L'influence de Rome sur Géricault apparaît clairement. Rome a opéré une définitive mise au point de ses tendances antérieures et un passager appauvrissement de sa palette, auquel l'Angleterre allait remédier.
On a vu de tout temps des jeunes gens riches, heureusement doués, se livrer à la peinture en amateurs, et mieux qu'en amateurs, excellant à l'égal des artistes de métier, avec je ne sais quoi de plus dégagé dont leur art profite. Mais chez Géricault, ce que libèrent les facilités de l'existence, c'est un démon de peintre qui a, si l'on peut dire, quelque chose de dionysiaque ; c'est, pour employer les termes de Géricault lui-même, « le feu d'un volcan, qui doit absolument se faire jour, parce qu'il est dans son organisation une nécessité absolue de briller, d'éclairer, d'étonner le monde ».
Cette mâle fureur est de tous les temps, mais, dans les écoles anciennes, se contient, n'est que liberté de facture, ou fierté de style, ou ce que les Italiens appellent « terribilità » ; chez Géricault elle éclate dans toute son âpre et sauvage franchise. Il semble qu'avec ce jeune homme à qui Gros veut « tirer quelques palettes de sang », apparaisse pour la première fois dans l'histoire de notre art la conception que la grande affaire pour un peintre, c'est moins de cultiver son talent, d'augmenter sa science, ou même de faire preuve de génie, que d'avoir du tempérament.
Et pourtant chez ce solitaire et chez cet amateur, chez ce peintre qui parle une langue si personnelle, valable, dirait on, uniquement pour lui, il y a une ambition qui le dépasse, et qui n'est pas moins nouvelle. Il croit reconstruire sur sa véritable base tout l'édifice de la peinture. Qu'elle est étrange, l'histoire de la peinture depuis David ! On dirait le récit du travail de Pénélope ! Chaque artiste recommence l'ouvrage de son prédécesseur, plutôt qu'il ne le continue.