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Le sourire d'Isaac, L'humour juif comme art de l'esprit » est un livre de 185 pages écrit par
Gérard Rabinovitch, philosophe et sociologue français, né à Paris en 1948. Édité chez Arte Éditions dans la collection Mango document, l'ouvrage a été imprimé en avril 2002 par Brodard & Taupin.
Chercheur au CNRS, membre du CERSES (Centre de Recherche Sens, Éthique, Société), chercheur associé au Centre de recherche « Psychanalyse, médecine et société » de l'Université Paris VII –
Denis Diderot,
Gérard Rabinovitch est persuadé que la barbarie hante l'humanité. Posant les bases d'une éthique de la désillusion, une éthique qui permet à la personne humaine de construire des barrages contre la destructivité qui habite l'espèce humaine, l'auteur a analysé à plusieurs reprises les tenants et les aboutissants de l'humour. Dans « Le sourire d'Isaac », c'est l'humour juif qu'il décortique, d'abord comme art de l'esprit, dans toute sa spécificité, mais aussi comme signe et témoignage de la culture et de l'identité juive. Soumis à une tension interne qui lui est propre, l'humour juif a, selon l'auteur, une vocation éthique, celle du bien dire (béné-diction). Effectuant un travail de décryptage et de « désembrouillement »du réel, articulant l'anthropologie psychanalytique radicale et la philosophie politique classique,
Gérard Rabinovitch pose l'humour juif comme une manière d'assumer notre condition humaine.
Qu'est-ce que l'humour juif ? On peut en donner de multiples définitions, plus ou moins tragiques, plus ou moins exactes : ce sont autant de « prêts-à-penser » (page 15), de conventions. En fait, il n'y a pas un humour juif mais plusieurs humours juifs : la tradition orale, le « rhabillage » de certaines anecdotes en fonction des contextes locaux, la consignation des invariants de la condition humaine, voilà autant de caractéristiques de cet humour. le chagrin, l'errance d'un « peuple en suspens », les tendances mortifères de l'être humain, tout comme son agressivité latente et sa fragilité narcissique, n'expliquent pas complètement les sources de cet humour, un humour où les mots mais aussi le silence entre les mots utilisés font partie d'une donne primordiale. Il faut y rajouter une autre source, à savoir « l'incomplétude structurelle et perpétuelle de l'homme » (page 36). Tout le monde connait une blague juive : il s'agit toujours d'une anecdote courte (ce qui parait normal pour un peuple habitué au passage), où règne l'autodérision, l'improbabilité (mais n'y a-t-il pas plus improbable que la naissance d'Isaac ?), une réelle lucidité, l'absence d'artifices ou de fard, et en prime la révélation in fine d'un sens ou d'une vérité précieusement dissimulée (en tous cas, qui n'était pas énoncée). L'auditeur y trouve à chaque fois une « observation clinique et radicale du comportement humain » (page 30), une observation basée sur la mise en scène de profils ou de caractères psychiques et moraux articulés au quotidien à la condition humaine. Ces anecdotes sont aussi des histoires d'hommes, dites par des pères et assimilées par des fils, lesquels y gagnent une « manière d'être au monde » et une « virilité » (page 39). Cet humour juif laisse parfois de la place au rêve, au lapsus, à côté du rire salvateur, du trait d'esprit, « proclamant l'invincibilité du Moi sur le monde réel » (page 45). L'humour juif n'est pas à confondre avec l'ironie, avec cette posture narquoise, dirigée contre l'autre, pleine d'arrogance ou de fatuité, pleine d'un rire mauvais et sarcastique. Comme le rire, l'humour juif contribue à l'épanouissement de l'homme. L'anecdote n'épuise jamais tous ses effets, ni dans le rire de celui qui écoute, ni dans le sourire de celui qui raconte ; elle noue entre eux un lien social, amenant l'un et l'autre à partager une vérité ordinairement scellée et un plaisir fugitif qui se nourrit des détresses humaines. Pour
Gérard Rabinovitch, l'humour juif est un rire de la maturité : il évite « l'artifice pompeux des postures du rebelle » et avance d'un pas décidé, drapé dans le sérieux de l'espièglerie. « Dieu ne rit pas de ses créatures, il rit avec elles » (page 67).
Dans cet ouvrage, l'auteur atteint son but, à savoir nous faire toucher du doigt (avec de nombreux exemples, des explications, des citations et des analyses fouillées et savantes), ce qu'est l'humour juif. le livre n'est pas désespérant, bien au contraire : il faut prendre les choses avec philosophie, recul et humour, et vivre à fond comme si on devait mourir demain. En bref, voici un ouvrage sérieux sur un sujet qui ne l'est pas moins. Certains trouveront qu'il ne s'agit pas d'une étude très complète, qu'il y a trop d'anecdotes et trop de jargon psychanalytique, qu'il n'y a pas de fil conducteur et que le nazisme et la Shoah sont omniprésents. Pour ce carnet de travail et ces anecdotes succulentes en forme de petit florilège (cf. mes deux citations), je mets quatre étoiles.