Citations sur Manifesto (118)
Vous allez bientôt vous reposer dans un lieu où je saurai vous trouver quand mon tour viendra.
Je t’emporte sur le banc.
Tu es l’étui à violon et le violon,
La musique, mes jambes,
La ligne, le trait,
La soie, ma voix,
Ma pensée, mon extravagance,
Notre amour, mon amour.
Je découvrais brutalement que le meilleur comme le pire cohabitent en nous. Nous essayons sans cesse de les séparer, collectivement ou individuellement, mais ce monstre à deux têtes n’a qu’un seul corps. Je suis ce monstre, tu es ce monstre, fait de beauté et de violence.
Je traverse les Landes à la fin de la nuit, le meilleur m’attend. Les derniers kilomètres après Saint-Jean-de-Luz, la route qui longe la mer. Je m’arrête toujours au même endroit, je suis épuisé par la distance parcourue, par la France traversée, je m’arrête sur la corniche, là où l’océan commence, et mon esprit plonge dans le ciel gris-bleu de l’aube, puis s’amalgame à la masse liquide, immense. L’horizon, d’un coup, aspire mes pensées et mes angoisses, me laisse seul avec le vent qui glisse entre mes doigts, qui s’infiltre dans mes oreilles et mon nez. J’ouvre grand la bouche, j’inspire. (..)
D’une traite depuis Paris, une nuit tendue par la joie qui m’attendait ici.
" Cette hache et cette faux m'ont suivi partout, tu sais.Pourtant ce n'était pas le plus simple à transporter.C'étaient les outils préférés d'Aïta, mon père, il avait sculpté le manche de la hache.Toute mon enfance, je l'ai vu avec.Il l'utilisait pour le bois, pour tout.
(...)
Quand il est mort, écrasé par une voiture, on vivait encore à la ferme.J'avais dix-sept ans.On était anéantis, évidemment. C'était absurde d'avoir survécu à la guerre civile, à la Clandestinité, à la Seconde Guerre, et de mourir, quelques années plus tard, comme ça, si brutalement. Sa mort n'avait aucun sens, elle ne prolongeait pas sa vie, elle venait l'interrompre, inutilement.Pour moi, c'était le début des morts inexplicables, inacceptables.
( p.138)
Ce jour où j'allais te rejoindre, j'avais pris mon violon. Peut-être qu'à travers la musique, avais-je pensé, nous nous rencontrerions plus aisément.
J’ai souvent pensé à la chaîne que forment les femmes quand elles donnent la vie, génération après génération, une naissance, puis une autre, une vie qui pousse l’autre. Je pense maintenant à la chaîne des morts, allongés, respirant à peine, entourés pour les plus heureux, mains tenues. Et des années plus tard, la même main vieillie qui en tient une autre plus jeune. Le dernier contact là, dans la paume.
Les mains ne mentent pas, elles laissent leurs traces, leur sensibilité faite de faiblesses.
( p.151)
Ce violon, c'est moi qui l'ai fait.J'ai choisi le bois, je l'ai caressé, écouté vibrer, j'ai rêvé de la forme qu'il prendrait, que je lui donnerai. C'était la première fois que je devais sculpter une forme qui donne du son, du sens avec du son, et je savais comment m'y prendre.
La musique est entrée chez nous à l'intérieur d'un tout petit étui.On n'a jamais vraiment su pourquoi Léonor nous a demandé de jouer du violon.Elle a insisté, elle ne se résignait pas (...)
( p.35)
Je te tiens la main pour que tu sentes ma présence, main minuscule qui s'agrippe à un doigt à la naissance, paume relâchée, abandonnée pendant le passage de la vie à la mort.