AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
Citations sur Les deux étendards (29)

Le sermon était commencé, et l’église comble, l’assistance masculine surtout – ce Carême étant de la rubrique « conférences pour hommes », genre relevé, où certaines hardiesses de vues, sur les mœurs entre autres, sont admises et même conseillées, où l’on s’adresse en principe à un auditoire raisonnablement cultivé – robustes bourgeois lyonnais aux gros os et aux portefeuilles replets, dignes, volontiers rengorgés, satisfaits d’accomplir leur devoir religieux en même temps qu’un rite distingué, de posséder les vêtements adéquats à ce rite, draps neutres et solides, régates demi-deuil ou carmélite dans des cols importants et bien glacés, de réentendre la consécration de leur valeur et de leurs coffres-forts, sous cette chaire d’où l’on parlait à l’élite.
Commenter  J’apprécie          190
Il adore cette jeune fille, je n’en doute plus après ton témoignage. Mais je n’en démords pas : son projet est odieux, c’est un compromis où le curé est destiné à tuer l’homme. Abélard et Héloïse, c’était fort joli, mais Abélard n’avait plus de couilles, ça simplifiait singulièrement la question.
Commenter  J’apprécie          170
— Eh bien, reprit-il, veux-tu toujours m’interroger ?
— C’est-à-dire… fit Michel encore tout embrouillé dans de moites et fondantes images, et qui luttait mal contre l’invasion d’une assez nauséeuse tristesse, c’est-à-dire… je chasse des hypothèses. Voyons, c’est une idée qui me passe par la tête : est-ce que tu ne vas pas te faire curé ?
Il y eut un bref silence.
— Oui, reprit Régis… C’est assez curieux, je ne pensais pas qu’on le voyait à ce point. J’entrerai chez les Jésuites après mon service militaire. Mais, ça n’est pas tout… Je m’exprime stupidement. Enfin, tu me comprends. J’ai quelque chose de bien plus grave encore à te dire. J’aime une jeune fille et elle m’aime…
Commenter  J’apprécie          140
De quel métal suis-je donc moi-même pour juger ainsi les autres ? Serais-je seulement fichu de décrire mon fameux étalon de beauté et de vérité ? Ma métaphysique ? Ces étincelles chipées aux lampes des poètes, dont la brûlure m’a fait frissonner, dont l’éclat m’a ébloui un instant ? Quelles raisons profondes as-tu su te donner à toi-même, petit homme, entre tes nuits de quatorze ans où le dernier éveillé, dans l’affreux dortoir de Saint-Chély, tu priais Dieu de te garder jusqu’à la mort ta foi, – quelle foi ! cette frousse de gamin – et le jour de tes dix- sept ans, où dans la même heure tu as quitté le collège et l’Église apostolique et romaine ? Fais donc le bilan sincère de ces immenses études dont tu as brassé voluptueusement les programmes, et vois jusqu’à quel point tu as su les conduire. De Ruysbroeck à Picasso ! Un fier panorama. Qu’en connais-tu ? Est-il seulement un coin qui soit à toi dans ce fabuleux empire ? Qu’as-tu gagné sinon de t’être perdu toi- même, empêtré dans cette forêt vierge de formes et de systèmes ? Si le bourgeois est d’abord le pourceau qui tue son âme et qui vivra l’éternité comme une larve de chenille, parce qu’il est trop stupide ou trop lâche pour en soutenir la pensée, toi qui t’es dit muni de si glorieux flambeaux, qui les as laissés un par un s’éteindre, n’as-tu pas dans la porcherie une place de choix ?
Commenter  J’apprécie          80
Tandis que je n’ai jamais pu me visser plus de huit jours dans le crâne les preuves classiques de l’existence du Très-Haut, je ne me fatigue pas de dresser le catalogue des innombrables solutions que trois siècles ont proposées au casse-tête de l’Homme-Dieu ; les adoptianistes pour qui Jésus a reçu l’esprit divin lors de son baptême, mais n’est devenu Dieu qu’après sa résurrection ; les docètes, qui veulent que Jésus soit un corps astral, un fantôme n’appartenant pas à notre monde pondérable ; les aphtartodocètes qui cherchent à écarter l’insoutenable et scandaleuse notion d’un Dieu souffrant, et font un Christ doté d’un corps pareil au nôtre mais jouissant d’une surnaturelle insensibilité ; les origénistes qui ne peuvent pas s’empêcher de nuancer l’égalité du Père et du Fils ; les sahéliens, les subordinationnistes, les ariens qui soutiennent que Jésus n’a été qu’un homme inspiré de Dieu, le plus grand des hommes créés ; les nestoriens qui donnent au Christ deux natures, humaine et divine, mais les séparent totalement et enseignent que l’homme seul est mort sur la croix ; l’évêque Photin qui invente un Verbe à extensions, Raison impersonnelle de Dieu dans la première extension, mais devenant fils de Dieu dans la seconde, pénétrant ainsi l’humanité de Jésus jusqu’à en faire une espèce de Dieu ; les monophysites, qui acceptent la nature humaine du Christ, mais enseignent qu’elle a été absorbée par sa nature divine ; les monothélites qui disent qu’il n’y a eu dans la nature humaine du Christ d’autre volonté que celle de Dieu, que son corps était un instrument du Tout-Puissant…
[...]
Je vois que la Vérité s’est confondue rapidement avec la plus vulgaire politique, qu’elle en a suivi les hasards, qu’il s’en est fallu d’un cheveu, d’un pape plus ou moins couillu, d’un empoisonnement plus ou moins réussi, d’une bataille gagnée, pour que nous devinssions tous ariens ou monophysites ; que la Croix, le Dieu Trinitaire, le Christ consubstantiel au Père ont gagné par la force, par les soldats, l’argent, la police et la censure, ni plus ni moins que tous les conquérants. Je vois le symbole de Nicée, fruit d’une interminable querelle parlementaire, imposé par un déploiement de gendarmes, d’anathèmes et de bûchers. Je vois les plus grands Pères de l’Église, Jérôme, Ambroise, Augustin, sous les traits de polémistes féroces, de fanatiques impitoyables, réclamant toujours davantage de flics, de juges et de prisons pour le service de leur Dieu. Et je n’ai guère lu que des histoires orthodoxes. À quoi bon lire les autres ? Que pourrais-je souhaiter d’y trouver encore ? Je n’oublie pas les martyrs, leur fermeté, leur grandeur, mais je n’oublie pas non plus les martyrs innombrables des autres partis. Combien d’ariens qui se firent égorger pour défendre leur Dieu contre l’idée d’une Incarnation qu’ils jugeaient dégradante, impie ?
Commenter  J’apprécie          60
Que de couples, de baisers et d'étreintes ! Sous les arbres des jardins, une odeur étourdissante de belles enfants en volupté se répandait avec les ombres de la nuit. L'amour et la mort allaient de pair.
Commenter  J’apprécie          20
Une providentielle camionnette de boulanger avait porté les garçons jusqu'au village.Ils s'exclamaient à chaque tournant.ils connaissaient surtout les Alpes dauphinoises,farouches et dénudées.La Tarentaise atteignait à la grandeur en restant charmante.Ils étaient encore dans de douces prairies semées de peupliers et de saules,et déjà les glaciers se dressaient devant eux.A l'écart des grands circuits de tourisme,cette vallée, avec ses moulins de bois sur le torrent bleu et sa couronne de calmes sapins,respirait une paix dont on croyait le secret perdu pour l'Occident.Dans cette idylle limpide,chaque clochette de troupeau innocentait Jean Jacques.La plupart des paysannes portaient encore la coiffe,avec le galon doré,en croissant,serrant la tête,la "frontière".
Commenter  J’apprécie          10
Ce ne sont pas les philosophes qui me l'ont appris, mais beaucoup plus certains peintres, un Rembrandt, un Vermeer, un Cézanne, par les victoires mentales que chacun de leur chef d'oeuvre suppose. Puisque nous sommes des hommes, aspirons au sublime non point par des sauts dans un vague [...] d'idées, mais dans ce que notre vie a de plus précisément, de plus platement et implacablement humain, pour chaque parcelle de temps qui la compose. C'est notre nature même qui nous conseille pour cette tâche et nous la facilité. Nous pouvons tous dépasser l'étiage de ce qui forme notre vie moyenne, avec ses concessions, ses capitulations, ses paresses, ses gaspillages, des caprices du physique, les contingences, l'argent, le climat, le prestige, la faim, le sexe. Nous avons tous des aspirations à satisfaire. Il faut les connaître d'abord, et pour cela les observer, les toucher, les accepter, même si elles nous effraient, puis tout leur abandonner.
Commenter  J’apprécie          10
la dignité virile, grands pas fiers, lueur dans le regard.
Commenter  J’apprécie          10
Il était entendu qu'il n'y aurait pour eux d'amours dignes de ce nom que celles où l'embrasement des coeurs s'allieraient aux feux charnels.
Commenter  J’apprécie          10






    Lecteurs (364) Voir plus



    Quiz Voir plus

    "Les deux étendards" de Lucien Rebatet

    Où Lucien Rebatet a-t-il écrit "Les deux étendards"?

    Au Fort de Brégançon
    Au Montreux Palace
    En prison, à Clairvaux
    Dans sa salle de bains

    10 questions
    15 lecteurs ont répondu
    Thème : Les deux étendards de Lucien RebatetCréer un quiz sur ce livre

    {* *}