Comment leur faire comprendre, à ceux qui la traitent d'égoïste, qu'elle se moque de l'inconfort, qu'elle préfère mille fois braver le froid de Ferryside que se laisser harponner par l'ennui de Hampstead, qu'elle veut être sans eux, qu'elle se sent heureuse lorsqu'elle est seule. Est-ce si compliqué ? Soulagement intense de les voir partir dans le ferry, vers la gare. Elle se tient sur le pas de la porte, seule dans son royaume. Vite, une promenade avec Bingo, grimper la route qui monte vers Lanteglos, contempler la beauté argentée de la baie, respirer, jouir de la solitude, se sentir enfin en paix.
Pour lui, l'important c'est l'art, la musique, le français, la littérature. Hélas, il faut y rajouter le calcul, que personne n'aime dans la famille du Maurier.
C'est un ouragan.Il n'y a pas d'autre mot.Un ouragan qui s'appelle Rebecca.En un mois,le livre se vend à 4000 exemplaires.L'éditeur réimprimé.Ce n'est que le début. Daphné du Laurier,ce nom est sur toutes les lèvres.Qui est cette jeune femme de trente et un ans ?
Elle se doute que ce livre là, moderne, impertinent, audacieux, risque de choquer. Tant pis. Elle préfère heurter les consciences que de laisser indifférent.
Les idées germent dans sa tête, comme les feuilles qui éclosent sur les branches des arbres à l'arrivée du printemps.
L'essentiel, c'est qu’elle a réussi à se libérer de l'emprise de son père, qu'elle l'a romancée et consignée dans ces pages - certes choquantes. Elle n'a plus peur. La distance entre eux est là, tangible.
Tout au long de la soirée, Daphné ne parvient pas à chasser de son esprit les images de la maison. Pourquoi est-elle possédée à ce point par un passé qui n'est pas le sien, hantée par la mémoire des murs d'un manoir abandonné?
Quitter « Mena ».Sortir du manoir pour la dernière fois , faire comme si elle allait se promener avec ses chiens sur la plage , se persuader que tout à l’heure, elle reviendrait sifflotante, elle prendrait une tasse de thé dans la bibliothèque, en lisant son courrier ou les journaux.Fermer la porte, entendre son grincement qu’elle distinguerait entre mille, sentir sous sa paume cette épaisse poignée qu’elle pourrait dessiner les yeux fermés, ne pas se retourner, surtout ne pas se retourner. Ne pas regarder la façade, s’éloigner à grands pas de ces murs où elle venait de passer vingt-six ans de sa vie , ces murs qui avaient donné naissance à tant de livres , qui avaient vu décéder Tommy. C’était ici, elle le savait , qu’elle avait été la plus heureuse .Quitter « Mena » c’était mourir un peu.
Toute sa vie, Mlle Du Maurier batailla, en vain, pour ne pas être étiquetée comme écrivain ‘romantique.
Daphné ne parvient pas à chasser de son esprit les images de la maison. Pourquoi est-elle posséder à ce point par un passé qui n’est pas le sien, hantée par la mémoire des murs d’un manoir abandonné ?