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EAN : 9782246834793
234 pages
Grasset (16/08/2023)
3.71/5   518 notes
Résumé :
" Le Grand Feu, c'est celui qui m'anime, et me consume, lorsque je joue du violon et lorsque j'écris. " Léonor de Récondo En 1699, Ilaria Tagianotte naît dans une famille de marchands d'étoffes, à Venise. La ville a perdu de sa puissance, mais lui reste ses palais, ses nombreux théâtres, son carnaval qui dure six mois. C'est une période faste pour l'art et la musique, le violon en particulier. A peine âgée de quelques semaines, sa mère place la petite Ilaria à la Pi... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (137) Voir plus Ajouter une critique
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Dans Venise, à la fin du XVIIe siècle, vient au monde Ilaria, sixième enfant de Francesca et Giacomo Tagianotte, sui vendent du tissus.
De son écriture délicieuse, Léonor de Récondo, déjà appréciée dans Manifesto et Revenir à toi, me plonge aussitôt dans l'ambiance de cette ville magique où l'on confie, si c'est possible, les filles à la Pietá. Cette institution religieuse fait penser à un couvent. On s'y consacre aux dévotions mais surtout à la musique et Antonio Vivaldi y enseigne.
Bianca, gardienne de la Pietá, est venue accoucher sa cousine, Francesca. Sans hésitation, celle-ci confie son bébé, Ilaria, à la Pietá où elle rêve de l'entendre chanter. Seulement, elle ne pourra que l'entendre car le choeur des jeunes filles est caché derrière les grilles de fer de la tribune en marbre.
En 1699, elles sont 867 pensionnaires à la Pietá. Elles ont été soit confiées à l'institution comme Ilaria, soit abandonnées à la porte, seul moyen pour les mères de savoir leurs filles échapper à la pauvreté, à la rue, à la prostitution.
D'abord en pouponnière, Ilaria grande, apprend à lire puis, rapidement, rêve d'apprendre le violon en suivant les cours du maestro, Antonio puis devient sa copiste.
L'autrice, Léonor de Récondo est aussi une excellente violoniste. Aux Correspondances de Manosque, elle nous confiait qu'elle avait attendu son neuvième roman pour réunir, pour la première fois, écriture et musique. Elle sait que le violon devient la propre voix du musicien et que cet instrument devient partie intégrante du corps. Ceci, elle le fait vivre ici à Ilaria, sa jeune héroïne.
Après avoir grandi à la Pietá, quand Ilaria, âgée de 8 ans, peut enfin passer Noël en famille, elle se sent comme une étrangère, se raccrochant seulement à l'amour de sa mère.
Le Grand Feu permet donc de suivre l'évolution de cette jeune fille, d'assister à son premier concert, à 13 ans, de vivre sa grande amitié avec Prudenza Leoni qui est une sorte d'auditrice libre, venant prendre des cours de chant à la Pietá.
Ici, le rôle de la Prieure est important car c'est elle seule qui peut délivrer un bon de sortie à Ilaria si elle veut se rendre à une invitation de Prudenza.
Quand Ilaria sort de la Pietá, qu'elle se déplace en gondole grâce à la famille Leoni, un feu intérieur la brûle car elle découvre enfin sa ville, vue depuis les canaux, ces fameux palais dont on redoute aujourd'hui la disparition sous les eaux. Dans ce roman, Venise est un personnage principal où, je cite : « La beauté, certains soirs, désarme la mélancolie. »
Sans en dire beaucoup plus, bercé par les magnifiques partitions D Antonio qui apprécie l'aide d'Ilaria, je dois ajouter que Prudenza a un grand frère : Paolo. S'il est passionné de chevaux, très attiré par le maniement des armes, décidé à se battre pour restaurer le prestige de la Sérénissime, ce jeune homme a aussi un coeur…
Habilement, Léonor de Récondo fait monter la tension avec l'avancée de son roman pour nous amener à une fin pathétique que chaque lectrice ou lecteur pourra découvrir en lisant le Grand Feu ; ce feu qui dévore Ilaria dès qu'elle prend son violon, ce feu de l'amour prêt à jaillir au coeur de cette ville pourtant posée sur l'eau.

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Ilaria naît en 1699, dans une Venise à peine remise de la peste où « l'on s'aimait avant de mourir ». Ses parents Francesca et Giacomo Tagianotte, marchands d'étoffes, ont perdu trois de leurs enfants à la naissance. Alors, cette sixième fille qui leur arrive, Francesca l'a tout de suite su, elle la destine à chanter parmi les anges de la Pietà, pour que sa voix s'élève jusqu'au paradis. Ainsi commence le roman d'apprentissage musical et sentimental né de la double passion – le grand feu – de Léonor de Récondo pour le violon et l'écriture.


Financée par la République de Venise, la Pietà accueille des filles abandonnées à la naissance, parmi lesquelles se glissent quelques jeunes filles dont la riche famille peut financer la formation, pour en faire, sous l'égide des plus grands maîtres, des chanteuses et des musiciennes accomplies que l'on accourt écouter lors des concerts qu'elles donnent, cachées et tout de blanc vêtues, derrière les grilles de leur hospice. Lorsque Ilaria y grandit, le maître de violon et le compositeur principal de la Pietà est Vivaldi. C'est à son école qu'elle découvre, toute jeune, le grand feu qui ne cessera plus de l'habiter, cet « art qui se façonne dans une addition d'âmes » : la musique. Sa voix d'or à elle, ce sera celle de son violon.


Mais, alors qu'à ses rêves d'évasion, jusqu'ici circonscrits par sa réclusion à leur seule expression musicale, quelques sorties chaperonnées par la riche famille de son amie Prudenzia viennent donner une nouvelle forme, amoureuse cette fois, un autre feu s'allume, qui pourrait aussi bien nourrir le premier que la consumer tout entière. Ilaria a désormais quinze ans. Pour ses semblables sans appui familial, l'avenir est au couvent, sauf pour celles, assez rares, que l'exception de leurs talents permet de se produire à l'extérieur, et parfois, d'être demandées en mariage...


Dans cette Venise d'eau, elle-même enfiévrée six mois par an par la frénésie du carnaval, le roman d'apprentissage se fait incandescent. du feu de la musique à la passion amoureuse, d'une plume qui palpite et cascade en vagues musicales, Léonor de Recondo investit sa propre expérience, émotionnelle et sensorielle, et, jusqu'à son impressionnant bouquet final, nous enchante d'un récit habité, ardemment romanesque, féministe aussi. Quand la musique et l'écriture s'épousent si joliment, l'on ne résiste pas au feu de la lecture.

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Violoniste virtuose et écrivaine reconnue, Léonor de Récondo signe avec son neuvième roman, le grand feu, le premier où musique et écriture sont réunies.
Le 31 mai 1699, à Venise, Francesca Tagianotte met au monde une fille, Ilaria, son sixième enfant.
Quelques mois avant, avec son époux Giacomo, ils s'étaient rendus à la Pietà et lorsqu'elle avait entendu chanter le choeur des jeunes filles cachées derrière les grilles, Francesca avait dit « si tu es une fille, tu chanteras avec elles. »
Ayant insisté pour obtenir une place à la Pietà, grâce à sa cousine Bianca qui en est la gardienne, la petite Ilaria, bien qu'issue de classe moyenne, dès ses trois mois, est acceptée par la Prieure et donc confiée à cet établissement de charité qui accueillait seulement les orphelines ou des filles de parents assez riches pour payer les cours de musique.
Voyant très rarement ses parents, Ilaria va grandir au sein de cette communauté féminine qui comprenait pas moins de neuf cents filles et dont les règles étaient calquées sur celles d'un couvent . Trop jeune à six ans pour commencer de travailler sa voix, Ilaria, sous l'impulsion du nouveau maestro di violino, Antonio Vivaldi, va alors apprendre le violon, ce violon qui va devenir sa voix. Au même printemps, entre, à la Pietà, Prudenza Leoni, une enfant de huit ans, issue d'une famille patricienne, qui, elle, ne vient que quatre fois par semaine prendre des cours, mais qui deviendra bien vite l'amie d'Ilaria et l'ouvrira au monde.
Léonor de Récondo nous fait suivre le destin de cette jeune musicienne Ilaria, nous fait vivre avec incandescence le feu qui va la consumer tout en nous plongeant dans cette Venise baroque du XVIIIe siècle où la Sérénissime brille de tous ses feux sur le plan artistique, où la musique est omniprésente et est l'art de toutes les fêtes.
Le cadre du récit est donc cette sublime capitale de tous les arts qu'était Venise au XVIIIe siècle avec pour la musique, Antonio Vivaldi, ce musicien virtuose, maître de chapelle, violoniste au séminaire musical de l'Ospedale della Pietà où sont élevées de jeunes orphelines à qui il enseigne le chant et le violon.
C'est un fabuleux tableau que nous donne à voir, entendre et ressentir Léonor de Récondo en nous dépeignant cette lagune où glissent les gondoles de palais en palais, de véritables instants suspendus tout en ombres et lumières.
Elle brosse également avec talent le portrait du Maestro qui apprécie particulièrement la qualité du silence lors des concerts dominicaux, ces concerts où les jeunes filles chantent et jouent leur partition derrière les grilles, ces concerts qui représentent une attraction pour les mélomanes tout à la fois enthousiastes et intrigués, ces concerts connus de l'Europe entière comme étant d'une exceptionnelle virtuosité.
Sont aussi partie prenante de l'histoire, les derniers bastions vénitiens en mer Égée avec l'île de Tinos sur lesquels pèse la menace ottomane.
J'ai suivi avec passion cet apprentissage du violon pour Ilaria, cet instrument qui devient peu à peu un prolongement de son corps, une partie intégrante d'elle-même et « une voix d'or dans les bras d'une enfant ».
Emportée par son ardeur musicale, Ilaria va brûler du feu de la musique, « Ces faisceaux de musique qui se rassemblent et s'embrasent », la contraignant, dans une scène sublime, à s'immerger dans la lagune.
Ce feu induit par sa communion avec la musique se doublera bientôt du feu de l'amour, deux passions qui vont se confondre pour produire cette explosion finale, ce grand feu.
Le grand feu est un récit initiatique féministe flamboyant et pourtant très intimiste.
Musique et écriture y fusionnent de façon magistrale.

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L'auteure nous livre un roman enchanteresse. C'est l'histoire d'Ilaria, née en 1699 , dans la merveilleuse ville de Venise, Venise la grande , la ville de l'amour, de la musique, du carnaval et de ses fameuses gondoles. Ilaria, jeune nourrisson, est laissée aux portes de la Pieta, une institution réputée pour sa sévérité, une sorte de couvent, loin de tout contact externe. Leur but est de faire de leurs élevés des virtuoses de la musique et du chant. Ilaria est vouée à devenir une grande violoniste, elle qui côtoie le grand Vivaldi, son instructeur. Ilaria a soif de découvrir l'extérieur, voir ce qui se cache derrière ces murs, Sa rencontre avec Prudenza, va changer le cour de sa vie, Elles deviendront inséparables, une amitié fusionnelle, elle réussira avec l'aide de la mère de Prudenza, d'obtenir une autorisation de sortie. Ilaria fera la connaissance du frère de son amie Paolo. Elle connaîtra, ressentira ce que l'amour représente, Son retour a l'institut est toujours source de solitude. Elle se donne corps et âmes à sa passion du violon, un moyen extérioriser ses maux. Arrivera t-elle à les panser? Ilaria découvre l'amour , l'amitié, ce sentiment d'avoir été abandonnée par ses parents ,sa famille, Comment réussira t-elle à gérer tous ses émois? L'auteure nous transporte, avec sa plume sensible, subtile, poétique , dans un monde bercé par la musique, cette musique ivresse qui nous envoûte, qui ne peut nous laisser insensible Un roman repli de tendresse, fascinant, magistrale, Une histoire qui m'a tenu en haleine jusqu'à la fin, un final explosive tel un feu d'artifice
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* Manque d'étincelles *

Autant le dire tout de suite, ce Grand feu n'est pas celui qui va vous réchauffer et vous tenir éveillé par les longues nuits d'hiver. On a plutôt tendance à le lâcher, et ce n'est pas parce qu'il brûle.

Le grand feu retrace la vie d'Ilaria. Elle est née en 1699 à Venise. sa mère, en remerciement d'un bon accouchement la confie au Pio ospedale della pieta. Bref, à l'orphelinat. Ce n'est pas que sa maman était pauvre ou prostituée, non non, elle et son mari sont marchands de tissus et ont déjà deux autres filles. Ilaria grandira donc comme une recluse en connaissant pourtant ses parents. 1703, Antonio Vivaldi est engagé comme maitre de musique à la Piéta. Ilaria connaitra son premier grand feu dans l'apprentissage du violon.
elle se fait une copine, Prudenza et reçoit de temps à autre l'autorisation de sortir du couvent pour aller chez Prudenza. Là elle rencontre Paolo. Il deviendra un jour le second feu d'Ilaria. Paolo est fou d'elle, mais Paolo est aussi un homme d'armes. Leur amour explose quand ils auront 17 ans.

Ce roman avait tout pour faire un beau feu d'artifice ! Vivaldi à Venise, la délaissée, la recluse qui trouve l'amour, un soupçon d'homosexualité refoulée, et là, ça fait flop. Rien ne s'anime, rien n'éveille, rien ne titille notre intérêt. le grand feu ne fait pas d'étincelles.
C'est beau et très bien écrit, là dessus, rien à redire, la plume de Léonor de Recondo est esthétique à souhait. Mais le trop beau est parfois ennuyant.
Pas un défaut, pas une manie. La musique et Vivaldi sont sous-exploités.

Ce roman est aussi lisse qu'un billard botoxé. Un peu trop pour moi.




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critiques presse (6)
LePoint
16 octobre 2023
Musique et passion dans la Sérénissime de Vivaldi : c’est « Le Grand Feu », un roman ardent de Léonor de Récondo, qui est aussi violoniste virtuose.
Lire la critique sur le site : LePoint
Actualitte
02 octobre 2023
Que ce soit dans la musique, dans l’amitié, dans l’amour, c’est une explosion réjouissante de cette passion totale, sans frein, éperdue, mais délicate, profonde, sincère, absolue, comme on n’en raconte plus guère.
Léonor de Réconda dépeint tout cela avec une grâce magique, une langue épurée, ciselée, choisie.
Lire la critique sur le site : Actualitte
LaLibreBelgique
21 septembre 2023
"Le grand feu", [...] roman de la violoniste et écrivaine française Léonor de Récondo, est traversé par la passion, sans peur du romantisme.
Lire la critique sur le site : LaLibreBelgique
LeFigaro
15 septembre 2023
La romancière évoque pour la première fois sa passion pour la musique à travers l’histoire d’une jeune violoniste dans la Sérénissime baroque.
Lire la critique sur le site : LeFigaro
LeMonde
05 septembre 2023
Emois chantant avec Vivaldi dans la Sérénissime baroque. L’écrivaine et musicienne allie ses deux talents dans un nouveau roman incandescent.
Lire la critique sur le site : LeMonde
LeMonde
01 septembre 2023
Parti d’une écriture laconique qui convenait à une petite fille intrépide et rebelle, ce roman magnifique se clôt avec l’intensité flamboyante d’un « dramma per musica ».
Lire la critique sur le site : LeMonde
Citations et extraits (88) Voir plus Ajouter une citation
(Les premières pages du livre)
C’est au petit matin du 31 mai 1699 qu’Ilaria naît. La sixième de la fratrie à pointer son minuscule corps, parfaitement formé, doigts, orteils, jambes et bras, ventre et organes, tout y est, chevelure et crâne bombé.
Francesca est assise sur un grand fauteuil, bassine et linges attendent leur heure. Elle connaît la douleur, la patience éprouvée, l’étau qui se serre et se desserre, la soif et le vertige.
Il fait chaud déjà, humide à Venise, après une semaine d’averses inexpliquées. Cette pluie augure d’une naissance heureuse, lui a-t-on dit. Un signe d’eau comme la ville, un signe de flottement. Un doux flottement, elle saura naviguer. Elle attend une fille, le pressent.

Giacomo est allé chercher Bianca. Entre les barreaux de fer, il a frappé au carreau de la grande bâtisse en pierre de la Pietà. Au rez-de-chaussée, Bianca est là, gardienne, portière, vigile des lourds battants de bois et de leur imposant verrou. Elle ne décide pas de qui a le droit de séjourner dans l’institution, mais chaque enfant passe par elle. De ses mains tendres, elle les a toutes touchées, en langes ou robe, c’est elle qui les rassure et les conduit jusqu’à la Prieure.
Giacomo est serein. Il lui dit, viens, c’est pour ce matin. C’est la sixième fois que je serai père. Il pense aux risques d’hémorragie, à tout ce qui pourrait advenir, sans que ça n’entame sa joie.
Depuis une quinzaine de jours, il prie matin et soir. Oui, pour matines et vêpres à San Giovanni in Bragora. Avant chaque naissance, il devient assidu, plein de sa foi, implorant à genoux que le corps ne soit pas malformé ou le cordon enroulé.

La petite porte de la Pietà, découpée dans l’un des immenses battants, s’ouvre. Il entend les gonds grincer, puis le claquement sourd lorsqu’elle se referme. Bianca est devant lui, son fichu en coton blanc de travers. Elle le regarde en souriant.
Mais tu ne t’es pas peignée pour accoucher ta cousine ?
Elle éclate de rire.
Elle pourra s’accrocher à mes cheveux sans avoir peur de me décoiffer ! Et puis, l’enfant à naître, on espère bien qu’il sera coiffé, lui…

La barque attend sur le minuscule canal.
Giacomo l’aide à monter, elle est chargée de son panier. Il rame d’un côté, de l’autre, il est pressé. Sa femme, ses filles, les siens, sa famille, et bientôt, cette autre enfant…
Un court instant, il prend le temps de regarder le ciel. Un beau début de bleu, étroit entre les édifices, un bleu après la pluie qui présage du meilleur. Un début de bleu qui s’échoue dans l’eau, qui se trempe de lagune, se rince de la nuit, se faufile entre briques et marbres, une aube nouvelle, une naissance, dans l’insouciance, dans l’ignorance qu’Ilaria va bientôt pointer le bout de sa chair.
Sans accroc, pleine de son cri à venir, vie immergée depuis neuf mois, au chaud du placenta, cellules patiemment assemblées, se démultipliant, se frottant, s’exerçant à fonder une matière neuve, des bras, un œil, deux yeux, poumons et cœur ; un cœur qui bat, dans cette Venise endormie, indifférente au miracle, un cœur à venir, un cœur pour mourir.
Épidémies, joies, inquisition, secrets, éblouissements d’eau et de feu, le petit cœur vivra son temps, traversé d’appréhensions et gonflé de bonheurs, oublieux, lâche et parfois courageux, mais toujours régulier à battre la mesure de la vie d’Ilaria, dont Giacomo ne sait pas encore le prénom, ne connaît pas encore le fin duvet qui recouvre ses bras, ses yeux écarquillés, ni le long cri qui éveille une vie entière, une ville et sa lagune, nuées de corbeaux et de cormorans, au petit matin.
Giacomo a accosté. Dans l’escalier qui monte de la boutique à la chambre, Bianca sur ses talons, il se presse, on arrive, on est là, tesoro, tiens bon !
Il s’adresse à Francesca qui les attend, son trésor, son joyau, il lui répète, mon joyau, au milieu des montagnes de soie, mon joyau. Et quand, en entrant dans la pièce, il pose le pied sur les tomettes de terre cuite irrégulières, quand Bianca manque de trébucher sur l’une d’elles, entre deux grimaces de souffrance, Francesca leur dit, c’est pour bientôt.
Bianca sort de son panier, cachée au milieu du linge, une petite statuette en bois de la Madone, son porte-bonheur avant chaque naissance. Elle fiche Giacomo dehors, demande à Francesca de s’allonger sur le lit, puis installe les brocs d’eau, une fiole de vinaigre et une de grappa à proximité, laisse la longue pince en fer hors de vue au fond du panier.
Francesca souffle, se raidit, se cambre. Et Bianca, comme elle l’a toujours fait, comme le lui a appris sa propre mère, s’assoit derrière sa cousine sur le lit, jambes repliées contre ses flancs, lui caresse le ventre qui se tend et se détend. Elle chuchote à l’oreille de Francesca en sueur, l’encourage, la guide tout en poussant l’enfant, l’extirpant de la béatitude maternelle, à travers le canal étroit, vers la lumière. Bianca voit ce canal à l’image de la ville d’eau. Elle dit, c’est maintenant, on y est, c’est maintenant.
Et Francesca, dans ses mains incrédules, accueille pour la sixième fois un enfant.
Parfaite, elle est parfaite, avec une magnifique tache de vin sur la cuisse, lui murmure Bianca. Comme la tienne.

Quelques mois plus tôt, Francesca et Giacomo étaient allés écouter une messe chantée à la Pietà. Un office de Pâques. Respirant le parfum mélangé d’encens et de suie des cierges, tandis que s’élevait le chœur des jeunes filles cachées derrière les grilles de fer de la tribune en marbre, Francesca touchait son ventre rebondi. Elle caressait le petit être à venir, tout en lui murmurant : si tu es une fille, tu chanteras avec elles.
Dans une soudaine exaltation, liant concert et liturgie, confondant ces voix célestes avec ses propres désirs, elle avait pris la main de Giacomo. Plus tard, elle lui dirait que leur enfant, leur sixième à venir, chanterait parmi ces anges.
Pénétrée par la musique, elle se revoyait adolescente. Quand sa mère l’avait emmenée à Venise, depuis Padoue. Elles devaient acheter du tissu pour la robe de fiançailles d’une de ses sœurs. On leur avait indiqué la boutique des Tagianotte, près de la Pietà.

En une seule phrase, le destin de Francesca s’était joué.

Sous les longs rayonnages de bois sombre, Giacomo avait déplié et déployé les fastueux métrages, sans jamais cesser de regarder cette jeune fille silencieuse.
Dans l’étroite boutique où les étagères débordaient de couleurs, Giacomo et la mère avaient longuement débattu de la qualité des tissus, hésité entre plusieurs pièces, avant de sortir pour en examiner une à la lumière du jour. Rien de mieux pour juger de la couleur, avait-il dit.
La jeune fille les avait suivis et Giacomo s’était émerveillé du reflet bleu de l’étoffe sur le cou de Francesca. Dans un élan soudain, il lui avait donné une longueur supplémentaire de soie.
C’est pour vous, avait-il dit en la lui tendant. C’est pour vous afin que ce bleu ne vous quitte plus.
Et Francesca, dans son insouciance adolescente, avait commencé de murmurer : la joie la soie, la joie la soie.
Elles étaient revenues le lendemain et quelques semaines plus tard, Giacomo avait fait sa demande, aussitôt acceptée.
Dans l’attente des noces, entre Padoue et Venise, Francesca avait cousu toute la doublure de sa robe de mariée de ce bleu originel. Un bleu plus profond que celui de la lagune sous le soleil, un bleu qui s’imbibe d’orage une nuit de Saint-Jean ; un geste superstitieux qui n’avait rien de frivole, au plus près de son âme, de son corps chaste, la promesse de leur amour, elle en était convaincue.
Depuis, ce bleu l’accompagnait dans chaque moment important de sa vie, à la vue ou à l’insu des autres. À chaque baptême, un peu de cette soie, dans les trois minuscules cercueils de ses enfants mort-nés, un linceul bleu.
Giacomo se moquait de cette manie. Tu ne comprends pas, lui répondait-elle toujours, tu ne vois pas qu’à l’intérieur, je suis de cette couleur.

Peu avant le terme, Francesca était allée voir Bianca pour lui dire, je voudrais que la petite entre à la Pietà.
Bianca l’avait aussitôt interrompue, attends de voir si elle vit, celle-là ! On ne sait jamais… Le destin des enfants est si fragile.
Et le nôtre, Bianca ? Et le nôtre ? avait répondu Francesca soudain furieuse. C’est exactement pour ça qu’elle doit être élevée ici !
Chacun à Venise avait des proches contaminés par la peste. Comment oublier la danse incessante des corps déformés et des cercueils ?
Sur la lagune, les morts et les naissances rivalisaient en nombre. Sur la lagune, on s’aimait avant de mourir, on priait avant de se désoler ; on luttait comme on pouvait contre l’inéluctable.

Francesca était persuadée que sa sixième vivrait et qu’elle chanterait. Je viendrai l’écouter ici, elle sera cachée derrière les grilles de fer, je ne pourrai pas la voir mais elle grandira en apprenant la musique, sans être obligée de couper et découper les métrages d’étoffes, de compter et recompter les sequins. Hors de question. Ilaria vivrait en s’élevant.
Alors, je pourrai bien entrer dans la danse des morts, insista Francesca auprès de sa cousine. Je pourrai mourir pour de bon, puisque la voix de ma fille sera déjà au paradis.
Bianca ne promit rien. Seules les orphelines trouvaient place au sein de la Pietà, ou bien des filles de parents assez riches pour payer les cours de musique.
J’en parlerai à la Prieure, avait-elle seulement répondu.
Et sans attendre l’avis de Giacomo, Francesca jura que la famille s’engagerait à fournir à l’institution les tissus nécessaires aux habits des plus pauvres. Bianca la regarda, interloquée, puis se mit à rire, mais elles sont 867 aujourd’hui !
Dis-lui qu’on donnera ce qu’il faut pour que la petite chante.
L’imparable argument de Francesca avait rapidement convaincu la Prieure.
Si la petite vit, nous l’accueillerons dès son troisième mois.

Et ainsi, soies et lins blancs permirent à Ilaria d’entrer en musique comme elle aurait pu entrer au couvent. À l’Assomption 1699, le nourrisson, un m
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Quand il la rejoint, ce jour-là, dans la salle où elle copie sa musique, Antonio apporte un concert pour violon qu’il espère publier, un nouvel opus, « La stravaganza ». La partition qu’il a en main est pour un violon soliste et orchestre à cordes. Il vient tout juste de commencer la composition d’un opéra. Il est débordé, assailli par les notes, les obligations, tout ce qui grouille dans sa tête, il répète sans discontinuer, Dio cane, Dio cane ….
En entrant, il trouve Ilaria assise de dos, ses tresses en couronne, le visage penché vers le papier à musique, l’encrier à sa droite, nuque tendue vers l’avant. Cette nuque soudain l’émeut ; il y perçoit toute la fragilité de la jeune fille, sa délicatesse, et en même temps cette concentration appliquée qui la tend et la renforce. Il voit dans la vertèbre saillante à la base de la nuque toute l’allégorie de la musique. La peau fine, la résistance de l’os et dedans une pulsation protégée par ces épaisseurs, trésor caché sous les carapaces.
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Imagine une terre entourée d’eau, imagine que cette terre est coupée en deux par un canal. De chaque côté, des maisons, certaines très belles, d’autres plus modestes. Partout des églises, des gens qui vivent, bougent, marchent, naviguent, chantent. Chacun des quartiers est divisé en de plus petites parcelles entourées par d’autres canaux reliés par des ponts. Il y a de l’eau partout. Je ne m’en rendais pas compte avant d’aller à Padoue.
(pages 38-39)
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Ilaria migre. Elle compose.

Croire qu’elle puise son inspiration dans ce qu’elle a appris est une erreur. Non, elle a volé chaque note lors de ses échappées. Elle s’est emparée de la tonalité du vent sur son visage en allant à la Giudecca, de l’eau sur ses jambes quand elle a plongé dans le canal, de l’aube plombée du mois d’août, du chant de la mouette qui déchire le ciel, de la flamme qui la brûle tout entière, quand la pensée de partir au loin s’empare d’elle. Elle devient alors ce paysage imaginaire, celui ourdi à plat sur la table, plume à la main, tableau extravagant, fresque de couleurs vives, ciel radieux, épais, qui s’accroche aux toits, aux campaniles, lapis mystérieux, une couleur en héritage, cachée dans un ourlet de robe.

Un certain bleu.
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Parfois, elle brûle, quand elle joue du violon. Ça part de son cœur, jamais de son esprit, elle insiste : de son cœur et ça se propage jusqu’à ses mains, elle a l’impression que tout s’enflamme, la touche, le violon, les cordes qui s’entortillent sous la chaleur, alors elle s’enfuit où elle peut, elle plongerait volontiers dans la lagune.
(page 168)
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Vidéo de Léonor de Recondo
Accompagnée de la violoncelliste Elisa Jonglar Venise 1699. Ilaria Tagianotte naît dans une famille de marchands d'étoffes. C'est une période faste pour l'art et la musique, le violon en particulier. À peine âgée de quelques semaines, sa mère place la petite Ilaria à la Pietà. Cette institution publique a ouvert ses portes en 1345 pour offrir une chance de survie aux enfants abandonnés. On y enseigne la musique au plus haut niveau. le prêtre Antonio Vivaldi y est maître de musique. Ilaria, jeune prodige, apprend le violon et devient la copiste du maestro Vivaldi. Elle se lie avec Prudenza, une fillette de son âge. Leur amitié indéfectible la renforce et lui donne une ouverture vers le monde extérieur. le grand feu, c'est celui de l'amour qui foudroie Ilaria à l'aube de ses quinze ans. Celui qui mêle le désir charnel à la musique si étroitement dans son coeur qu'elle les confond et s'y perd.
Dans le cadre du festival Italissimo 2024.
À lire – Léonor de Récondo, le grand feu, Grasset, 2023.
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