Un pays de neige et de cendres est le premier roman d'une jeune auteure finlandaise de trente-trois ans,
Petra Rautiainen, passionnée notamment par l'histoire du peuple Sami en Laponie.
Nous sommes tout d'abord en 1944 dans un camp de prisonniers dirigé par les Allemands, au milieu des étendues sauvages de Laponie... Nous découvrons le quotidien d'un camp, la survie, la cohabitation des détenus et des gardiens qui luttent pour préserver une part de leur humanité. Ici c'est une cohabitation compliquée entre Allemands, Finlandais, Polonais et Samis, ce peuple nomade originaire de Laponie...
Et ce récit construit sous la forme d'un journal va alterner avec celui d'une femme journaliste et photographe suédoise, Inkeri Lindqvist qui s'installe en 1947 dans la ville d'Enontekiö en Laponie, officiellement venue ici pour écrire un livre sur la reconstruction de la Laponie, mais en creux elle est à la recherche de son mari disparu durant la guerre... Nous allons suivre ses pérégrinations jusqu'en 1950...
C'est un roman surprenant, au rythme déroutant... Bien qu'ici il soit question de Laponie, c'est-à-dire de grandes étendues, des paysages de neige à l'infini, l'atmosphère est ici parfois étouffante, oppressante même.
Nous sommes pris par la main, entraînés dans cette oscillation, tiraillés presque par deux récits qui vont se parler, dialoguer entre eux, durant tout le roman.
Petra Rautiainen nous révèle un pan de l'Histoire sans doute méconnu pour beaucoup d'entre nous. Un épisode de la fin de la Seconde Guerre mondiale vécu sur ce territoire éloigné aux confins de la Finlande, théâtre des haines et des violences, des atmosphères de fin de guerre où l'ennemi sent que la victoire lui échappe irrémédiablement et, pour ne pas perdre la face, donne toute sa rage, toute sa haine, dans ce processus d'extermination final...
J'ai découvert ici un territoire qui fut déchiré par la guerre, avec des enjeux complexes entre Allemands, Russes, Finlandais où le destin du peuple Sami fut malheureusement oublié dans cette tourmente...
L'écriture est plutôt conventionnelle, bien que d'une splendide maîtrise. Cela tient sans doute à la manière ici de convoquer
L Histoire, sa tragédie et des personnages hantés par le poids de cette douleur ; cela rend le roman prenant, addictif à certains endroits. On veut dérouler le fil jusqu'au bout du paysage...
Cette écriture tient sans doute aussi à sa traduction réussie. C'est un roman traduit du finnois par
Sébastien Cagnoli ; j'ai découvert que ce dernier avait traduit il y a quelques années ce magnifique roman qui m'avait bousculé et émerveillé,
Purge de
Sofi Oksanen. Il n'y a pas de hasard.
Un pays de neige et de cendres... Pourquoi la neige, pourquoi les cendres ? La neige est là dans le paysage parfois ébloui par des journées sans fin où la nuit ne vient jamais, tandis que les cendres évoquent avec effroi les nuits intérieures, la barbarie à visage humain, le malheur du monde et la mort au bout du chemin, au bout de la geôle, derrière les grillages, dans la neige tâchée de sang...
Peu à peu les deux textes s'imbriquent et commencent à cheminer ensemble, entrer en résonnance, pour n'en faire qu'un au final.
Par le truchement d'une histoire secrète et tourmentée, nous venons aussi à la rencontre des Samis, peuple nomade voyageant vers le cercle arctique. Les nazis avaient à peu près la même considération à leur égard qu'ils en avaient à celle des tziganes... C'est dire...
Je me suis parfois un peu perdu dans cette intrigue qui porte bien sûr ce roman, reposant sur la disparition du mari de cette journaliste et qui lui donne tout son sens. Bien sûr, la tragédie de la guerre, sa douleur quotidienne telle que décrite, parfois cruellement et avec réalisme, ne peuvent laisser indifférent.
Mais la lumière de ce roman, suggérant l'émotion, m'est venue dans cette très belle relation d'amitié entre Inkeri Lindqvist et cette jeune adolescente Sami, Bigga, petite-fille du propriétaire qui l'héberge. La journaliste va lui enseigner l'art de la photographie, l'aider à s'émanciper d'un destin qui paraît parfois si tristement scellé dans un sort les éloignant de manière discriminatoire du droit à l'éducation. Elle va du reste donner des cours d'art et de photographie aux enfants du village, elle va peu à peu comprendre ce que tout un peuple a subi dans l'indifférence la plus totale. C'est beau et, contre toute attente, c'est ce pan du récit qui m'a le plus touché. Plus que l'intrigue...
Je remercie les Éditions du Seuil et Babelio pour ce beau livre reçu dans le cadre d'une opération Masse Critique.