Rose

Cette maison est mon corps, ma peau, mon sang, mes os. Elle me porte en elle comme j’ai porté nos enfants. Elle a été endommagée, elle a souffert, elle a été violentée, elle a survécu , mais aujourd’hui, elle va s’écrouler.

Le besoin de lire s'emparait de moi et exerçait sa délicieuse et grisante emprise. Plus je lisais, plus j'avais faim.
Chaque ouvrage était riche de promesses, chaque page que je tournais était une équipée, l'attrait d'un autre monde.

Je revois cette jeune fille en blanc, la main toujours crispée sur le petit bouquet de roses pâles, debout devant la cheminée, l'or de son alliance neuve lui enserrant fermement le doigt.

La pièce pouvait accueillir au moins cinquante personnes ....... Mais j'avais l'impression d'être seule avec vous. De temps à autre, vos yeux croisaient les miens et je sentais en sécurité..........

Lorsque vous vous en alliez, je ne pouvais vous le dire, je ne pouvais exprimer ni mon amour ni mes secrets
Votre maladie m'en empêchait. Au fils des ans, vous vous êtes transformer en vieillard infirme. Vers la fin, vous n'aviez plus de patience.
Vous ne vouliez pas m'entendre. Vous étiez dans un autre monde.
Parfois votre esprit était d'un étonnante clarté, surtout le matin, et vous deveniez le vrai Armand, celui qui me manquait et que je brûlait de retrouver.

Je peux les entendre remonter la rue. Un grondement étrange, menaçant. Des chocs et des coups.
Le sol qui frémit sous mes pieds
Et les cris, aussi. Des voix d'hommes fortes, excitées.
Le hennissement des chevaux, le martèlements des sabots.
La rumeur d'une bataille, comme en ce terrible mois de Juillet si chaud où notre fille est née.
Cette heure sanglante où la ville c'est hérissée de barricades.

Rose, mon amour, je suis un jardinier mélancolique qui ne sait plus comment faire pour que sa merveilleuse fleur retrouve sa glorieuse plénitude. Rose, vous êtes désormais gelée, comme si vous n'osiez plus éclore, comme si vous n'osiez plus vous offrir à moi, laisser votre séduisant parfum m'ensorceler alors que vos délicieux pétales s'ouvrent un à un. Est-ce là la faut du jardinier ? Notre fils aimé est parti, mais notre amour ne garde-t-il point toute sa vigueur ? Il est notre plus grande force, ce qu'il nous faut chérir si nous voulons survivre.

Je le sais désormais, en tant que lecteur, il faut faire confiance à l'auteur, au poète. Ils savent comment s'y prendre pour nous extirper de notre vie ordinaire et nous envoyer tanguer dans un autre monde dont nous n'avions même pas soupçonné l'existence.

Combien de femmes souffrent en silence parce qu'elles se sentent coupables, parce qu'elles ont peur ?

Expliquer ce que j'éprouvais en lisant me paraît difficile, mais je vais m'y efforcer. Vous, grand lecteur, devriez me comprendre. C'était comme si je me trouvais en un lieu où nul ne pouvait me troubler, m'atteindre. Je devenais insensible aux bruits autour de moi.

Pourquoi aime-t-on un enfant et pas un autre ? Pourquoi un enfant repousse-t-il sa mère ? De qui est-ce la faute ? Pourquoi cela survient-il dès la naissance ? Pourquoi ne peut-on rien y faire ?