AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
EAN : 9782246826828
180 pages
Grasset (18/08/2021)
  Existe en édition audio
3.48/5   350 notes
Résumé :
Lorsqu’elle reçoit un message lui annonçant qu’on a retrouvé sa mère, disparue trente ans plus tôt, Magdalena n’hésite pas. Elle prend la route pour le Sud-Ouest, vers la maison éclusière dont on lui a donné l’adresse, en bordure de canal.

Comédienne réputée, elle a vécu toutes ces années sans rien savoir d’Apollonia. Magdalena a incarné des personnages afin de ne pas sombrer, de survivre à l’absence. Dès lors que les retrouvailles avec sa mère approc... >Voir plus
Que lire après Revenir à toiVoir plus
Critiques, Analyses et Avis (108) Voir plus Ajouter une critique
3,48

sur 350 notes
Sur fond d'Antigone de Sophocle que Magdalena, actrice de théâtre de grand talent, après avoir été meilleur espoir féminin au cinéma, va jouer au Festival d'Avignon, Léonor de Récondo, déjà appréciée dans Manifesto, signe Revenir à toi, un roman dur mais infiniment sensible.
Présent et passé se mêlent au fil d'un récit racontant le désarroi d'une fille abandonnée par sa mère, cataloguée comme folle et internée, disparue subitement. Magdalena avait 14 ans quand son père lui a annoncé : Maman est partie.
Laissée aux bons soins de ses grands-parents, Magdalena ne s'en sort que grâce à un professeur de français, au lycée, qui lui fait jouer Antigone de Jean Anouilh. Cette pièce de théâtre est une révélation pour cette jeune fille qui s'est murée dans le silence depuis la disparition de sa mère, Apollonia.
Dès le début du roman, je sais qu'on a retrouvé Apollonia. C'est Adèle, celle qui s'occupe de sa carrière d'actrice, qui l'annonce à Magdalena. Sa mère se trouve dans la maison éclusière de Calonges, sur le canal latéral à la Garonne, dans le Lot-et-Garonne.
Sans hésiter, Magdalena prend le train pour Bordeaux, loue une voiture et se rend jusqu'à cette fameuse maison éclusière.
Léonor de Récondo raconte tout cela de façon admirable, par petites touches délicates, inquiétantes, et j'angoisse quand même avant ces retrouvailles qui tardent et qui ne sont pas simples.
Heureusement, Jordan fait une apparition sympathique, accorde au lecteur un intermède érotique apprécié par Magdalena qui ne se décourage pas.
Son amour pour sa mère et sa patience seront récompensés. Avant cela, elle donne de sa personne. L'actrice qui faisait la une d'un magazine, dernièrement, retrousse les manches et nettoie de fond en comble la maisonnette où Apollonia vit, telle une clocharde.
Quelques petites touches ont déjà fait allusion au Chambon-sur-Lignon, à un terrible traumatisme lointain ayant atrocement marqué l'enfance d'Apollonia mais je n'en dis pas plus pour laisser à chacune et à chacun le soin de déplier, de dévoiler ce que la mère de Magdalena conservait précieusement dans une enveloppe.
De plus, je tiens à souligner les passages durant lesquels Magdalena s'exprime, confie impressions et sensations. Ces monologues, sans point, sans majuscule, sont à la fois prenants et instructifs.
Revenir à toi, sélectionné parmi les huit livres en lice pour le Prix des lecteurs des « Deux Rives » 2022, est un beau roman magnifiant l'amour d'une fille pour sa mère qui, elle-même n'a jamais surmonté ni évacué le drame qu'elle a vécu.
Cela ne sera possible que grâce à cette fille qui, la quarantaine passée, met sa carrière sur pause avant d'exprimer au plus fort, sur scène, dans le rôle d'Antigone, un hommage poignant aux défunts, pour que ne s'efface jamais la mémoire de celles et de ceux qui ont été lâchement assassinés mais aussi pour que les rescapés puissent continuer à vivre.

Lien : https://notre-jardin-des-liv..
Commenter  J’apprécie          1305
Magdalena, la quarantaine, comédienne de talent, s'apprête à reprendre une nouvelle fois sur scène Antigone de Sophocle, pièce programmée pour l'été à Avignon quand elle reçoit un appel de son agent : Magda, on a retrouvé ta mère.
Pour Magda, le château construit depuis l'enfance est emporté ; elle n'hésite pas et part aussitôt vers l'adresse indiquée, une maison éclusière à Calonges, dans le Lot-et-Garonne.
Trente ans se sont écoulés depuis ce jour où son père Isidore lui a dit : maman est partie. Certes sa mère Apollonia était fatiguée, et passait la plupart de ses journées allongée et Isidore avait dû demander à ses parents de les accueillir, n'arrivant plus à tout gérer, à s'occuper de Magdalena et d'Apollonia.
Mais les semaines qui vont suivre ce départ sont plombées de silence et Magdalena n'obtient aucune réponse à toutes les questions qu'elle pose et repose à son père et à ses grands-parents. Elle n'arrive pas à savoir où sa mère est partie et quand elle reviendra, si ce n'est qu'elle est partie se reposer chez des professionnels !
Magdalena a longtemps cru qu'elle retrouverait sa mère au retour de ses cours, a espéré un appel le jour de son anniversaire, mais en vain… Aussi, a-t-elle dû se passer d'elle, obligée de respirer sans elle et a pensé qu'elle était morte, que ce n'était pas possible autrement.
Les années passent et c'est Antigone qui l'a sauvée dit-elle. « Antigone est devenue son amie, son autre. Celle espérée qui comprend tout, prend tout, ne se sépare jamais, n'abandonne pas, n'y pense même pas ».
Ces pensées, ces années passées à attendre, ces années perdues à errer à la quête d'un amour qui viendrait combler le vide béant resurgissent dans la tête de Magdalena lors de son trajet en train à la rencontre de cette mère retrouvée, et la question se pose de savoir comment elle va pouvoir mettre son coeur à nu.
Léonor de Récondo développe avec beaucoup de délicatesse la manière dont Magdalena va peu à peu avec patience retisser des liens avec cette mère devenue clocharde et qui dans un premier temps restera totalement prostrée. Les regards et les gestes, les chuchotements et les caresses vont graduellement combler ces années d'absence pour finalement dévoiler un secret tacitement transmis et renouer ce lien rompu.
Beaucoup de sensualité, de tendresse accompagnent Revenir à toi, ce récit de deux enfances peuplées d'absences et certains passages n'ont pas été sans m'évoquer le roman de Christophe Perruchas, Revenir fils, notamment le très beau moment où Magdalena fait la toilette de sa mère.
Si le doute de possibles retrouvailles avec sa mère s'insinue parfois dans l'esprit de Magdalena, sa persévérance finira par l'emporter et lui permettra non seulement une magnifique réconciliation avec Apollonia mais également avec elle-même. C'est ce long et double cheminement que l'auteure a su faire vivre avec moult émotions tout au long de ce roman. En effet, la joie, la peur, la résignation, la colère, l'espoir sont autant de sentiments qui vont traverser l'esprit de Magdalena.
J'aurais aimé peut-être, avoir davantage d'explications sur le passé d'Apollonia mais la concision du roman et les chapitres courts sont aussi les forces de ce roman dans lequel on entre presque comme dans un moment suspendu.
L'auteure m'a embarquée avec virtuosité avec son héroïne, avec laquelle j'ai affronté tous les tourments qui la traversaient avant ce merveilleux moment d'apaisement.
J'ai particulièrement apprécié cet hommage que rend Léonor de Récondo à la scène, au théâtre et aux grands mythes littéraires qui peuvent façonner les êtres et se révéler salvateurs.
Revenir à toi, deuxième roman de Léonor de Récondo que je lis, après Manifesto, convie le lecteur à une belle histoire de réconciliation ainsi qu'à une réflexion sur l'amour, l'abandon, la maternité et le poids du passé.

Lien : https://notre-jardin-des-liv..
Commenter  J’apprécie          1093
Magdalena est une comédienne célèbre, ses mots, ses rôles et surtout Antigone sont autant de refuges pour cette femme qui n'a jamais réussi à être femme et libre. Quand elle reçoit un appel de son manager lui annonçant avoir retrouvé sa mère, Magdalena lâche tout et prend la direction pour Revenir à toi.

Sa mère est partie quand Magdalena avait quatorze ans. Avant son départ, elle était dépressive, constamment allongée, apathique, muette.

On sent combien Magdalena a souffert de cette vie sans mère, l'écriture de Leonor de Recondo joue très bien sur la corde des émotions. de jolis passages témoignent de cette détresse :
« Je péris sans avoir usé ma part de vie. »

« J'avais le droit d'être mes rôles, c'est tout ; sur scène j'étais libre, partout ailleurs, enfermée »

Pourtant cette histoire m'a laissée de marbre et souvent m'a fait levé les yeux.
Les retrouvailles avec cette mère, ce « monstre gavé par l'attente » figée dans une mélancolie de glace depuis il semblerait trente ans sont des plus particulières. Sans en dire trop, je doute qu'une femme âgée figée dans le silence puisse vivre seule comme le décrit l'auteure, en se gavant de biscuits toute la journée et rien d'autre.
Il y a aussi cette rencontre au Décathlon avec Jordan et ce qui s'en suit me laisse tout autant sceptique.

Dans ce roman, il y a beaucoup trop de choses qui enrobent une impression de vide. Rien ne sera expliqué ou dévoilé pour comprendre la maladie de cette mère. La fin ne m'a pas non plus convaincue. C'est aussi un roman voilé exclusivement ou presque introspectif avec beaucoup de silence qui voudrait en dire long et finalement ennuie plus qu'il ne passionne.

Dommage car jadis j'avais beaucoup aimé Amours de cette auteure.
Commenter  J’apprécie          9312
Magdalena, actrice renommée qui a délaissé le cinéma pour se consacrer essentiellement au théâtre, reçoit un appel de son agent, Adèle. Celle-ci lui apprend que sa mère a été retrouvée. Si elle raccroche aussitôt, voulant oublier dès lors que cet appel a existé, elle ne peut s'empêcher de lui envoyer un sms pour connaître l'endroit. Trente ans que Magdalena n'a pas vu sa mère, Apollonia, depuis le jour où, en rentrant de l'école, elle n'était plus dans son lit. Trente ans à se construire une vie avec l'absente, à se poser moult questions qui n'ont jamais reçu de réponses. Pourtant, Magdalena se rend aussitôt à la gare Montparnasse, direction Calonges, dans le Lot-et-Garonne...

À seulement 14 ans, Magdalena est abandonnée par sa maman. Trop fatiguée, apparemment. Si la femme qu'elle est devenue aujourd'hui a réussi professionnellement, elle n'aura eu de cesse de s'interroger sur les raisons qui ont poussé Apollonia à la laisser. Petit à petit, l'on découvre son adolescence, en partie élevée par ses grands-parents, ses choix de carrière, ses relations amoureuses et, enfin, sa rencontre avec Apollonia pour le moins désarmante. En arrière plan, Antigone, de Sophocole, qui semble faire écho à la vie de Magdalena, telle une ombre planante. Léonor de Récondo nous offre un roman touchant, sensible, empreint d'une certaine mélancolie, en abordant les thèmes de la filiation, la transmission, le poids du passé, le pardon, les non-dits. Sa plume délicate et concise dépeint, tout en finesse, le portrait d'une femme fragile, sensible, qui sait que seul le pardon lui permettra d'être, enfin, elle-même.
Commenter  J’apprécie          660
C'est toujours un plaisir de savoir que Léonor de Recondo nous propose un nouveau livre. Désormais chez Grasset, après avoir été longtemps chez Sabine Wespieser (une très bonne éditrice) et après nous avoir emballés avec « Amours », et « Pietra viva », elle traite ici d'un sujet sensible, qu'elle n'avait pas jusqu'ici évoqué sauf erreur de ma part : les relations fille / mère.

Ou plutôt l'absence de relations, car Magdalena, l'héroïne de « Revenir à toi » s'est construite seule, avec une absence de mère comme incipit. Apollonia a subitement disparue de son univers : son père n'a pas su expliqué quoi que ce soir à l'adolescente, et a peu à peu délaissé cette enfant, la laissant aux bons soins de ses grands-parents maternels eux aussi avares de mots.
Des mots à mettre pour guérir des maux de l'absence, Magdalena en aurait eu pourtant besoin. On comprendra bien après qu'Apollonia était internée dans un hôpital psychiatrique, mais ses choses là ne se disent pas, Magdalena aura du faire avec.

C'est avec les mots des autres qu'elle va se construire. En tombant par hasard, à l'occasion d'un atelier théâtre, sur ce qui va devenir son unique passion et vocation : devenir comédienne.
Il y a de très belles pages sur la fascination pour celle qui ne connaît pas elle-même à se glisser dans la peau d'une autre.

Alors, quand après un coup de fil, elle découvre d'une part que sa mère est vivante, d'autre part qu'on sait où elle habite, elle fonce.
La suite sera d'abord plus difficile, avec une mère hostile, mutique, vivant dans un taudis et dans des conditions d'hygiène déplorables. Au départ la mère ne dit rien, et Magdalena se heurte à ce mur de silence.
Et puis une phrase surgit, et un fil de laine fragile apparaît qui va permettre à Magdalena de dévider la pelote et comprendre enfin les raisons des troubles psychologiques profonds qui ont atteints sa mère.

Dans les dernières pages elles communiqueront enfin dans une relation réparée.

On sort de cette histoire ragaillardi par la puissance des mots contre le mutisme, avec un très bel hommage rendu à ses femmes qui se consacrent au théâtre : le portrait ici très sensible d'une vraie comédienne que nous livre Léonor de Recondo.
Commenter  J’apprécie          4310

Citations et extraits (149) Voir plus Ajouter une citation
(Les premières pages du livre)
Magdalena est allongée sur le lit recouvert d’une feuille de papier jetable, elle observe le médecin, et remarque son front trop lisse, les ridules autour des lèvres comblées, gonflées, publicité pour les injections qu’elle propose.
Et Magdalena dit, sans l’avoir prémédité, j’ai ce grain de beauté dans le cou. Ça me dérange pour me coiffer, j’ai peur que le peigne ne l’arrache, et pour les perruques aussi, le maquillage, il faut toujours que je pense à le protéger.
La dermatologue regarde, touche de son doigt froid. Son index analyse matière et densité. Elle s’excuse justement du froid et ajoute, ce n’est rien, je vais vous l’enlever tout de suite.
Elle imbibe un coton de lotion anesthésiante, le pose quelques instants sur le grain de beauté, et d’un coup de scalpel tranche net le bout de peau brunâtre. Un peu de sang, c’est fini.
La dermatologue, contente d’elle, sourit.
C’est allé vite pour Magdalena, elle n’a rien senti. Elle demande, fini quoi ?
Le grain de beauté.
Et le médecin lui colle un pansement à la place.

Dans la rue, Magdalena se demande pourquoi elle a accepté que cette femme qu’elle ne connaît pas lui coupe ce petit bout de peau.
Son téléphone sonne.
Sur l’écran apparaît la photo d’Adèle, son agent.
Oui ?
La voix lui dit quelque chose qu’elle ne comprend pas.
Quoi ? Qu’est-ce que tu racontes, Adèle ?
Et Adèle répète plus lentement : Magda, on a retrouvé ta mère.
Magdalena raccroche, range le téléphone.
Cet appel n’a pas existé. Rien à entendre, rien à comprendre, mais il provoque une fissure dans ses pensées. Fissure aussi fine que l’incision dans son cou. Elle la sent, elle a peur du flot de souvenirs qui pourrait surgir. Un suintement qui finirait par tout emporter. Emporté, le château construit depuis l’enfance. Goutte après goutte, l’édifice s’effondrerait sur lui-même, noyant sa volonté farouche, arrachant les tuteurs et laissant les mortiers dissous.
La houle est profonde.
Combien d’années pour s’interroger sur l’absence, s’y soumettre, s’y conformer, raison faite ? Elle ne veut pas compter. Compter, c’est commencer de donner chair aux souvenirs, c’est croire que ce coup de fil a eu lieu.
Un grain de beauté en moins, elle en était là, juste là, pas plus loin.
Son portable vibre encore et encore dans son sac. La fissure s’étend dans son cerveau.
Elle s’empare du téléphone. Cinq appels en absence. Adèle.
Personne ne peut lui parler de sa mère. Personne n’en a le droit parce que nul n’a su lui expliquer. Et si des réponses existaient bel et bien, ce serait trop tard.
Trente ans.
Pourquoi faire semblant ? Magdalena a compté chaque jour, des petits bâtons les uns à côté des autres dans sa tête, une foule en désordre.
Elle envoie un SMS à Adèle : Où ça ?
Maison éclusière à Calonges sur le canal latéral, Lot-et-Garonne.
Un pas devant l’autre sur le trottoir parisien, Magdalena est en route, à pied, en train, en bateau, s’il le faut.
Elle prend le métro vers la gare Montparnasse, achète un billet à un guichet automatique. Le prochain train pour Bordeaux part dans trente minutes. Elle a retiré 500 euros. Les dix billets de cinquante sont rangés dans son portefeuille.
Deux heures de train, ensuite, elle ne sait pas. Elle sait simplement que c’est par là, dans ce coin de France. Ça la rassure d’avoir du liquide sur elle, ça la protège.
De quoi ? De qui ?
Elle chasse ces questions, pense qu’elle n’a prévenu personne de son départ. Adèle s’en doutera.
Sa prochaine répétition est dans cinq jours. Ce voyage n’aura pas existé. Au retour, sa vie recommencera avec la lecture préparatoire de la pièce programmée à Avignon cet été. Antigone de Sophocle. Elle est Antigone. Elle l’a lu, relu, par cœur, rabâché. Mais là, elle ne se souvient de rien, sinon d’une réplique qui tourne en boucle dans sa tête comme un disque rayé.

Je péris sans avoir usé ma part de vie.

Elle ne va pourtant pas périr, elle est bien en vie avec sa revue en main dans la boutique de la gare. Elle la pose. Elle vient de se rendre compte qu’elle a 500 euros en poche, mais pas un habit de rechange, juste un jeans, un chemisier en soie, une veste en tweed. À ses pieds : des escarpins. Ce matin, elle a hésité à mettre des baskets, et puis elle a choisi ces talons pour se donner de l’assurance devant la dermatologue. Il faudra s’acheter d’autres chaussures.
Le tableau d’affichage indique la voie 4.
En arrivant sur le quai, elle s’aperçoit que sa voiture est la plus éloignée. Elle presse le pas, ne veut pas rater ce train-là. Trente ans. Trente ans et une course sur la voie 4.

Assise, place isolée en première classe, elle transpire, enlève sa veste. Son chemisier colle à son dos. Elle le secoue, souffle entre la soie et sa peau.
Elle se détend, s’installe confortablement. Pendant les heures de voyage, personne ne pourra ni la joindre ni la rejoindre. Elle sera en suspens, entre deux territoires.
Elle observe son reflet dans la vitre. Elle s’examine comme elle le ferait d’un visage étranger, comme la dermatologue plus tôt. Elle touche le pansement qui ne s’est pas encore décollé.
Apollonia, est-ce que je te ressemble ?
Apollonia, le prénom de sa mère.
Elle continue de se regarder, passe la main dans ses cheveux pour peigner les boucles brunes qui se sont emmêlées. Boucles noires de jais, peau diaphane blanche, on lui a toujours dit ta peau de lait, pommettes hautes, nez droit, long, bouche charnue, lèvre supérieure saillante, et ses yeux vert très pâle qui changent suivant les mouvements des nuages, la densité du ciel, la pluie, l’orage, les embardées de bleu. Sa beauté. On lui dit toujours, Magda, ta beauté.
Quoi, ma beauté ?
Et souvent l’interlocuteur n’ajoute rien, ou bien la compare à des actrices américaines des années 50, beautés sophistiquées, beautés amples, seins-fesses-jambes. Ces comparaisons laissent Magdalena indifférente. Elle ne voit rien d’elle dans ces femmes-là. Magdalena ne voit rien d’elle en général.

Elle se souvient d’une boîte carrée recouverte d’une peau brune de serpent, ses jointures dorées, le bruit sec de la fermeture, la poudre libre et rose clair maintenue sous un fin grillage. Recouvrant ce maillage en fer, il y a une houppette en tissu à la texture fragile et moelleuse, tachée en son centre par l’imprégnation répétée de poudre. Cette poudre posée sur la joue de sa mère.
Le poudrier s’ouvre et se referme dans un pli de la mémoire de Magdalena.
Et ça lui revient d’un coup. À ce moment précis, ça lui explose au visage, ça crève ses sens, ça donne un coup d’arrêt au fil de ses pensées. Comme le souffle d’une explosion : le parfum de la poudre de sa mère.
Les larmes surgissent.
Elle s’affaisse un instant sur son siège, puis se redresse. Ce n’est que le début du voyage. Elle n’observe plus son reflet sur la vitre, son regard n’accroche aucun arbre, aucune maison qui longe la voie ferrée. Magdalena se souvient.
Elle se souvient du jour où son père, Isidore, lui avait dit : maman est partie.
Une phrase simple, sujet verbe participe passé. Une phrase tout à fait intelligible. Magdalena la comprenait, mais la trouvait trop courte. Il lui manquait au moins un complément de lieu, ainsi que plusieurs paragraphes d’explications. Une maman ne part pas comme ça. Le ton de son père était à la fois désinvolte et ferme. Il esquivait, il n’y avait ni pharmacie, ni boulangerie, ni même une autre ville. Il y avait un espace long et indéterminé pour une durée distendue.
Maman est partie.
Elle se souvient d’avoir hoché la tête en signe de compréhension et de soumission. D’impuissance aussi. Que pouvait-elle faire avec ses petits bras, ses petites jambes, son petit corps de rien du tout ? Du haut de ses quatorze ans, Magdalena avait la conscience de n’être rien. Les années précédentes l’en avaient convaincue, ballottée par les humeurs des adultes, leurs mouvements imprévisibles, le regard confus de sa mère à force de médicaments, vides les jours derniers.
Commenter  J’apprécie          40
Je vais te raconter ce que j'ai appris sur les gens. À force de m'arrêter chaque jour chez eux avec leur courrier, je les connais tous. Ils m'ont pas seulement ouvert la porte de leur maison, mais aussi celle de leur vie. J'en ai vu des mariages, des divorces, des naissances, des morts, des faire-part, plein. J'en ai vu des au fond du trou, des qui étaient prêts à jeter l'éponge, plein. J'en ai vu des qui n'arrivaient plus à se lever, à sortir du lit, à ouvrir les yeux, à peine à ouvrir la porte. Et puis ça revient, lentement, mais ça revient l'espoir. Quelque chose comme ça, comme une lumière qui réapparait dans la vie. Je les voyais, les visages qui retrouvaient leurs couleurs, la confiance qui sortait du trou noir. Y a en même qui oubliaient complètement la peine dans laquelle ils avaient été. Et tu sais pourquoi ? Parce qu'il y a des choses qui s'expliquent pas dans la vie, ma petite. Faut juste les accepter comme elles sont, même si ça te fend le cœur.
Commenter  J’apprécie          280
C'est au milieu de la cuisine qu'il l'embrasse. Entre les croquettes pour chat, la table où s’empile la vaisselle et le néon au-dessus de l’évier.
C'est là, dans le foutoir de ma vie.
Magdalena voit à la suavité de son regard qu’il s'apprête à la prendre dans ses bras.
À cet instant, Magdalena fracassée, en mille morceaux dedans, bribes de Sophocle, lambeaux d'Antigone et de roses, laisse le geste se faire.
Main qui saisit sa tasse et la pose, regard qui s'est suspendu au sien, un bras qui se déploie pour entourer sa taille, l’autre qui, avec la même ampleur, vient l'étreindre, l’approcher jusqu’à ce que poitrine contre torse soit, et que leurs lèvres dans ce mouvement, à l'unisson, se touchent. Les lèvres sont goulues, dans ce baiser à la fois inattendu et tendre, avec ce qu'il fait naître d’espoirs, de répit, d’abandons, ce que ces mots comportent d'ambivalence et d'épreuves, de brides abattues, puis perdues. Joie d'explorer un nouveau monde, celui de l’autre, ce qu’il promet d’irrésolu et de grâce, lorsque les peurs se recroquevillent au cœur de ce baiser, le premier. Magdalena dedans fracassée, mille morceaux à terre, le foutoir, Magdalena nuque relâchée et yeux clos, livre sa bouche entière.
Lui est à l’affût des secondes. Il a senti, contre son avant-bras, la taille ployer, le basculement de la colonne vertébrale, une cambrure se creuser, puis à l'approche des hanches, le pubis s’incruster à sa cuisse, et les seins simultanément se poser. Alors les digues lâchent, sa timidité valse aux orties. Il est devancé par son geste.
Quand les seins touchent son torse, quand il devine les côtes de Magdalena qui se soulèvent pour respirer, corps vivant contre le sien, il réalise qu'il embrasse. La rencontre des deux souffles agit comme une déflagration. Explosion du désir chez lui, perte de tous repères géographiques, temporels, rien sauf elle dans ses bras, et l'envie folle, par folle Jordan entend impérieuse et ardente, de parcourir ce territoire nouveau, encore inconnu quelques jours auparavant, dont l'existence lui échappait, et qui maintenant le dévore tout entier — pensée obnubilée et obligée par cette femme. À sentir la palpitation de la poitrine contrainte sous les habits qui la recouvrent, son imagination se déploie en vertiges. Vertige de sombrer dans ce corps inexploré, de caresser sa peau, il a déjà pris ses fesses à pleines mains - la connaître avec sa paume. p. 116-117-118
Commenter  J’apprécie          100
Vous imaginez chaque rôle comme une extrapolation, une exagération d’un trait qui serait le mien ? Vous croyez découvrir une nouvelle facette de moi, une minuscule parcelle d’un vaste portait qui ne serait jamais complété ? Et si je vous disais, au contraire, que chaque personnage est un mariage de plus, un effacement du trait, un détour sur le chemin, un sentier sauvage à défricher, une bifurcation, une excuse, une halte, encore une, pour ne pas s’approcher du cœur, du poumon, et rester en lisière de soi, de son propre désir, se remplir du regard des autres, pour le prendre en embuscade, le séduire, s’en emparer, afin d’éviter toujours d’être soir-même ?
(pages 81-82)
Commenter  J’apprécie          280
Elle pense à ses compagnons comédiens, parisiens, chacun portant son histoire tordue, kyrielle d’amochés, souvent discrets sur leur passé, partageant parfois un souvenir si l’amitié le permettait. Magdalena s’invente dans ses personnages, n’évoque jamais le pavillon triste de ses grands-parents. On lui demande rarement d’où elle vient, mais toujours où elle va, ses projets, ses rôles, un futur si prégnant à chaque instant. Une fuite en avant, demain, demain, demain.
Commenter  J’apprécie          350

Videos de Léonor de Recondo (56) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Léonor de Recondo
Accompagnée de la violoncelliste Elisa Jonglar Venise 1699. Ilaria Tagianotte naît dans une famille de marchands d'étoffes. C'est une période faste pour l'art et la musique, le violon en particulier. À peine âgée de quelques semaines, sa mère place la petite Ilaria à la Pietà. Cette institution publique a ouvert ses portes en 1345 pour offrir une chance de survie aux enfants abandonnés. On y enseigne la musique au plus haut niveau. le prêtre Antonio Vivaldi y est maître de musique. Ilaria, jeune prodige, apprend le violon et devient la copiste du maestro Vivaldi. Elle se lie avec Prudenza, une fillette de son âge. Leur amitié indéfectible la renforce et lui donne une ouverture vers le monde extérieur. le grand feu, c'est celui de l'amour qui foudroie Ilaria à l'aube de ses quinze ans. Celui qui mêle le désir charnel à la musique si étroitement dans son coeur qu'elle les confond et s'y perd.
Dans le cadre du festival Italissimo 2024.
À lire – Léonor de Récondo, le grand feu, Grasset, 2023.
+ Lire la suite
autres livres classés : dépressionVoir plus
Les plus populaires : Littérature française Voir plus


Lecteurs (628) Voir plus



Quiz Voir plus

Amours : Léonor de Récondo

En quelle année se passe l'histoire ?

1542
2000
1947
1908

5 questions
42 lecteurs ont répondu
Thème : Amours de Léonor de RecondoCréer un quiz sur ce livre

{* *} .._..