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Je ne saurais trop vous dire pourquoi mais la période des Troubles en Irlande m'a toujours interpellée. Cette histoire de religion, de violence, de haine, de vengeance, de pouvoir en Irlande qui perdure depuis des siècles est plus que poignante.
Je me souviens encore nettement de mes lectures de "Mon traître" et "Retour à Killybegs" de Sorj Chalandon ou encore des titres de la série Sean Duffy d'Adrian McKiinty sur le conflit. Vous me direz rien à voir avec "Ne dis rien" puisque ce sont des fictions. Bien vrai, mais ça nous donne une idée de l'ambiance et du quotidien des Irlandais durant ces pires moments des Troubles.
Patrick Radden Keefe a réussi un titanesque travail journalistique pour nous relater l'histoire de ce conflit, ses tenants et aboutissants à partir d'un sinistre épisode de ce conflit. Une mère de 10 enfants, Jean McConville, est enlevée au vu et su de ses enfants, de ses voisins, de tout le quartier et ne reviendra jamais. Une mère de famille, veuve, déprimée, pauvre, qui tire le diable par la queue pour assurer le minimum à sa famille sera la cible de l'IRA. Et on se demandera pourquoi . Et de là, l'auteur nous ramène aux premières manifestations de 1960 jusqu'à nos jours et avec lui, nous revivons l'histoire de ce conflit sanglant qui terrorise le pays et presque tout le Royaume Uni. Conflit qui nous étonne à l'époque d'une Europe qui vit en paix. On nous rappelle les grèves de la faim, les grèves de l'hygiène des prisonniers "politiques", les attentats à la bombe de Londres et d'ailleurs, les enlèvements, les règlements de comptes pour ceux qui "parlent trop"...Toujours cette loi de l'Omerta.
Le travail de Patrick Radden Keefe, en se plongeant dans les archives, en lisant tous les documents, en réécoutant les entrevues des disparus, en interrogeant les protagonistes encore vivants, est inestimable pour la compréhension du fonctionnement de l'IRA, de sa volonté et de ses objectifs. La lumière est mise sur certaines zones d'ombres, des secrets nous sont confiés et on s'aperçoit que le prix à payer est élevé pour qui voudrait se détourner de l'IRA. Une lecture , je dirais parfois consternante, embarrassante, j'ai souvent été outrée, indignée, j'ai parfois suffoqué mais cette lecture reste des plus instructives. Un travail, une enquête journalistique qui se lit comme un roman et qui nous prend aux tripes avec ce titre « Ne dis rien « qui dit tout…
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Quand j'étais adolescente dans les années 70, j'étais très marquée par les images du conflit anglo-irlandais en Ulster Irlande du Nord, conflit qui pouvait paraître anachronique dans une Europe pacifiée.
L'auteur nous permet de mieux comprendre les tenants et aboutissants de ce conflit, qu'on croyait éteint depuis les accords du Vendredi saint de 1998, mais qui semble ressurgir depuis le Brexit, l'effet de ce Brexit ayant institué une frontière maritime entre l'Ulster et le reste du Royaume-Uni, ce qui alimente de vives dissensions.

A l'origine deux communautés qui s'opposent dès les années 60: des catholiques irlandais "républicains" qui souhaitent la réunification de l'Irlande avec sa voisine du Sud, l'Eire, et, de l'autre côté, des "unionistes-loyalistes", fidèles à la couronne britannique, et plus royalistes que la reine si on peut dire, cette dernière communauté représentant des protestants issus pour la plupart des colons anglo-écossais venus s'installer en Irlande sous Cromwell, au 17ème siècle et bénéficiant de meilleures opportunités économiques que les catholiques.

Le journaliste Patrick Radden Keefe, américain d'origine irlandaise, a rassemblé une documentation considérable pour réaliser ce roman qui est plutôt un récit journalistique mettant en scène des personnages ayant vraiment existé. Pendant 4 ans il a réalisé nombre d'entretiens, même si certains ont refusé de lui parler, notamment Gerry Adams ancien leader du Sinn Fein, le parti pro-irlandais.

Le livre commence en 1972 à Belfast, Irlande du Nord. Jean McConville est une femme de trente ans, veuve, qui vit seule avec ses dix enfants dans le quartier Divis Flats de Belfast, le bastion de la résistance catholique. Elle se sent mal à Belfast, car issue d'une famille protestante, elle est veuve d'un soldat catholique. Elle est enlevée chez elle par des inconnus et les enfants ne la reverront jamais, beaucoup d'entre eux devront affronter les dures réalités d'orphelinats sordides où les maltraitances sont nombreuses.

Jean McConville sera l'une des 16 personnes disparues pendant cette période des Troubles (1969-1998).
Son destin va être lié à celui de Dolours Price qui sera la première femme à être admise dans les rangs de l'IRA. Elle et sa soeur Marian ont participé à des attentats à la voiture piégée, notamment celui devant le palais de justice londonien Old Bailey, en mars 1973. Dolours et Marian vont s'illustrer ensuite par une spectaculaire grève de la faim en prison, allégorie de la grande famine en Irlande au 19ème siècle.
Après leur libération Dolours va renoncer à la violence, épouser un acteur de théâtre connu et Gerry Adams cherchera une solution politique qui mettra fin au conflit avec les accords du Vendredi saint en 1998. Pas de camp gagnant mais un partage du pouvoir.. et une chape de plomb qui s'abat sur le pays, d'où le titre...

Le livre dévoile le fonctionnement de l'IRA et on découvre quelques personnalités légendaires de l'époque comme Gerry Adams, Brendan Hugues, les soeurs Price...Il montre la violence de la société nord-irlandaise de l'époque et montre aussi le rôle des différents acteurs, comme celui des Etats-Unis qui ont livré des armes aux pro-irlandais pendant cette période, en liaison avec leur forte population de souche irlandaise...
Bref c'est un livre passionnant, pour tous ceux qui s'intéressent au Royaume-Uni et au devenir de l'Europe après le Brexit....
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Superbe enquête journalistique consacrée au conflit Nord-irlandais, écrite par l'américain Patrick Radden Keefe journaliste du New Yorker.

L'auteur prend comme point de départ de son récit un événement récent : la reprise en 2013, d'une enquête policière sur l'enlèvement en 1972, à son domicile et devant ses enfants, par plus d'une dizaine de ravisseurs (dont certains voisins de la famille) de Jean McConville, veuve irlandaise de Belfast.

S'en suit un retour en arrière, à la fin des années 1960. L'auteur retrace alors toute l'histoire du conflit qui s'étend jusqu'à la fin des années 1990. On explore en profondeur cette période de l'histoire irlandaise communément appelée "les Troubles", avec en fil rouge l'enquête concernant le destin tragique de Jean McConville.

Écrit dans un style journalistique fouillé, très clair et bien rythmé, l'ouvrage nous permet de comprendre et d'analyser les différentes facettes de tous les protagonistes du conflit, qui ne sont ni tout noir ni tout blanc.

On s'intéresse ainsi à toutes les franges du militantisme républicain irlandais, avec un passage intéressant consacré à la lutte féminine au sein du mouvement. Mouvement aux idéaux justes, qui vont malheureusement servir de justification au terrorisme dans lequel va s'enliser la part radicale des républicains. L'enquête depeind aussi la barbarie officieuse de l'État britannique qui n'hésite pas à recourir aux assassinats ciblés pour faire taire la protestation.

Mon seul regret est que l'auteur ne nous en dit pas assez sur les loyalistes, opposants des républicains. Pour être complet il aurait pu s'attacher à leur parcours, mais il reste focalisé sur l'IRA.

Tour à tour documentaire historique, journal de guerre, roman d'espionnage et enquête policière, ce récit nous tient en haleine de la première à la dernière page.
Je le recommande à tous ceux qui souhaitent se familiariser avec ce pan de l'histoire du Royaume-Uni, dont les conséquences restent d'actualité.
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L'enlèvement et la disparation de Jean McConville une nuit de décembre 1972 est le fil rouge de cette enquête journalistique. Qui peut en vouloir à une mère de dix enfants, veuve, demeurant dans les Divis Flats, ces fameuses barres d'immeubles de Belfast-Ouest?
C'est autour de cet épisode tragique - une démonstration exemplaire en quelque sorte - que va se cristalliser la démarche de Patrick Radden Keefe. le parti pris adopté n'est pas celui de l'historien des années de lutte en Irlande du Nord. L'histoire, les Troubles, c'est la toile de fond. le texte se focalise sur l'IRA, la branche armée du Sinn Féin irlandais, ses actions, son modus operandi, ses codes.
Lorsque les accords du Vendredi saint en avril 1998 réinstaurant la paix seront signés, un deuxième volet s'ouvrira avec des enquêtes, des procès, des témoignages recueillis de façon assez extraordinaire par le Boston College dans le cadre du projet Belfast et la délicate problématique des mouchards et des disparus. Pas les 3000 disparus du Chili, ni les 30 000 d'Argentine, une vingtaine de personnes mais qui trente ans plus tard hantent toujours les consciences. Si les attentats terroristes, les bombes et les désastreuses grèves de la faim sont restés dans nos mémoires et appartiennent au passé les braises couvent toujours sous la cendre.
Patrick Radden Keefe s'attache à deux personnalités emblématiques des années 70-80, Brendan Hughes et Dolours Price. Des activistes de premier plan ayant purgé de longues peines de prison, pour lesquels l'amnésie n'est pas possible. Leur expérience, leur idéalisme, leur devenir ne peut nous laisser indifférent.
Les forces d'intervention britanniques, les unionistes et même Margaret Thatcher sont juste évoqués. En revanche l'auteur n'épargne pas Gerry Adams, le chef de la branche politique du Sinn Féin. Négociateur d'une paix fragile, mais durable, son attitude personnelle ambiguë cristallise bien des rancoeurs.
Le livre abondamment primé, est dur et éprouvant. Pas de sensationnalisme, pas de pathos mais une empathie réelle envers certains personnages. Certaines images restent gravées dans la mémoire. L'émotion et la réflexion se font face.
Une lecture qui rend hommage aux victimes d'un système implacable non assumé et qui donne la parole post-mortem à des héros fatigués, usés rompant l'omerta toujours présente : «Ne jamais rien dire ».
Un ouvrage passionnant.
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Le livre démarre comme une enquête : Belfast 1972. Jean McConville, mère de famille élevant seule ses dix enfants est enlevée à son domicile et disparaît. Qui est responsable ? L'IRA ?
L'auteur tresse habilement cette enquête avec une relation du conflit nord-irlandais de 1921 à « l'accord du Vendredi saint de 1998 », en insistant sur la terrible de la période des « troubles » et ses suites, qui vit catholiques et protestants nord-irlandais s'affronter dans le sang. Les causes du conflit seront expliquées avec clarté, ainsi que son déroulement. le lecteur fera connaissance avec ses principaux acteurs, les soeurs Price, le martyr Bobby Sands, Brendan Hughes et bien d'autres dont l'ambigu Gerry Adams.
C'est un magnifique travail d'enquête et d'investigation historique qui se lit comme un roman. le style est alerte et précis, sans fioriture, le récit est bien mené.
L'auteur pose avec raison et humanité le problème de la violence et surtout celui de la mémoire et de la vérité des faits. Car il ne peut y avoir de réconciliation sans mémoire, et sans que la vérité des faits soit établie devant tous.
Un superbe livre à lire absolument par ceux que le conflit irlandais, si près de nous, intéresse.
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De l'Irlande du Nord je gardais en mémoire mes années lycée et fac' à travers des films comme Hidden Agenda de Ken Loach ou Au nom du Père avec Daniel Day Lewis. Ne dis rien n'est pas un livre d'histoire. D'ailleurs l'auteur le dit en précisant que c'est un livre de journalisme narratif. C'est axé sur les Troubles et particulièrement la guerre larvée très dure sur la période de 1969 jusqu'aux Accords du Vendredi saint en 1998 et toutes les conséquences jusqu'à aujourd'hui. C'est volontairement centré sur l'IRA et plus spécifiquement sur des figures très fortes de l'IRA: les soeurs Marian et Dolours Price, Brendan Hughes et le très trouble Gerry Adams. Des analyses de certaines méthodes utilisées par l'armée britannique mais très peu de choses sur les loyalistes, les unionistes. Nous sommes dans l'IRA, les Provos particulièrement, la branche armée. On part de l'enlèvement de Jean, mère de 10 enfants, veuve en décembre 1972. Ses enfants l'ont attendue mais elle n'est jamais rentrée. Ses enfants ont vécu l'enfer : pauvreté extrême, malnutrition et placement en institution où certains ont été violés. Pourquoi cette veuve de 38 ans a été enlevée et par qui ? Et là on déroule l'histoire complexe et traumatisante de l'IRA à travers les soeurs Price, Hughes et Adams mais pas que. Il y a aussi tou.tes les autres : Bobby Sands, mort d'une grève la fin, Scap' l'enfant d'immigrés italiens chargés des mouchards au sein de l'IRA, de Kitson, gradé de l'armée britannique qui ne fera que reprendre la théorie de la contre-insurrection pour l'appliquer à Belfast mais aussi Seamus, Kevin, Pat etc...

Que nous dit ce livre ? Que certes l'Irlande du Nord est occupée par le Royaume-Uni, que les Catholiques ont subi des discriminations, des humiliations, des exécutions sommaires, des détentions arbitraires dignes des dictatures sud-américaines qui se mirent en place dans les mêmes dates en pleine Europe et construction européenne sans que personne ne dise trop rien, qu'il s'agissait de se battre comme de vrais soldats pour récupérer sa liberté et se réunifier à la République d'Irlande (le Sud). Mais à quelS prix ? Je mets un S à prix car ils sont plusieurs et ils sont chers.

L'auteur nous entraîne jusque dans la psychologie de certains acteurs. Car il ne faut pas croire, être un héros ou héroïne de l'IRA, faire la grève de la faim en allant au bord de la tombe, poser des bombes, enlever, torturer et exécuter même des mouchards, cela ne peut pas vous laisser indemnes. Sauf à être un.e véritable sociopathe négationniste sur son parcours. Cela ne s'efface pas surtout quand on se sent trahi.e, lâché.e par le haut commandement qui chemine patiemment vers la solution politique sans vous embarquer, vous laissant avec vos culpabilités.La blessure psychologique.

C'est un livre qui ne tombe pas dans le pathos, qui prend du recul et de la distance. Pas de panique si vous ne connaissez rien ou très peu sur les Troubles vous ne serez pas perdu.e.

Et Jean la mère de famille dans tout cela ? Une idée, une piste très claire de qui a fait quoi et quand nous sont proposées. Et elles se tiennent. Jean a été exécutée et enterrée quelque part puis sa dépouille retrouvée. Elle fait parti des disparus: ces hommes et femmes enlevé.s par l'IRA car accusé d'être des mouchard.es, tué.es et enterré.es quelque part. Dignes desaparecidos du Chili ou d'Argentine. Outre sa dépouille, Jean est réhabilitée. Elle n'était pas une moucharde comme s'efforce encore de la faire passer l'IRA . Son tort fut d'être protestante mariée à un catholique vivant dans un quartier catholique qui un soir apporta un peu de réconfort à un jeune soldat britannique qui venait de se faire mortellement touché par balles.

Et la réunification de l'Irlande du Nord à la république d'Irlande ? Peut-être viendra-t-elle par la natalité dynamique des catholiques. Cette poussée constante pourrait déboucher sur un référendum. Ou alors serait-ce encore plus surprenant ? le Brexit serait-il la clé ? Et donc les Troubles n'auront pas gagné et la victoire serait...un référendum sur l'UE.
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Ne dis rien est un document au contenu extraordinaire, et qui plus est, écrit de façon fluide, précise et très agréable à lire.

Partant de l'enlèvement et de la disparition en 1972 à Belfast – l'année la plus meurtrière des « Troubles » – de Jean McConville, une veuve de 38 ans et mère de dix enfants, Patrick Radden Keefe nous offre ici le meilleur du journalisme d'investigation. Ne dis rien, c'est quatre années de recherche et d'écriture, sept voyages en Irlande du Nord et des entretiens avec plus d'une centaine de personnes. « Cet ouvrage n'est pas un livre d'histoire, mais de journalisme narratif. Aucun dialogue ni détail n'a été inventé ni imaginé ; lorsque je décris les pensées des protagonistes, c'est qu'ils me les ont rapportées, ou les ont confiées à d'autres personnes. ».

Habilement et sans que nous ne perdions jamais le fil – ni pied –, Patrick Radden Keefe va retracer les grandes lignes de l'histoire de l'Irlande et du conflit nord-irlandais. Surnommé « Troubles » – alors que ce fut une guerre sanglante -, il débute en 1969 (mais prend racine bien avant) et se termine officiellement en 1998, avec l'accord du Vendredi Saint.

En entremêlant au fil rouge de l'enquête sur Jean McConville, les voix de Dolours Price (c'est elle sur la couverture), Brendan Hughes et Gerry Adams, tous les trois républicains, l'auteur a construit un livre aussi fort que passionnant. Dolours Price et Brendan Hughes sont des combattants de l'IRA provisoire de la première heure et Gerry Adams quant à lui – en niant aujourd'hui toute implication dans l'IRA – fut un de ses chefs, et plus tard dirigeant du Sinn Féin, son bras politique.

En janvier 1969, de Belfast à Derry, a lieu une marche pour les droits civiques.

Henry VIII et les Tudors au XVIème siècle ont parachevé l'assujettissement total de l'Irlande à l'Angleterre. Puis au fil du XVIIème siècle, des protestants venus d'Ecosse et du nord de l'Angleterre instaurent un système de colonies, réduisant les autochtones à un rôle de métayers et de vassaux sur leurs propres terres. L'insurrection de Pâques 1916 et la prise de la Poste de Dublin vont déboucher sur une guerre d'indépendance, qui s'achèvera en 1921 par une partition de l'île : au sud, 26 comtés, c'est l'Etat libre d'Irlande (aujourd‘hui la République d'Irlande), au nord, 6 comtés restent sous contrôle britannique ; c'est l'Irlande du Nord (que les Républicains appellent le nord de l'Irlande), où les catholiques ne restent plus ou moins que des citoyens de seconde zone.

Marche pour les droits civiques des catholiques, donc, inspirée de celles des États-Unis. Dolours Price y participe avec sa soeur Marian. Elle a dix-huit ans. Elle est issue d'une famille républicaine – une de ses tantes a eu les mains arrachées et a perdu la vue en fabriquant une bombe quand elle était jeune), mais Dolours adhère à une certaine vision du socialisme qui pense que l'IRA traditionnelle a échoué, il y a une autre solution, qui est d'unir les deux classes ouvrières (catholique et protestante) dans une Irlande unie. Cette marche du 1er janvier 1969 est pacifique. « Les étudiants pensaient que même les injustices les plus enracinées pouvaient se combattre de façon pacifique : on était en 1969 et, dans le monde entier, les jeunes semblaient donner le ton ». Mais au bout de quatre jours de marche, ils se font violemment tabasser par des contre-manifestants. Et les soeurs Price se radicalisent.

« Lorsque les Troubles éclatèrent, l'IRA était pratiquement moribonde ». Son surnom : I Ran Away. Mais au début des années 1970, on voit apparaitre une frange dissidente : l'IRA provisoire, ouvertement tournée vers la résistance armée (ils sont surnommés Provos). L'ancienne IRA prend alors le nom d'IRA officielle (surnommés Stickies – car ils ne faisaient que coller des affichettes).

Et c'est là que je réalise que ma chronique va faire au moins dix-huit pages. Je ne vois pas comment, sinon, je pourrais vous en partager le quart du début d'un huitième du contenu. Mon fils vient de me dire : tu as une solution, Ne dis rien. Hahaha. Ou comment écrire ma chronique la plus courte : « si le sujet vous intéresse, lisez ce livre ab-so-lu-ment. ».

Un titre lourd de sens, aussi. Ne dis rien. L'IRA étant une organisation illégale, il y avait une obsession du secret. Mais aussi : « depuis des siècles, les informateurs étaient considérés comme la pire espèce de traitres en Irlande. Collaborer avec les Britanniques faisait de vous un paria. ». « Les Troubles avaient engendré une culture du silence ». Puis après l'accord du Vendredi Saint, le silence reste d'or. En Afrique du Sud a été mis en place une démarche du type : parle et dis la vérité, tu auras l'immunité. Mais un vainqueur évident avait émergé de l'Apartheid, alors que les Troubles ont abouti à une sorte d'impasse. C'est là que le Projet Belfast prend sa place à l'université de Boston : recueillir des témoignages, pour établir « une étude de la phénoménologie de la violence sectaire », pour faire réfléchir les générations futures.

Dans Ne dis rien, on va suivre le Bloody Sunday, les procès, les emprisonnements, les grèves de la faim – Bobby Sands en est mort, Dolours Price et Brendan Hughes en ont gardé de très lourdes séquelles. J'ai d'ailleurs appris que les grèves de la faim sont une « […] longue tradition de résistance irlandaise. Depuis le Moyen-Âge, les habitants de l'île se servaient du jeûne pour exprimer leur désaccord ou leur désapprobation. C'était une arme d'agression passive par excellence. ». Les différentes factions, les agents infiltrés (l'armée a essayé d'infiltrer les groupes paramilitaires loyalistes et républicains), le projet Belfast. Je connaissais pas mal de choses sur la période, mais j'en ai appris dix, vingt, peut-être cent fois plus. On va suivre l'évolution des attentats vers les pertes humaines, vers la politisation du conflit, puis la paix, puis les années ensuite.

J'ai trouvé que Patrick Radden Keefe nous offrait un point de vue sans manichéisme. Des personnages qui évoluent, des idéaux et de larges zones d'ombre. Et toujours le fil rouge de Jean McConville, qui a l'habileté de nous ramener à un élément humain et ambigu dans ce conflit. Elle était protestante, mariée à un catholique. Logée dans Divis Flat, un complexe de tours modernes pour les catholiques de Belfast – j'ai tellement pensé au Brewster Project, construit pour les Noirs de Détroit ! (Là où nous dansions de Judith Perrignon). Accusée d'être une moucharde. Les disparitions forcées, très utilisées en Amérique du Sud et classées comme crime contre l'humanité, sont un enfer d'incertitude pour les proches. Je retiens le calvaire des enfants McConville, placés en institution.

Maintenant, je veux relire Mon traitre de Sorj Chalandon (on parle brièvement de Donaldson dans Ne dis rien), je veux lire une bio de Bobby Sands et Voices from the Grave, une retranscription du témoignage de Brendan Hughes pour le Projet Belfast. J'ai été très touchée par les parcours de Dolours Price et Brendan Hughes.

Ne dis rien a été un immense coup de coeur. Une enquête construite avec talent, un livre écrit au plus près de l'humain, si le sujet vous intéresse, c'est à découvrir absolument. Et j'ai l'impression d'avoir raté la moitié de ce que j'aurais dû vous en dire !

« [Avril 1998] Enfin, le vendredi saint, les négociateurs émergèrent des lieux pour annoncer qu'ils étaient parvenus à un accord qui satisfaisait toutes les parties – un plan d'action pour mettre fin au conflit qui durait depuis tente ans. L'Irlande du Nord restait intégrée au Royaume-Uni, mais disposait de sa propre assemblée et de liens forts avec la République d'Irlande. L'accord reconnaissait que la majorité des habitants de l'île souhaitaient l'unification de l'Irlande – mais aussi que la plupart des habitants des six comtés préféraient rester au sein du Royaume-Uni. La clé de voûte du traité résidait dans le principe de « consentement » : si, à un moment donné, la majorité des habitants d'Irlande du Nord voulaient rejoindre la République, les gouvernements du Royaume-Uni et de l'Irlande seraient dans l' « obligation formelle » d'honorer ce choix » : Quelles conséquences avec le Brexit ?
Lien : https://lettresdirlandeetdai..
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Ne dis rien” m'avait été conseillé par un ami irlandais. Les Troubles restent assez peu connus, mais je trouve cette période de violence politique passionnante, car on oublie souvent que Belfast a longtemps été l'une des villes les plus dangereuses d'Europe. Ici, Patrick Radden Keefe, journaliste américain, retrace les grands événements qui ont secoué l'Irlande du Nord à travers un enlèvement resté longtemps sans résolution : celui de Jean McConville, une mère de 10 enfants.

J'ai beaucoup apprécié le livre notamment grâce à la grande recherche qu'a effectué l'auteur, on sent son travail journalistique, de grande qualité. L'écriture est claire et directe, permettant de saisir facilement des éléments politiques parfois complexes, car les personnes qui ont pris part aux Troubles font montre de personnalités complexes. le livre n'émet pas de jugement quand il tente de démêler les intrications complexes qui parcourent cette période, traversée par la violence et les trahisons, mais aussi une dévotion à la cause des Républicains qui frôle le fanatisme.

Patrick Radden Keefe passe d'un point de vue à l'autre avec une grande fluidité. On explore l'histoire de différentes figures de l'IRA ou des troupes britanniques, notamment Dolours Price, activiste nord-irlandaise connue pour avoir posé des bombes à Londres, Brendan Hugues, un membre haut placé de l'IRA, et bien sûr Gerry Adams, leader nord-irlandais dont le positionnement se révélera très trouble. Chacun montre la complexité de l'engagement politique et l'escalade de la violence et de la vengeance qui ne semble jamais en finir. D'autant plus que les Troubles sont extrêmement récents et que certaines personnes évoquées sont encore vivantes, voire que certaines découvertes et vérités ont été révélées tout récemment. Pour rappel, l'Accord du Vendredi Saint, qui a mis fin à trente ans de conflits, a été signé en 1998.

On sous-estime souvent la violence des Troubles. Ne dis rien replace le récit dans son contexte : Belfast était régulièrement déchirée par des fusillades. Une scène marquante est celle où les enfants McConville doivent déplacer leur matelas au centre des pièces de leur maison pour éviter les balles perdues. Ils le faisaient si souvent qu'ils avaient l'impression de ne jamais dormir dans leur lit. Ou l'histoire de Birdie, la tante de Dolours Price, qui est devenue aveugle et a perdu ses mains en fabriquant une bombe. Mais aussi les tortures, les enlèvements, les attentats… L'histoire de l'Irlande du Nord est entachée d'une violence qui hante toujours ses habitants.

La force du livre tient aussi de son aspect sur l'espionnage. La duplicité est très présente. Les informateurs et agents doubles sont nombreux et même s'il s'agit de non-fiction, les événements sont assez récents pour nous apporter son lot de surprises, voire de rebondissements. En effet, certaines révélations sont très récentes et mettent en lumière la grande complexité du conflit. Les pages suintent d'une forme de paranoïa, où il n'est plus possible de différencier ses amis de ses ennemis.

Ce qui est très marquant quand on retrace les destins individuels des figures qui ont pris part aux Troubles, c'est la puissance de leur engagement, qui mêle vocation religieuse et politique. L'auteur semble mettre en exergue l'aspect trouble de l'usage systématique de la violence pour faire entendre sa voix. Les personnages eux-mêmes, usés par des dizaines d'années d'engagement, parfois de la prison et des grèves de la faim (action privilégiée par les provos capturés), questionnent leur propre passé. Dolours Price en particulier, atteinte de troubles psychologiques à la fin de sa vie, montre une fois de plus à quel point l'engagement est complexe et qu'il est difficile de faire face à son passé.

Le poids du passé et l'importance de la mémoire sont également des sujets qui traversent le livre. Ainsi, des universitaires du Boston College ont enregistré les témoignages d'anciens membres de l'IRA pour garder des traces concrètes de l'époque. Cependant, là encore, le procédé est difficile car les protagonistes ne souhaitent pas toujours évoquer ces périodes, en particulier car l'IRA a pour credo une loi du silence impitoyable, qui si brisée peut conduire à des exécutions. C'est la raison pour laquelle des familles sont restées sans nouvelles de leurs proches disparus pendant des années, dans l'impossibilité de faire leur deuil.

Si vous voulez en savoir plus sur les événements d'Irlande du Nord, “Ne dis rien” est indispensable. L'enquête minutieuse de Patrick Radden Keefe permet de saisir les enjeux d'une période complexe qui n'a pas encore révélé tous ces secrets. Les vies mouvementées évoquées posent la question de la violence dans l'engagement politique, de sa légitimité mais aussi de la puissance des vocations. Enfin, l'ensemble permet également de noter l'importance de la mémoire mais aussi de mettre fin à la culture du secret.
Lien : https://lageekosophe.com/202..
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Je continue ma lancée de lectures sur l'Irlande du Nord avec un livre de "journalisme narratif", selon les termes de son auteur, l'Américain Patrick Radden Keefe. Celui-ci a mis 4 ans pour écrire ce petit pavé de plus de 500 pages en édition de poche qu'est Ne dis rien.

Décembre 1972. Jean McConville est kidnappée chez elle, sous les yeux de ses 10 enfants, dans le sordide quartier de Divid, où ont été relogés les catholiques expulsés des quartiers où ils vivaient jusque-là avec une majorité protestante. Qu'est devenue Jean, jeune veuve de 38 ans ?

1er janvier 1969, la jeune Dolorous Price rejoint la manif pour les droits civiques, avec sa soeur Marian. Elle est l'une des plus jeunes manifestantes, d'une beauté remarquable, un fort caractère et une tendance marquée pour l'irrévérence et le cynisme. Ce n'est pas un personnage de roman, mais bien une personne ayant réellement existé, dont nous allons suivre la trajectoire de vie hors normes : une vie dédiée à l'IRA Provisoire, pour ne pas dire sacrifiée à la "Cause" . Dolours, qui porte bien son prénom ("Douleur") s'engage toute jeune dans les rangs de la nouvelle Irish Republic Army (la vieille IRA dite "officielle" a du plomb dans l'aile depuis que l'Irlande du Nord a été laissée aux Britanniques ; l'IRA renaît sous une nouvelle forme à la fin des années 1960 quand les catholiques républicains réclament des droits égaux à ceux des Protestants, les activistes de cette nouvelle IRA sont surnommés les "Provos"). Dolours pose la seule bombe qui va exploser à Londres, détruisant seulement la voiture de celui qui deviendra son avocat. Inculpée avec sa soeur cadette Marian, pour terrorisme, elles sont incarcérées dans une prison en Angleterre. Elles vont entamer une grève de la faim pour réclamer leur transfert en Irlande du Nord, ce qui leur sera refusé, du moins au début. le gouvernement britannique ayant peur du scandale et des conséquences du décès de ces femmes devenues des figures emblématiques de l'IRA, décide de les obliger à manger. Il fait procéder au gavage des détenues !!😤🤬 Les scènes sont bien restituées et difficilement supportables. Cependant, elles ne lâchent rien, finissent par être transférées à Armanagh, en Irlande du Nord. L'auteur brosse un portrait détaillé de Dolours sur près de 50 ans. Sa trajectoire de vie est incroyable. Cependant, elle souffrira tout le temps des actes commis dans sa jeunesse. Sujette à dépression et alcoolisme, renoncement et rancunes, on ne peut pas l'envier, ça c'est clair.

Grâce à Patrick Radden Keefe, nous suivons le parcours de figures emblématiques de l'IRA. Les soeurs Price à qui il consacre une grande partie car il a pu les interroger, mais aussi Bendan Hugues, Bobby Sands, et un certain Gerry Adams....

Ah Gerry ! le genre de mec charismatique qui a le don d'arriver à faire faire le sale boulot aux autres.... le type très fort pour le blabla, le stratège aux mains propres, et on sait jusqu'où cela a pu aller aujourd'hui. Il fut l'un des instigateurs des Accords de Paix du Vendredi Saint de 1998, puis vice-premier ministre d'Irlande du Nord aux côtés de son pire ennemi du passé, l'effroyable Ian Paisley !! Il a créé le Sinn Féin pour accéder au pouvoir mais a nié tout le reste : son appartenance à l'IRA alors que c'est lui qui donnait les ordres), le rapport entre l'IRA et le Sinn Féin, qui pourtant ne dupe personne. Les disparitions de centaines de personnes, dont celle de Jean McConville, soupçonnée d'être une informatrice des Brits...

Le livre révèle en partie la clé de l'énigme McConville. C'est pas franchement glorieux. A un moment donné, je me suis demandée comment Patrick Radden Keefe pouvait encore être en vie avec toutes les révélations, après 4 ans d'enquête, qu'il fait dans son livre. Il vit aux États-unis, il est américain, mais, bon... Je me suis également posé des questions sur la mort de Dolours Price en 2013.

Ne dis rien soulève beaucoup de questions, suggère que la réalité n'est pas ce qui s'affiche au niveau du gouvernement nord-irlandais, que Belfast n'est pas une ville paisible, et qu'aujourd'hui elle est même encore plus ségrégationniste que par le passé. Il y a encore plus de murs séparant les deux communautés, il n'y a quasiment toujours pas d'écoles mixtes. On retrouve, grâce à certaines indications divulguées, des cadavres enterrés il y a 50, 40, 30, ou 10 ans. Même sur une plage qui a l'air la plus tranquille du monde. On sait aujourd'hui ce qu'est devenue Jean McConville.

Gerry Adams en prend pour son grade. L'IRA a déposé les armes, officiellement. Mais... Mais croyez-vous que l'IRA a disparu ? (Je ne parle pas des mafiosi de l'IRA dite "véritable " dont on voyait des tags au début des années 2000). Je parle des Provos. Je ne vais même pas parler du Brexit...🤭 Pour ma part, je suis quasi-certaine qu'elle existe toujours. Pas forcément les mêmes personnes que celles des années 70 toujours en vie, (Gerry Adams a 75 ans ), mais... rien n'est si limpide en Irlande du Nord...

"A l'automne 2015, Teresa Villiers, la secrétaire d'Etat pour l'Irlande du Nord, publia un rapport sur les organisations paramilitaires établi par la police d'Irlande du Nord et les services secrets britanniques. "Tous les principaux groupes paramilitaires en opération à l'époque des Troubles existent encore", annonçait le document, précisant que cela incluait l'IRA Provisoire. Les Provos demeuraient actifs, bien que dans une capacité très réduite ", et disposaient encore d'un arsenal. Big Storey avait raison : ils étaient toujours là. Gerry Adams qualifia le rapport d'"absurde".

Quand on sait que Gerry Adams a tout d'un mythomane, quel crédit peut-on accorder à sa parole ?

Un livre qui se lit un peu comme un thriller. On apprend pas mal de choses. J'aurais voulu en savoir davantage sur les groupes paramilitaires du camp adverse. En tout cas, l'auteur ne fait aucun cadeau aux gouvernements britanniques successifs et encore moins au leader du Sinn Féin, qui a cédé aujourd'hui sa place à une femme, mais cela ne veut pas dire grand chose quand on connaît un peu plus le personnage après cette lecture accaparante!

Quelques redites alourdissent un peu la lecture et donnent des longueurs inutiles. Cependant, c'est un livre que j'ai beaucoup aimé.
Lien : http://milleetunelecturesdem..
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Un roman enquête magistral qui nous plonge en pleine crise irlandaise et nous fait revivre ces événement de l'intérieur à travers quelques acteurs célèbres du conflit. L'auteur, journaliste, a fait un immense travail d'enquête et de mémoire. Superbe façon d'aborder cette thématique complexe et qui peut vite devenir très polémique, il me semble que l'auteur évite le piège et nous restitue une vision contrastée mais qui semble très juste.
A conseiller vivement à tous ceux que cette thématique intéresse. Se lit comme un véritable polar.
Lu à haute voix pour la bibliothèque sonore romande.
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