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Critique de Charybde2


Quand la métaphore météoritique de la destruction à venir, l'obsession potentiellement amoureuse, le crypté et le spectre si visible s'unissent pour tenter une véritable désidération. Attention : vous dérivez dans une zone de chef d'oeuvre.

Sur le blog Charybde 27 : https://charybde2.wordpress.com/2023/08/27/note-de-lecture-une-meteorite-nommee-desir-lucien-raphmaj/

Dans un monde en perte de sens et de signes qui ne soient pas ceux d'une devise ou d'une religion révélée, se pourrait-il qu'il y ait soudainement trop de signifiant ? C'est peut-être bien ce à quoi est confrontée l'héroïne de ce roman flamboyant comme une comète maligne : alors qu'elle tend déjà à interpréter (qui a murmuré « sur-interpréter » ?) les dessins et tracés (qui n'auraient donc rien d'aléatoire) créés par certains jeux pourtant réputés simples voire antédiluviens (justement ?) sur l'écran de son ordinateur (le Serpent de toutes les tentations), voici qu'elle reçoit un, puis plusieurs, SMS d'un genre particulier, puisqu'adressés, à elle et à elle seule, par une météorite lancée, inexorable, vers la Terre, pour une extinction qui dès lors ne semble plus faire aucun doute, à terme (en vingt-trois ans, la foi de charbonnier anthropique qui habitait l'« Armageddon » de Michael Bay, où rutilaient, sous leurs barbes de travailleurs de luxe à la fois si sérieux et si désinvoltes, les regards pénétrés de Bruce Willis, de Ben Affleck, de Steve Buscemi ou de Peter Stormare, ou celle du « Deep Impact » de Mimi Leder, où le même motif convoquait Robert Duvall, Jon Favreau ou Mary McCormack, semble bien avoir cédé le pas – définitivement ? – à l'incrédulité généralisée et à l'ironie doublement post-moderne du « Don't Look Up – Déni cosmique » d'Adam McKay, où les sourires de plus en plus désabusés de Leonardo DiCaprio et de Jennifer Lawrence tiennent seuls lieu de viatique).

Mais est-ce vraiment du mystère improbable de la communication d'un anéantissement à venir dont il s'agit ici ? Rien n'est moins sûr.

En quelques textes flamboyants d'intelligence et de poésie subtilement concentrée, au premier chef son « Blandine Volochot » de 2020 (qui mixe intimement et logiquement le silence des espaces sidéraux qui serait celui de Maurice Blanchot et l'imprécation carcérale à géométrie si variable qui serait celle d'Antoine Volodine et des ses hétéronymes) et son « Capitale Songe » de 2020 également (qui explore, en détournant tous les codes du thriller, de l'espionnage et de l'exploration science-fictive, une nouvelle cohabitation complexe et ambiguë du machinique, de l'animal et de l'humain), Lucien Raphmaj a conçu un espace romanesque bien particulier, qui résonne subtilement de cette désidération qu'il construit sur d'autres terrains avec l'artiste Smith, l'astrophysicien Jean-Philippe Uzan et le studio Diplomates. « Une météorite nommée désir », publié chez L'Ogre en 2023, en offre une démonstration particulièrement éclatante.

En un ballet fiévreux et subtilement orienté où l'on retrouvera aussi bien le radiotéléscope d'Arecibo et la Jodie Foster de « Contact » (1997) que le Spoutnik et la papesse Kircher, Indiana Jones et ses adversaires nazis favoris que la chamane ombre de banlieue qui fut Kree, des flagelleurs mentaux d'époque (à moins qu'il ne s'agisse de ceux remis au goût du jour par « Stranger Things ») que la psychogéographie la plus subtilement métaphorique (car « la dérive est un art délicat »), ou encore « Die Hard » dans ses différentes incarnations musclées de la chute libre terminale (« Yippee-ki-yay, motherf*cker ») que les révoltes sur la Lune de Robert Heinlein ou de Ian McDonald, et tant d'autres signes à recevoir en pleine face ou à imaginer patiemment, Lucien Raphmaj dessine les contours rusés d'une poésie qui inverserait les postulats du si beau « Aniara » (1956) du prix Nobel de littérature Harry Martinson : non pas une poussée centrifuge et infinie en direction de l'espace profond, mais un appel centripète à prendre (enfin, avant qu'il ne soit vraiment trop tard) soin de cette planète-ci (on songera sûrement, en filigrane, au magnifique « Aurora » de Kim Stanley Robinson), au-delà des paradoxes apparents (car il y a bien ici, d'emblée, « une bête qui criait en moi au centre du monde », soeur jumelle et potentiellement maudite de celle « qui criait amour au coeur du monde » chez Harlan Ellison).

Loin, très loin du surplomb vaguement condescendant du récent ouvrage de Martin Hirsch (dont on vous parlera néanmoins prochainement sur ce blog), Lucien Raphmaj, au carrefour mouvant de la poésie expérimentale (mais ô combien accessible) et de la science-fiction la plus spéculativement pure, invente une solastalgie bien personnelle, avec un sens de l'obsession (amoureuse ou autre) digne de David Peace, et nous approche fort joliment de la zone du chef-d'oeuvre à lire et relire.

Lien : https://charybde2.wordpress...
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