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3,98

sur 660 notes
C'est mon 2ème Ron Rash après l'énormissime coup de coeur pour Un pied au paradis.
Le décor est inchangé, les Appalaches, dans un vallon maudit et silencieux, mais cette fois, l'histoire nous propulse dans les derniers mois de la guerre de 14-18. Hank et Laurel y vivent en quasi reclus depuis la mort de leurs parents, surtout Laurel victime des superstitions rurales à cause de sa tâche de naissance.
L'élément perturbateur est l'arrivée d'un jeune muet, blessé, jouant d'une flûte en argent. C'est lui qui in fine révèle la vraie nature de chacun. Mais avant d'arrivée à la déflagration finale, Ron Rash prend son temps pour installer le cadre et les aspirations des personnages, il faut se laisser porter par l'écriture ample et parfois lyrique, quitte à parfois s'ennuyer un peu. J'ai été touchée par Laurel qui croit à un autre destin que la solitude et le rejet.
Et pourtant, une réelle tension est là, presque oppressante, on sent bien que le bonheur est fragile. Tout s'accélère dans les 50 ( magnifiques ) dernières pages, l'auteur possède une réelle force d'évocation.
Un très beau livre.
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Il ne faudrait pas vous y méprendre : si ce roman a bien reçu le Grand Prix de littérature policière étrangère en 2014 (comme l'indique le fin bandeau au bas de la couverture de l'édition de poche), il n'a que peu de points communs (pour ne pas dire aucun) avec les livres qu'on range généralement sous l'étiquette « roman policier » (thrillers à suspense, polars sanguinolents ou enquêtes criminelles sordides). Amateurs du genre, vous voilà prévenus.
En effet, même si le prologue laisse supposer qu'une mort violente a eu lieu dans ce vallon perdu au coeur des Appalaches, celle-ci n'est pas le déclencheur d'une enquête pour meurtre, mais plutôt le point final d'une tragédie qui s'est jouée bien des années plus tôt.
Une tragédie nouée dans un décor maudit, un recoin de la chaîne des Blue Ridge, non loin de la petite ville de Mars Hill en Caroline du Nord. Ce vallon isolé, si encaissé qu'il laisse à peine passer les rayons de soleil même au plus fort de l'été, semble causer le malheur de ses occupants. La famille Shelton n'a pas été épargnée par ce qui ressemble à une malédiction : quelques années après leur installation dans cet endroit sinistre et humide, inhospitalier, les parents meurent, laissant Laurel et Hank orphelins, abandonnés à un sort peu enviable. D'autant que Hank, appelé sous les drapeaux de 14-18, reviendra vivant, mais avec une seule main. Quant à Laurel, avec sa tache de naissance sur le cou, elle subit depuis longtemps les regards blessants et les commentaires superstitieux de ceux qui la croient sorcière. En dépit de la bienveillance de l'institutrice à l'égard de sa meilleure élève, Laurel a dû se résigner à abandonner l'école, sous la menace des autres parents qui craignaient obscurément un mauvais sort pour leurs rejetons. Courageuse mais lucide, accablée de solitude, Laurel désespère de voir sa vie vraiment commencer un jour. Et puis un miracle survient, qui met sur son chemin un homme mystérieux, égaré, ne sachant ni parler, ni lire, ni écrire, mais jouant de la flûte comme personne. Et ce qui devait arriver arrive, fatalement, dira-t-on, puisque le Destin ne laissera décidément pas en paix les habitants du vallon.
Sur fond de Première Guerre mondiale finissante, de patriotisme souvent mal placé et de haine viscérale et parfois irrationnelle envers tout ce qui est allemand ou s'en approche, voici une histoire magnifiquement écrite et construite, belle mais terriblement triste, désespérante et déchirante tant les personnages (Laurel, Hank, Walter, Slidell, Miss Calicut) sont attachants. Un roman sombre, mais pas tout à fait noir, parce qu'il livre le portrait lumineux d'une jeune femme brimée par les médisances, et l'histoire simple, évidente, d'un amour aussi inespéré qu'attendu mais qui, pour le malheur des protagonistes, a vu le jour dans un contexte hostile saturé de préjugés et de bêtise. Et on comprend que l'ombre, un temps dissipée par la douceur de la musique et les couleurs des perroquets de Caroline, s'en reviendra bien vite…


Lien : http://www.voyagesaufildespa..
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En 1918, en Caroline du Nord
Laurel, une jeune femme hardie que les gens du village
traitent de sorcière s'occupe seule d'une ferme isolée
De retour de la Grande Guerre,
son frère Hank amputé d'une main abat le gros du boulot
et aurait bien besoin d'aide
ça tombe bien...
Walter, un jeune joueur de flute errant
égaré dans le coin va les aider à oublier
un instant leurs misères quotidiennes.

Ron Rash a l'art et la manière de mêler roman noir
et conte du terroir et de les rendre universels.
Il nous plonge en pleine tragédie au coeur
d'un vallon maudit avec ses boucs émissaires...
dans la boue de l'obscurantisme
la crasse noire, la bêtise,
l'ignorance et le patriotisme borné
qui n'ont peut-être pas tant changé de nos jours
dans cette région des Appalaches aux mains des conservateurs
et les évangélistes de tous poils.
Terres d'ombres..pas l'ombre d'un doute ni d'un pipeau, un grand roman noir.
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Une terre d'ombre… ombre…ombre...

Mais oui, bien sûr. Un endroit qui ne voit presque jamais la lumière.

Par exemple, une boule glacée recouverte de charbon ?

Une terre inhospitalière au possible à 500 millions de kilomètres de notre Terre…

Bingo. Ron Rash serait-il un scientifique qui a écrit un ouvrage sur la comète Tchouri ou sur d'autres comètes ?

Non, raté. Bien réfléchissons et ne nous laissons pas berner par l'actualité brûlante, oui, plutôt glacée en fait. (1)

Cet auteur écrirait-il un livre sur une terre qui ne voit jamais la lumière, par exemple pendant la nuit polaire dans la Scandinavie ? La terre peuplée de lapons ou de rennes…

Non, encore raté. Rien à voir avec le Truc du dernier lapon et ses coutumes ancestrales.

Dans ce cas, soyons beaucoup plus terre à terre…

Imaginez plutôt un vallon encaissé dans le Tennessee plongé inexorablement dans l'ombre par une immense falaise. Seuls quelques êtres solitaires comme Hank Shelton et sa soeur Laurel s'entêtent à vivre, à cultiver ou faire paître quelques bêtes sur des terres que tout le monde juge comme maudites.

Pour rendre encore plus difficile la tâche des Shelton, Hank a perdu une main à la guerre 14-18 en Europe et peut compter uniquement que sur son vieux voisin, Slidell Hampton, pour l'épauler dans son dur labeur.

Alors que les habitants du village, hormis l'institutrice mademoiselle Calicut, fuient comme la peste cette famille, un homme mystérieux et muet, jouant divinement bien de de la flûte, débarque non loin de la ferme des Shelton et fait chavirer le coeur de la belle Laurel.

Qui est cet homme venu d'ailleurs ? Pourquoi n'a-t-il pas les mains usées d'un paysan alors que ses vêtements sont complètement élimés et qu'il sait parfaitement travailler la terre? Et surtout, pourquoi cherche-t-il à rejoindre New York coût que coût ?

Après avoir adoré « Un pied au paradis » de Ron Rash, d'une originalité absolue, j'étais impatient de retrouver ce poète américain (oui, oui poète avant d'être romancier) qui joue avec les mots comme son personnage muet joue de la flûte. Divinement bien.

Sans l'ombre d'un doute, que vous soyez amateurs de polars ou de romans noirs ou bien de romans plus classiques, « Une terre d'ombre » ne pourra que vous envoûter.

Mêlant des événements historiques avérés à une histoire romancée, Ron Rash réussit encore une fois à nous embarquer dans ce trou perdu, sans jamais négliger des fins à suspense.

Pour terminer, même si ce roman mérite amplement la note maximale de 5 également, « Un pied au paradis » reste pour moi un livre unique et inoubliable par sa construction millimétrée.

Quoi qu'il en soit, ne passez pas à coté des romans de Ron Rash, assurément un grand auteur américain !


(1) Au passage, je vous conseille l'atelier sur la reconstitution d'une comète miniature avec un scientifique (physicien spécialiste des astres dont les comètes donc astrophysicien) au Palais de la découverte auquel j'ai eu la chance d'assister avec mon fils.
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Un roman bien sombre comme le vallon humide où le soleil est toujours caché par les falaises.

C'est l'histoire d'un fermier qui s'est établi près d'un bois de châtaigniers dont les arbres meurent avant la récolte. C'est une mère qui se blesse et un père au coeur fragile.

C'est une femme au visage marqué par une tache de naissance violette. Rien de grave, sauf si on considère que c'est un signe, elle est un « porte-malheur », une sorcière dont on refuse de s'approcher. On l'évite, on crache et on répand du sel pour conjurer le mauvais sort. La femme habite avec son frère, blessé pendant la Première Guerre mondiale. Elle travaille sur leur ferme dans la vallée maudite. Une existence sans espoir, jusqu'au jour où elle entend un peu de musique…

Un roman d'une vie rurale, avec les durs travaux et les espoirs de récolte, mais aussi avec les superstitions et les lâchetés qu'elles génèrent. Une campagne reculée, où on n'hésiterait pas à lyncher l'étranger.

Un roman bien sombre, mais une bien belle lecture!
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Il est des livres que l'on dévore, voulant à tout prix découvrir l'entièreté de l'histoire, respirant à peine… tout en se disant que lorsqu'il sera terminé, on en sera peinée.

Ce fut le cas ici. Dévoré en un jour, incapable de le lâcher, mais triste de l'avoir terminé, triste de quitter certains personnages tout en ayant envie d'en passer d'autre à la broche à rôti.

États-Unis, 1918. Sur le Vieux Continent, celle que l'on nomme déjà la der des der bat toujours son plein, remplissant les fosses communes, dressant les hommes l'un contre l'autre, éveillant des haines contre l'ennemi : le boche, le casque à pointe, le teuton…

Laurel Shelton et son frère Hank vivent dans une petite ferme isolée au fond d'un vallon tellement encaissé que le soleil ne luit que quelques heures en été. Rien ne pousse, ou si peu. Pour eux, la vie n'est pas facile, surtout que Hank a laissé une main dans les tranchées en France.

Pour les habitants de Mars Hill, cette terre est maudite et ceux qui y vivent aussi. Surtout que Laurel porte une tache de naissance un peu disgracieuse et que tous la croient sorcière et se signent presque à son passage. Bref, le frère et la soeur sont des bannis, des exclus, des parias et on verse du sel à l'entrée de leur domaine.

Bienvenue à "Préjugés Hill" où les habitants de la ville ont des esprits aussi étroits que le chas d'une aiguille et la plupart sont rempli d'amertume.

Entre le sergent recruteur qui se fait regarder de travers parce qu'il n'est pas allé casser du boche, ceux qui se gaussent de lui mais n'ont pas eu les couilles de traverser l'océan pour mater les casques à pointes, ceux qui en sont revenus et déclarent que ce n'est qu'une vaste boucherie pour gagner quelques arpents de boues et cette haine de l'Allemand qui tout doucement s'installe.

La vie misérable de Laurel avait l'air toute tracée jusqu'à ce qu'elle croise Walter, un jeune homme mal en point, muet et jouant de la flûte comme un dieu. Entre eux va se développer quelques chose de fort, de beau…

Ami du trépidant, va t'amuser dans un thriller ou revisionne l'intégrale de "24h chrono" parce que ici, l'action est peu présente, mais ce n'est pas ce que l'on cherche dans un roman de Ron Rash.

Nous sommes face à un récit râpeux comme un vieux vin, long en bouche et avec des senteurs douces et sucrées de miel. Oui, dans toute cette misère, l'auteur nous construit une histoire d'amour qui ne tournera pas à la guimauve, évitant la mièvrerie et émerveillant son lecteur.

Amis du tragique, bonjour. N'étant pas dans un Harlequin, vous vous doutez que la tragédie nous guette.

L'imbécilité de l'homme qui craint ce qu'il ne connait pas, qui a besoin d'un bouc émissaire pour expurger ses propres fautes, qui veut jouer au dur parce qu'il veut montrer qu'il en a dans le froc et se faire un boche, puisqu'il n'est pas allé le faire sur le front en Europe.

Vous me direz que nous sommes un siècle plus tôt, dans un coin des Appalaches en Caroline-du-Sud, qu'il est donc normal d'avoir l'esprit plus étroit que le cul d'une pucelle qui subirait les assauts d'un troll… (étroit pour le troll, bien entendu !)

Oui, mais le problème est que l'être humain traine cette tare depuis la nuit des temps et que si un conflit revenait sur notre continent, beaucoup se comporteraient comme les habitants aussi bêtes que méchants de la ville de Mars "Préjugés" Hill.

On traquerait l'ennemi, se moquant bien qu'il soit vieux et inoffensif puisqu'il est moins dangereux de s'attaquer à lui qu'à un bataillon de militaires armés ! Oui, l'homme est un peu couard…

Un roman tout en finesse, sans mièvrerie, une écriture qui claque comme un coup de fusil dans la nuit et une manière de dénoncer les dommages collatéraux d'une guerre qui se déroule pourtant de l'autre côté de l'océan, sur l'accueil haineux des étrangers sur le sol du pays, sur la folie des hommes et les superstitions bêtes (qui survivent toujours en 2014 !).

Un roman aussi sombre que le vallon qu'il décrit, aussi dur et sans pitié que lui mais traversé aussi par des rayons de soleil avant que l'obscurité ne reprenne ses droits.

La nuit est tombée sur le vallon et on referme le livre avec une étrange sensation dans la gorge, comme si un noeud s'y était installé.

Merci Laurel, Hank, Walter et Slidell…

Lien : http://thecanniballecteur.wo..
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Ne connaissant pas les livres de Ron Rash, mais attirée par les nombreuses critiques élogieuses, j'ai voulu me rendre compte de son univers introspectif et sombre, de son écriture poétique et évocatrice.
On dit souvent que le hasard fait bien les choses, je cherchais plutôt « Serena » ou « Un pied au paradis », mais seul, ce roman, lauréat du grand prix de littérature policière en 2014, était disponible dans les rayonnages de la médiathèque.

« Une terre d'ombre » est un texte magnifique qui offre toute une palette d'images, de couleurs, de sons, d'odeurs et d'émotions. Son flux ressemble à une rivière sinueuse, tantôt introspective et calme, tantôt violente et désespérée.

*
L'histoire se déroule durant la Première Guerre mondiale, dans un vallon encaissé à l'ombre des montagnes Appalaches de Caroline du Nord. C'est un lieu maudit à la beauté sauvage et brute qui a façonné des hommes durs, superstitieux, impulsifs, dangereux.

« le pire, c'était la maison. Quelles que soient l'heure du jour ou la saison, quel que soit le nombre de lampes allumées, c'était toujours un lieu sombre qui, d'aussi loin qu'elle s'en souvienne, avait toujours senti la souffrance. Mais ici, en haut, la large saillie de granit captait les rayons du soleil et les retenait, l'enveloppait de clarté. La lumière était comme du miel chaud. Des gouttes de rosée sur une toile d'araignée renfermaient des arcs-en-ciel entiers, et la queue d'un lézard des palissades brillait du même bleu que du verre indigo. L'eau étincelait de particules de mica. »

C'est au plus profond de ce vallon, dans une crique réputée hantée que vivent Laurel Shelton et son frère Hank, revenu blessé des tranchées. Née avec une tache de naissance sur le visage qui voile sa beauté et affiche son appartenance au diable, Laurel est une belle personne, condamnée à vivre dans la solitude, le mépris et le rejet.
Ainsi, lui estropié, elle sorcière, vivent dans l'isolement quasi-total, à l'abri de l'ignorance, de la médisance et de la calomnie des villageois. Seul un vieil homme, Slidell, leur rend visite et les aide dans les travaux de la ferme.

Jusqu'au jour où dans la montagne, Laurel vient en aide à un voyageur inconscient après avoir été attaqué par un essaim d'abeilles, un jeune homme qu'elle avait déjà entraperçu, jouant merveilleusement bien de la flûte. Au fil des jours, l'homme se glisse dans le quotidien de la ferme, laissant espérer qu'il ne reprendra pas la route pour se rendre à New York.

« Walter écouta le premier couplet puis porta la flûte à ses lèvres. Il entra dans la chanson tellement en douceur que Laurel n'aurait pas cru qu'il jouait, sauf que ses doigts remuaient et ses lèvres s'arrondissaient. Ce n'était pas tant un son qui s'élevait que quelque chose à la surface de la mélodie, comme une araignée d'eau passant sur un ruisseau. »

La jeune femme, qui attendait un changement dans sa vie, voit en ce merveilleux joueur de flûte muet et analphabète le changement qu'elle attendait depuis si longtemps. La chance de trouver peut-être le bonheur, l'amour.

Ce livre m'a tout de suite séduite par son rythme lent, mélancolique, poétique. La voix de Laurel Shelton est empreinte de douceur, de mélancolie, d'une grande générosité. Elle se heurte à la bêtise, la haine et la malveillance humaines, aux décors ruraux désolés, à l'atmosphère de malheur, de fatalité, de peur et d'agressivité irréfléchie.

« … il y avait eu des moments au cours de la dernière année, surtout après la mort de son père, où Laurel avait eu comme l'impression d'être un fantôme. Un fantôme sait-il au moins qu'il est un fantôme ? Les jours passaient et elle ne voyait pas âme qui vive. Elle ne quittait le vallon que les samedis où Slidell l'emmenait en ville, …, les gens l'évitaient, traversaient la rue, ... N'était-ce pas cela un fantôme : un être isolé des vivants ? »

*
Ron Rash a écrit un roman émouvant campé par de beaux personnages confrontés à des situations difficiles qui nécessitent des choix moraux pas toujours justes.
Ainsi, l'auteur explore avec subtilité et sensibilité la nature humaine à travers les thèmes de la famille et du sacrifice, de l'amour et du mensonge, du rejet et de la solitude, de la violence et de leurs conséquences, de l'amitié et du dévouement, de l'espoir et de la rédemption.

*
Le nature-writing s'invite dans le roman de Ron Rash qui sublime cette terre par de magnifiques descriptions exaltant sa beauté brute faite d'ombre et d'incertitude, de reflets mystérieux frôlant le surnaturel et le malin.
Le monde décrit par Ron Rash restitue l'univers sombre, lugubre, isolé et sauvage de ces paysages montagneux où errent les esprits et les fantômes, mais transparaît aussi leur beauté simple et sobre. Sa poésie s'exprime dans des nuances minérales pour décrire ces terres inhospitalières nichées entre rivière et montagnes, ces vies de labeur, ces habitants frustres au coeur dur.

« Émerger des ombres immenses de la montagne, c'était, comme toujours, sortir de derrière un rideau. le soleil la fit grimacer, et ses pieds nus éprouvèrent l'étrangeté qu'il y avait à fouler une surface qui n'était pas en pente. le granit était sec et chaud, sauf tout à fait au bout, là où l'eau coulait, et pourtant le ruisseau ralentissait quand même et s'étrécissait, comme si lui aussi savourait la lumière et renâclait à pénétrer dans l'obscurité du vallon. »

Les montagnes, les forêts, les rivières, les volées de perroquets de Caroline, la vallée, la crique maudite se glissent dans la vie des hommes dans des jeux de couleurs et de sonorités, rendant la lecture immersive et évocatrice. Tendre avec les hommes, la nature peut également se révéler menaçante et impitoyable.

« Sur cette hauteur, les fleurs de rhododendrons n'étaient pas encore tout à fait fanées. Leur parfum capiteux et l'odeur de vanille de la clématite donnèrent le tournis à Laurel tandis que passaient les minutes et qu'un air se mêlait au suivant.
Le soleil s'inclina à l'ouest et le peu de lumière qui filtrait par la percée entre les arbres se dissipa. L'argent scintillant de la flûte s'atténua, vira au gris, mais la musique conserva sa brillance vaporeuse. »

L'écriture de Ron Rash épouse la dureté, l'hostilité et la lâcheté des hommes, le silence de Walter, la douceur et la tendresse de Laurel, l'honnêteté et le courage de Hank, la bonté de Slidell, le chant des oiseaux, la mélodie de la flûte, l'ombre des montagnes.

*
J'ai tout de suite été happée par ce récit puissant où l'auteur porte une attention particulière à ses personnages, capturant leur émotions, leurs sentiments et nous les restituant de façon magistrale.
Des mots, des non-dits, des silences, j'ai ressenti la brutalité, l'animosité, la solitude, la peur, le désespoir, le besoin de reconnaissance, le désir d'être aimé, dans un kaléidoscope de teintes subtiles et contrastées.

Ron Rash a fait de Laurel un très beau personnage féminin, à la fois discret et passionné, doux et fort, mesuré et charmant pour ceux qui voient au-delà des apparences, et ne jugent pas cette tache comme une tare.
Walter, son pendant, apporte une touche de mystère et de danger : on sent derrière son mutisme et sa discrétion, un homme secret, doux et paisible qui cherche son chemin dans un monde incertain et hostile.
Le chant mélodieux de sa flûte apporte des moments de sérénité qui compense l'atmosphère chargée de tension.
Le frère, Hank, apporte une force morale et une stabilité. Courageux, travailleur, entreprenant, honnête, il est une force tranquille qui fait contrepoids aux ragots et à la méchanceté gratuite.

Bien sûr, Ron Rash n'a pas oublié de développer de manière très subtile d'autres personnages, ignorants, malveillants, sectaires et nuisibles, dont on ne comprend que tardivement le rôle qu'ils joueront dans le récit.

*
Pour conclure, exploitant de belle façon la noirceur de l'âme humaine comme celle des paysages emplis d'ombre et de solitude, Ron Rash parvient à écrire une oeuvre profonde émotionnellement, complexe et nuancée. Son univers dévoile de nombreuses facettes, où coexistent la beauté, la cruauté et l'ostracisme des personnages, la souffrance dissimulée de certaines vies et la rudesse des paysages montagneux.

Un très beau roman, une jolie découverte, qui laisse voir de belles réflexions sur la condition humaine et les choix qui se présentent à nous, qui vont influer sur le reste de notre vie.
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J'avoue ne pas avoir été complètement conquise par la lecture de mon premier Ron Rash : Une Terre d'ombre.
Premier étonnement, le prix qu'il a obtenu en 2014 : le Grand Prix de littérature policière alors que pour moi il n'y a rien de vraiment tendu ou surprenant dans le fil de l'intrigue en dépit de certaines scènes qui s'avèrent plus captivantes par le suspense qui s'en dégage. Ce manque de tempo m'a d'ailleurs un peu déroutée au début du roman...
Désir de Ron Rash de planter avec précision le cadre de l'histoire : un vallon sinistre des Appalaches, oublié du soleil et soumis à une sorte de malédiction inscrite dans le paysage désolé et dans le coeur des femmes et des hommes qui y vivent ? Peut-être... Une nature donc omniprésente et oppressante, à commencer par la falaise qui surplombe le vallon . Il est vrai aussi que Ron Rash sait évoquer grâce à son écriture minutieuse et sensorielle toute la beauté insoupçonnée de la faune et la flore de ces lieux. Et certains passages dégagent une vraie poésie. On sent que l'auteur a vécu dans ces lieux qu'il a pris le temps d'observer et de mettre en mots toutes ses perceptions auditives, tactiles ou visuelles. Mais j'ai regretté parfois que son écriture soit plus minutieuse que suggestive.
Tout comme j'ai eu du mal à m'attacher vraiment aux pas des trois héros de l'histoire : Hank et Laurel Selton, une soeur et un frère , qui vivent de l'exploitation d'une ferme dans ce vallon maudit. Un duo qui va devenir trio avec l'arrivée d'un mystérieux joueur de flûte, à la fois messager de bonheur et d'espoir mais aussi porteur d'une tragédie imminente. Je n'ai pas réussi à partager vraiment les émotions de ces trois personnages sans doute en raison de l'écriture de l'auteur que j'ai sentie ou trop distanciée ou trop explicative.
En revanche certaines thèmes sont fort bien traités, qu'il s'agisse des superstitions villageoises dont va être victime Laurel et qui font d'elle une sorcière au regard des habitants de ce village perdu de Caroline du Nord ou bien de la xénophobie meurtrière dont Walter va être la cible car il a la malchance d'être allemand au moment où les Etats-Unis vont déclarer la guerre à l'Allemagne en 1917. L'auteur peint par petites touches assassines la stigmatisation et l'exclusion dont Laurel est la cible tout comme il rend sensible à travers le sergent recruteur, Chauncey Feith, le patriotisme borné dont fait preuve ce personnage et qui va lui faire commettre le pire.
Bilan mitigé donc, mais je m'interdis d'en rester là et vais essayer, en laissant passer un peu de temps, de me lancer dans la lecture d'un autre Ron Rash. Peut-être aurai-je la main plus heureuse...
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Caroline du Nord, dans la chaîne des Blue Ridge, année 1918.
Au pied d'une gigantesque falaise, que pourrait-il arriver de bon dans cette terre d'ombre, ce vallon que le soleil n'éclaire que si peu ?
Ici, dans cette ferme isolée, les parents sont morts.
Le fils, Hank, est revenu de la guerre avec une main en moins.
Sa soeur Laurel, à cause d'une tache de naissance, passe pour une sorcière auprès de la population du village.
Elle est belle, pourtant, et puis quand elle a dû quitter l'école à la mort des parents, l'institutrice lui a donné des livres, avec une dédicace : "À l'une de mes élèves préférées, sur qui je fonde de grandes espérances."
Mais dans l'ombre de la falaise, accablée par le travail de la ferme, elle n'y croit plus, Laurel.
Jusqu'au jour où, montant à son petit coin ensoleillé, elle entend la divine musique d'une flûte…
Je ne m'attendais pas une aussi bonne surprise en lisant Ron Rash pour le Challenge solidaire. J'ai aimé son écriture sensible (traduite par la talentueuse Isabelle Reinharez), tant dans la description de la Nature que dans les sentiments de ses personnages.
Ce qu'il nous dit dans ce beau roman, ce sont les ravages que la guerre essaime dans les villages les plus reculés : les fils qui reviennent invalides ; les fils qui ne reviennent pas.
Et puis la haine des Boches.
Et puis l'attitude ambiguë des planqués.
Ce que Ron Rash nous dit, c'est que la terre d'ombre peut être avant tout dans l'âme des hommes.

Challenge Solidaire 2024
Challenge USA : un livre, un État (Caroline du Nord)
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Une falaise projette une terre d'ombre sur une maisonnette au fond d'un vallon désolé.

Terre de superstitions et de malheurs pour les gens du canton, terre de travail harassant, de défaites et de pertes pour la famille Shelton.
Une frère et une soeur vivent là, isolés. Lui, vétéran-manchot têtu et travailleur, elle, stigmatisée en sorcellerie pour une tache de vin.
Une petit air de flute...Et un vagabond muet leur tombe du ciel, à moitié mort de piqures de frelons...

Un monde taiseux, une Nature omniprésente, une société humaine frustre et ignorante.
1918: Ce sont les Etats Unis de la prohibition et des trafics, des sergents recruteurs frustrés, au figure de planqués dans les petites bourgades rurales. Ce sont aussi les années sombres en Europe qui renvoient au pays des individus décorés mais cabossés, rendant une population suspicieuse et haineuse envers tout ce qui est allemand.

Moi qui aime les livres sombres, âpres, aux hommes rugueux, j'ai été servie!

C'est une histoire tristement romantique, qui offre de beaux moments de sérénité dans le travail de la terre, la douceur simple d'un foyer, la fraternité, la magie d'un air de musique, la beauté des Appalaches.
C'est aussi un retour historique vers les dommages collatéraux de la guerre et l'ostracisme envers des populations civiles étrangères

Mais le destin s'accroche, contrarie les désirs des hommes justes.
La tension va monter inexorablement jusqu'aux dernières pages où le drame s'accélère...jusqu'à la dernière phrase où la boucle se boucle.
Car pour pouvoir renaitre, il faut avoir beaucoup souffert?

Bravo, monsieur Ron Rash!
J'ai arpenté votre terre d'ombre, sans repos et le souffle suspendu, en faisant très attention où je mettais les pieds, car il convient de toujours se méfier des puits!


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