Citations sur L'aube le soir ou la nuit (27)
Boulevard Raspail, je rencontre Eric Neuhoff. Je confirme ce qu'il a entendu ( à l'heure des ces premières lignes tout le monde semble surpris de ma démarche).
- Ne faites pas çà Yasmina, dit-il d'un ton pénétré et amical.
- Mais vous ne savez pas ce que je fais.
- Ne faites pas çà Yasmina, ils sont plus forts que nous.
" Les femmes ont du bonheur à gigoter. Nous, on n’a rien, on a la télécommande. On n’a pas le crayon à cils, le sac, tout ce qui colore, c’est un boulot d’être femme. Nous on n’a pas ça, on est plus fragile à la vague de l’ennui, à l’éreintement du temps, il faut qu’on trace comme des dingues, à toute blinde. "
Les personnages, quel que soit leur âge – aucun n’est jeune –, se battent pour rester en devenir. Rester en devenir, l’obsession de tous ceux à qui j’ai donné un nom et une voix. D’où vient cette déchirante propension à se sentir, au moindre ralentissement, écarté de la vie ?
Il écoute, les uns, les autres, regardant crépiter son perpétuel feu de bois, balançant son pied, il écoute à travers un voile, ne laissant filtrer que certains éléments, il est à la fois avec eux et en lui-même, il ne retient que ce qui aiguise sa sensibilité contradictoire.
Quand il m’arrive de travailler pendant des heures et d’être pris par ce que je fais, je ne pense pas du tout à la « vie », ni au « sens » de quoi que ce soit.
Le créneau, le mot le plus con de la terre, le créneau écolo, c’est vrai que ça me fait chier.) Rien ne lui ressemble dans cette génuflexion incontournable, à laquelle se sont prêtés juste avant lui, quart d’heure par quart d’heure, docilement, ses concurrents. Et rien ne fonctionne. Pas même l’ascenseur du Quai Branly qui refuse de nous transporter et se remet en marche à peine nous en ressortons.
Comme souvent, et bien avant que je ne le rencontre, je suis frappée par l’enfance. Enfance, intelligence, habits d’homme. La cravate et le costume ne sont jamais de son âge. Le costume d’homme accentuant je ne sais quelle fragilité. Le rire non plus n’est pas de son âge. Je le trouve élégant ces derniers temps. J’en fais la remarque à Pierre Charon.
Dans ce même déjeuner, parlant des adolescents, il dit, il faut qu’ils deviennent indépendants, il le faut. Ce qui est un problème c’est quand ils deviennent indépendants et pas gentils, gentils c’est le plus important.
Des mots sans relief particulier, les premiers pourtant que j’entends de sa bouche et qui rendent compte d’une vie intime.
Les poètes ont le privilège d’obéir à des lois intempestives, qui ne requièrent ni logique, ni suivi apparent. Ces lois servent une vérité que toute explication trahirait.
Jorge Luis Borges aura écrit les plus beaux mots sur la déchirure de l’amour. Lui dont l’écriture est la moins sentimentale qui soit, lui dont le sujet de l’amour est infime dans l’œuvre.