On ne choisit pas grand chose.
Ni l'instant de naître, ni le nom qu'on porte, ni la couleur de ses yeux, ni ceux qui, plus tard, nous blesseront parce que nous les aurons aimés. Issus d'un désir qui nous restera à jamais étranger, marqués au fer par le langage et la place qui, avant même que nous fussions conçus, nous avait été dévolue comme nôtre par d'autres, un bandeau sur les yeux, nous crions liberté et mourons en aveugle.
Il avait écrit (Sartre) :"On est ce qu'on fait."
J'avais la certitude absolue du contraire : on est ce qu'on ne fait pas.
La culture, c'est la mémoire de l'intelligence des autres.
Le bonheur n'a jamais rendu personne heureux.
Au cours de son existence, l'être humain ne possède qu'une certitude, celle de sa mort.
Par syllogisme, il est facile d'en déduire le désir de mort inconscient métaphoriquement contenu dans toute recherche de certitude.
On est ce qu'on désire.
Mais ce qu'on désire, on l'ignore. Et ce désir, dont nous ignorons en quoi il consiste, mais que nous subissons comme la frappe la plus singulière de notre "moi", nul d'entre nous n'a choisi qu'il nous habite. Il est "écrit". Il nous précède. Nous entrons dans son champ par le biais du langage.
Car ce désir qui nous structure n'est pas nôtre. Il est, par le biais du discours, désir de l'Autre, désir d'un Autre désirant.
"La création ne vient jamais d'un bonheur. Elle résulte d'un manque. Contrepoids d'une angoisse, elle s'inscrit dans le vide à combler d'un désir dont on attend jouissance et de l'échec de son aboutissement. Autant dire qu'elle ne peut naître que d'un ratage, le manque à jouir.
J'en avais même déduit que depuis le début des temps, toute création était contenue dans les 10 cm séparant la main d'un homme du cul d'une femme. L'homme brûle de poser sa main sur ce cul. S'il va au bout de son geste, si la femme l'accepte, ils se retrouvent dans un lit et font l'amour. Il y a jouissance: rien n'est crée. S'il ne l'ose pas, fou de frustration, il rentre seul, compose la neuvième symphonie, peint l'homme au casque d'or, écrit la Divine comédie ou s'attaque au Penseur."
Mais à l'usage des gagneurs - dans le sens de "gagner son salut" - qui osera jamais écrire le traité de l'échec ?
L'avouer aujourd'hui me fait sourire: je suis toujours aussi phobique. Mais, entre-temps, j'ai négocié avec mes phobies.
Ou je ne me mets plus en position d'avoir à les éprouver, ou, dussé- je, les considérant comme l'accident d'un temps vide, je les subis avec la résignation ennuyée qu'appellent les fatalités extérieures.
Vivre masqué. Ne pas laisser la moindre prise. Être lisse.