués par un coup de fusil ou une flèche encore plantée dans leur ventre. Des pyramides de fourmis entassées sur une souche. Et parfois, un tigre, des îlots de camalote (nénuphars), et de l'écume à foison - sans compter, évidemment, les serpents.