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Critique de Christw


"...nous ne voudrions pas accabler indûment la mémoire de Berl.
Simplement y voir un peu clair, ce qui est peu commode, il faut bien l'avouer."

"Il joue avec les idées comme on joue à la balle et avec les mots comme on fait du cerceau. Il les pousse devant lui, espérant qu'ils vont rouler le plus longtemps possible sans tomber", écrivait Pascal Jardin. Emmanuel Berl ne sera jamais un «grand», de très belles pages mais pas une oeuvre, ni un Malraux ni un Proust, parce qu'il porte en lui la conviction de "n'être rien ou peu s'en faut", de n'avoir pas à accomplir la destinée de poète ou professeur célèbre que souhaitait sa mère, éplorée par deux brillantes carrières familiales fauchées tôt par la maladie. Emmanuel fuira cette "mortifère obligation d'excellence".

Henri Raczymow situe son approche dès la fin du premier chapitre : "J'ai l'air d'écrire sur quelqu'un que je n'aime guère". Et de rappeler Sartre écrivant quatre mille pages sur Flaubert qu'il détestait et le Swann de Proust aimant des années une femme qui n'était pas son genre.

Car s'il apprécie l'écrivain, celui de "Rachel et autres grâces" ou de "Sylvia", il voit une première objection dans les contradictions du penseur : "... comme il dit une chose et son contraire, s'agissant précisément de ses idées, on a peine à le suivre, à le croire dans un sens ou dans un autre; de fins connaisseurs le tiennent davantage pour une girouette que pour un poteau indicateur. Clairement, il n'est ni Sartre, ni Raymond Aaron, tant s'en faut." Un tel esprit ne pouvait se rassembler en ce que l'on appelle une oeuvre.

Une seconde objection réside dans la molle complaisance pour les idées de son ami Drieu de la Rochelle : "Cette bouillie de l'idéologie, c'est justement ça, le fascisme : [...]. Je ne sais jusqu'à quel point Berl s'est laissé faire." Il semblait plus difficile à Berl d'être délaissé par l'ami que d'acquiescer à ses thèses pernicieuses. Henri Raczymow s'attarde aussi sur l'attitude conciliante de Berl et son épouse Mireille (la troisième) durant le régime de Vichy ("comme des coqs en pâte").

Les grâces, celles que Berl voit comme une "parfaite justesse qu'il a peur de troubler", touchent beaucoup Raczymow.
Berl distingue ainsi l'amitié de fait (Henri Durand) d'une autre qui resta potentielle (un certain Anceau). Cette dernière, qui ne fructifia pas, demeure à jamais une grâce, supériorité de l'inaccompli sur une amitié qui intégra sa vie : "Nous sommes là dans la littérature, alors qu'avec Henri Durand nous ne sommes que dans le souvenir, émouvant peut-être mais commun. [...] ... la grâce berlienne jouxte la littérature, voire se confond avec elle, il n'y a qu'elle qui puisse en rendre compte, la donner à voir."
L'essayiste nous gratifie ensuite de beaux passages sur la grâce berlienne, bonheur entrevu et inabouti : "En somme la grâce est un «hors-texte», ou encore une «ouverture» dans le tableau, une brèche où vient se deviner tout un autre monde, mais deviner seulement, sans assurance aucune, sans certitude...".

Patrick Modiano et Jean d'Ormesson ont eu de larges entretiens (publiés) avec le vieil écrivain mondain, auxquels se réfère largement "Mélancolie d'Emmanuel Berl" : "C'est parce que Berl aura connu tout le monde, que tout le monde voudra, plus tard, le connaître, le rencontrer".

Il y eut aussi l'effarant ballet de séparations et réconciliations avec Suzanne Muzard, "LA rencontre", rivalité avec Jean Breton, imbroglio qui peut faire douter du sérieux d'hommes d'esprit aux prises avec des passions folles, à l'image de ces années-là.

En guise de conclusion, je trouve celle de Loïc di Stefano dans le salon littéraire de Linternaute très appropriée : "C'est cela, sans doute, dont Raczymow a la mélancolie, d'un homme qui avance sans ligne de carrière, qui tâtonne sa vie au fil des ans, dont la fragilité humaine touche. Et c'est ce qu'il parvient à faire, donner au lecteur le portrait d'un homme complexe et simple à la fois, dans une langue délicieuse et toujours vive. Gageons qu'il parviendra à rendre un peu de lumière à Berl, qui ne mérite pas d'être oublié."

Un excellent essai biographique, d'une prose délicieuse, en effet.


"Car il n'aspire nullement à agir, à jouir d'un quelconque pouvoir sur les choses et les hommes.
Ce n'est pas sa tasse de thé. Qui est de réfléchir sur les choses et les hommes.
Comme et quand il l'entend."

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