J'aime les récits d'aventure, de marins au long cours et ici je suis tombée sur une pépite du genre. Un roman ? Non, un reportage plutôt. Un reportage ancien puisqu'il date des années 1911 et 1912. Et le lieu de l'action est un vrai paradis : la Polynésie. Des centaines de petites îles disséminées dans le Pacifique où il est bien difficile d'appliquer les lois, tant elles sont éloignées des pays qui les régissent.
Un tableau de chasse idéal pour les frères Rorique...
Pourtant au départ tout leur souriait. Marins remarquables ayant sur leur ardoise de beaux faits de sauvetage en mer, issus d'une prestigieuse famille de Belgique, d'une parfaite éducation, ils parlent cinq langues.
Mais vers 1890, tout change. Les deux frères rêvent d'aventure et d'océan, de bateau et de richesse. Celui qu'ils possédaient dans les mers du Nord a brûlé et il ne leur reste rien. Alors en route pour l'Océanie et l'océan pacifique. Là-bas, ils tenteront leur chance.
Ils commencent par changer de nom et de passé. Ils travaillent pour différents armateurs, mais toujours sous les ordres de quelqu'un d'autre. Eux, ce qu'ils veulent c'est être à leur compte, être libres, être capitaines d'un bateau, choisir les destinations et les marchandises échangées. Être seuls maîtres à bord après Dieu.
Alors, en 1892, ils s'emparent d'une goélette magnifique, la Niuarahiti, qui répond docilement à leurs ordres. Quel bateau ! Avec quelle aisance, il traverse tempêtes et dépressions marines. Ils sont heureux, ils ont enfin trouvé le bateau à leur juste mesure. Ils ont tué sept matelots pour cela et gardé en vie le cuisinier Hippolyte Mirey. Mais qu'importe, ils sont enfin les maîtres à bord. Et rien ni personne ne pourra les déloger.
Personne ? Si, le cuisinier profite d'une escale sur une île ayant une administration policière pour les dénoncer. Son récit étonne,
les frères Rorique sont tellement hors norme, instruits, cultivés, aimables, comment se pourrait-il qu'ils aient commis un tel acte de piraterie avec tout son cortège d'homicides, de violences et de falsifications de papiers de bord.
Commence alors un bras de fer entre ces deux hommes intelligents et instruits et le simple cuisinier, seul témoin vivant de cette barbarie. Où est la vérité ?
René La Bruyère a pu retracer le parcours des frères Rorique grâce aux témoignages des personnes qui les ont croisés et surtout grâce à l'examen du dossier du tribunal maritime de Brest. À l'époque cette incroyable histoire était passée presque inaperçue car se tenait en même temps la célèbre affaire Dreyfus.
René La Bruyère a construit son remarquable reportage en essayant d'analyser les faits dans leur ordre chronologique et ainsi de surprendre le lecteur. C'est très bien fait et jusqu'au bout on attend avec fébrilité de connaître le sort des deux frères et de leur cuisinier et on s'étonne de l'étrange sympathie dont on bénéficiait les deux premiers.
Mais bien sûr de tout ceci, je ne vous parlerai pas. le procès a eu lieu, la justice a été rendue. Il ne reste de ce fait divers que quelques lignes dans les journaux de l'époque. Mais la piraterie perdure...
Je remercie infiniment Gill pour le partage de cette lecture, lecteur au long cours n'hesitant pas à prendre d'assaut toutes les bouquineries et à emplir ses coffres de trésors inestimables.
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