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Citations sur Contes d'amour, de folie et de mort (33)

Un soir j'allai là-bas bien disposé à rompre et animé, pour cette raison, d'une mauvaise humeur manifeste. Inès se précipita pour m'embrasser mais, soudain très pâle, elle s'arrêta.
— Qu'as-tu ? me dit-elle.
— Rien, répondis-je avec un sourire forcé, en lui caressant le front. Elle laissa faire, sans prêter attention à ma main, en me regardant avec insistance. Enfin, elle détourna ses yeux crispés et nous passâmes dans le salon.
La mère entra mais, sentant l'orage venir, elle ne resta qu'un moment et disparut.
Rompre, c'est un mot court, facile ; mais commencer…
Nous étions assis et ne parlions pas. Inès se baissa, écarta ma main de son visage et me fixa d'un regard douloureux, me scrutant avec angoisse.
— C'est évident…, murmura-t-elle.
— Quoi ? lui demandai-je froidement.
La tranquillité de mon regard lui fit plus de mal que ma voix et son visage s'altéra :
— Que tu ne m'aimes plus ! articula-t-elle avec une oscillation lente et désespérée de la tête.

LA MORT D'ISOLDE.
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C'était moi qui venais rompre, et on prenait les devants. L'amour-propre, un vil amour-propre touché à vif, me fit répondre :
— Parfaitement. Je pars. Puisses-tu être heureuse… une autre fois.
Elle ne compris pas, et me regarda d'un air étrange. J'avais commis la première infamie ; et comme toujours dans ces cas-là, j'ai été pris du vertige de m'avilir encore plus :
— C'est clair ! lançai-je brutalement, parce que de moi, tu n'as pas eu à te plaindre… n'est-ce pas ?
C'est-à-dire : je t'ai fait l'honneur d'être ton amant, et tu dois m'en être reconnaissante.
Elle comprit mieux mon sourire que mes paroles et, tandis que j'allai chercher mon chapeau dans le couloir, son corps et son âme s'écroulaient dans le salon.
À l'instant même où je traversai le vestibule, j'éprouvai intensément combien je l'aimais, et ce que je venais de faire. Mon envie de luxe, de mariage mondain, tout cela creva dans mon esprit comme une plaie. Et moi qui m'offrais aux enchères aux laiderons fortunés du grand monde, qui me mettais en vente, je venais de commettre l'acte le plus outrageant que l'on puisse infliger à une femme qui vous a trop aimé.

La Mort d'Isolde.
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Nous avions donc volé un paquet de cigarettes à cet individu sévère ; nous étions bien tentés de nous initier sur-le-champ à la vertu virile, mais nous attendîmes l'instrument. Il s'agissait d'une pipe que j'avais fabriquée moi-même : un bout de roseau comme fourneau, une fine tringle à rideau comme tuyau et, pour cimenter le tout, le mastic d'une vitre récemment réparée. La pipe était parfaite : grande, légère et de plusieurs couleurs.
Nous la transportâmes, Maria et moi, dans notre repaire entre les roseaux avec une onction ferme et religieuse. Cinq cigarettes y laissèrent leur tabac. Nous nous assîmes en levant les genoux, j'allumai la pipe et aspirai. Maria, qui dévorait mon acte des yeux, remarqua que les miens se remplissaient de larmes : jamais on n'a vu ni ne verra chose plus abominable. Malgré tout, je déglutis ma salive nauséeuse.
— C'est bon ? demanda Maria, alléchée, en tendant la main.
— C'est bon, répondis-je lui passant l'effroyable machine.
Maria aspira, encore plus fort. Moi, qui l'observais attentivement, je remarquai à mon tour ses larmes et le mouvement simultané de ses lèvres, de la langue et de la gorge, qui repoussaient cette chose. Mais elle eut plus de courage que moi.
— C'est bon, dit-elle les yeux pleins de larmes en faisant presque la grimace. Héroïque, elle porta à nouveau la tringle de bronze à ses lèvres.

NOTRE PREMIÈRE CIGARETTE.
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Cette nuit-là, l'eau monta encore d'un mètre, et le lendemain après-midi Candiyu eut la surprise de voir tout un banc, un véritable troupeau de grumes à la dérive qui passaient la pointe d'Itacurubi. Du bois à l'écorce blanchie et parfaitement sec.
Là, il tenait son affaire. Il sauta dans sa barque et pagaya à la rencontre de sa proie.
Cela dit, dans une crue du Haut Parana on trouve bien des choses avant d'atteindre la grume repérée. Des arbres, bien sûr, arrachés d'un seul coup, leurs racines noires à l'air comme des pieuvres. Des vaches et des mules mortes, en compagnie d'un bon nombre d'animaux sauvages noyés, tués par un coup de fusil ou une flèche encore plantée dans leur ventre. Des pyramides de fourmis entassées sur une souche. Et parfois, un tigre, des îlots de " camalote " et de l'écume à foison — sans compter, évidemment, les serpents.
Candiyu dériva, esquiva, huerta et manqua chavirer plus souvent qu'à son tour avant d'atteindre sa proie. Mais enfin il y était ; un coup de machette mit à vif la veine sanguine du bois de rose et en se courbant sur le tronc de bois il dériva de travers avec sa grume pendant quelques mètres. Mais les branches, les arbres qui passaient sans cesse, l'entraînaient.
Il changea de tactique ; il amarra sa prise à sa barque, et c'est alors que commença une lutte muette et sans merci, dans laquelle, en silence, il suait sang et eau à chaque coup de pagaie.
Dans une grande crue, une grume dérive avec une telle puissance que trois hommes hésiteraient avant de s'y risquer. Mais Candiyu n'était pas seulement très courageux ; il avait derrière lui trente ans de piraterie en eaux basses ou hautes et, de plus, il désirait devenir propriétaire d'un gramophone.

LES PÊCHEURS DE GRUMES.
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Le capital réalisable du chantier s'élevait alors à sept mille grumes — un peu plus qu'une fortune — mais comme une grume de deux tonnes, tant qu'elle n'est pas au port, ne vaut pas un clou, Casthelum et compagnie étaient bien loin de s'estimer heureux.

LES PÊCHEURS DE GRUMES.
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La mère fit clairement comprendre au jeune homme qu'elle comptait ce soir-là sur la présence de son père.
— Ce sera difficile, répondit Nébel après un silence mortifié. Il lui est pénible de sortir le soir… Il ne sort jamais.
— Ah ! lança-t-elle seulement, avec un bref pincement de lèvres.
Il y eut une autre pause, lourde de présages cette fois.
— Parce que vous ne vous mariez tout de même pas en secret, n'est-ce pas ?
— Oh ! Nébel s'efforça de sourire. Ce n'est pas non plus ce que voudrait mon père.
— Et bien, alors ?
Nouveau silence, toujours plus orageux.
— Est-ce à cause de moi que monsieur votre père ne veut pas venir ?
— Mais non, non, madame ! s'exclama enfin Nébel, impatient. Il est comme ça, c'est tout… Je lui en reparlerai, si vous voulez.
— Moi, si je le veux ? Elle sourit mais ses narines palpitaient. Faites ce que bon vous semble. À présent, Nébel, voulez-vous bien vous retirer ? Je ne me sens pas bien.
Nébel s'en fut, profondément contrarié. Qu'allait-il dire à son père ? Ce dernier persistait toujours dans son opposition catégorique à ce mariage, et le fils avait déjà entrepris les démarches nécessaires pour se passer de son consentement.
— Rien ne t'en empêche, et tu peux même faire tout ce qui te chante. Mais mon consentement pour faire de cette cocotte ta belle-mère, jamais !
Trois jours plus tard, Nébel décida de couper court à tout cela et il profita d'un moment où Lidia n'était pas là.
— J'ai parlé à mon père, commença Nébel, et il m'a dit qu'il lui serait tout à fait impossible de venir.
La mère pâlit un peu cependant que ses yeux, dans un éclair subit, s'étiraient vers les tempes.
— Ah ! Et pourquoi ?
— Je ne sais pas, répondit Nébel d'une voix sourde.
— C'est-à-dire… que monsieur votre père craint de se salir en mettant les pieds ici ?
— Je ne sais pas ! répéta-t-il avec la même obstination.
— Est-ce que c'est un affront gratuit de la part de ce monsieur ? Qu'est-ce qu'il se figure ? ajouta-t-elle d'une voix maintenant altérée, les lèvres tremblantes. Mais qui donc est-il pour le prendre sur ce ton ?
Ce fut un coup cinglant qui fit se rebiffer en Nébel le sentiment enfoui de sa race.
— Ce qu'il est, je n'en sais rien ! répondit-il à son tour avec précipitation. Et non seulement il refuse de venir, mais il ne donne pas son consentement.
— Quoi ? Il ne donne pas quoi ? Mais pour qui se prend-il ? C'est bien à lui de faire des histoires !
Nébel se leva :
— Vous ne…
Mais elle aussi s'était levée.
— Si, si ! Vous n'êtes qu'un enfant. Mais demandez-lui d'où il sort sa fortune ! Volée, volée à ses clients ! Et ces airs qu'il se donne ! Son irréprochable famille sans tache, il en a plein la bouche ! Sa famille !… Demandez-lui un peu qu'il vous dise combien de murs il devait sauter pour aller coucher avec sa femme, avant son mariage ! Oui, et maintenant il en remet avec sa famille !… Très bien, allez-vous-en ; j'en ai jusque-là de ces hypocrisies ! Et bon vent !

UNE SAISON D'AMOUR.
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Avec l'inondation l'eau filait sept nœuds et, au confluent du Guayra, le niveau était monté de sept mètres la nuit précédente. Après la grande sécheresse, les grandes pluies. Le déluge commença à midi et, pendant cinquante-deux heures consécutives, la forêt retentit d'un tonnerre d'eau. La rivière, devenue torrent, rugissait maintenant comme une avalanche d'eau rouge. Trempés jusqu'aux os, les péons, dont les vêtements collés au corps faisaient ressortir la maigreur, balançaient les grumes du haut du ravin ; chaque nouvel effort arrachait un cri de courage à l'unisson, et quand la grume monstrueuse dévalait enfin la pente par rebonds et s'enfonçait d'un coup de canon dans l'eau, tous les péons lançaient leur " a… hiju ! " triomphal.
Ensuite, les efforts acharnés dans la boue liquide, les palans qui lâchaient, les chutes sous la pluie torrentielle. Et la fièvre.
Enfin, brusquement, le déluge s'arrêta.

LES PÊCHEURS DE GRUMES.
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La seule chose qu'un tâcheron possède réellement, c'est la faculté de se défaire brutalement de son argent.

LES TÂCHERONS.
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Les jours passaient les uns après les autres, aveuglants de lumières, et lourds, avec ce vent du nord persistant qui faisait ployer les légumes flétris sous le ciel blanc et torride des midis. Le thermomètre se maintenait entre 35 et 40 degrés sans la moindre espérance de pluie. Il y eut quatre jours d'un temps chargé ; pas un souffle d'air, on étouffait et la chaleur augmentait. Et quand enfin on perdit l'espoir que le vent du sud pût transformer en torrents d'eau le feu venu du nord pendant tout un mois, les gens se résignèrent à une sécheresse désastreuse.
Dès lors le fox-terrier vécut assis sous son oranger, car quand la chaleur dépasse certaines limites raisonnables, les chiens, allongés, ne respirent pas bien. La langue pendante, les yeux entrouverts, il assista à la mort progressive de tout ce qui ressemblait à un bourgeonnement printanier. Les légumes furent vite perdus. Le maïs passa du vert clair à un blanc jaunâtre et, à la fin novembre, il ne restait qu'un champ de fines colonnes tronquées sur le noir de la terre désolée. Le manioc, héroïque entre tous, résistait bien.

YAGUAÏ.
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Jusqu’alors, chacun avait pris sur lui la part qui lui revenait dans la déchéance des enfants, mais désespérant de se racheter après les quatre bêtes qui étaient nées d’eux, ils laissèrent jaillir ce besoin impérieux d’accuser les autres qui est l’apanage des cœurs inférieurs.
Ils commencèrent par changer de pronom : TES enfants. Et comme en plus des insultes il y avait les insinuations, l’atmosphère s’alourdit.
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