C'est là un des secrets des mamans. Elles ne renoncent jamais à l'idée de revoir leurs enfants. Pas plus ceux qu'on tient pour morts que ceux qui le sont réellement.
Je n'aime guère les animaux et pas du tout les cabots. J'ai cru toute ma vie qu'ils enlèvent aux humains une part de l'affection qui leur revient, et ma façon de voir me paraissait singulièrement justifiée depuis que j'avais appris par hasard que les tenants du IIIe Reich ont un amour tout spécial pour ces grands chiens-loups employés en Allemagne comme chiens de bergers.
« Pauvres troupeaux : », songeais-je.
Toutefois, nous devions avoir bientôt la preuve que ces péchés, que mes amis et moi accumulions sur nos têtes, n’avaient rien de personnel, mais n’étaient que de légers symptômes, précurseurs d’un anéantissement déjà en voie de réalisation.
Je ne me sentais pas d’aise, j’étais rentré dans mes foyers. Nous avions tous perdu notre position, notre rang, notre maison, notre argent, notre valeur, notre passé, notre présent, notre avenir. Chaque matin en nous levant, chaque nuit en nous couchant, nous maudissions la mort qui nous avait invités en vain à son énorme fête. Et chacun de nous enviait ceux qui étaient tombés au champ d’honneur. Ils reposaient sous la terre. Au printemps prochain, leurs dépouilles donneraient naissance aux violettes. Mais nous, c’est à jamais inféconds que nous étions revenus de la guerre, les reins paralysés, race vouée à la mort, que la mort avait dédaignée. La décision irrévocable de son conseil de révision macabre se formulait ainsi : impropre à la mort.
Je vivais dans une compagnie joyeuse, voire turbulente, de jeunes aristocrates, classe de la société qui, avec celle des artistes, avait mes préférences. Je partageais leur frivolité sceptique, leur mélancolie impertinente, leur laisser-aller coupable, leur air de distraction hautaine, enfin tous les symptômes d’une « décadence » dont nous percevions pas encore la venue. Au-dessus des verres que nous vidions gaiement, la mort invisible croisait déjà ses mains décharnées.
Au-dessus des verres où nous buvions ensemble, la mort croisait déjà ses mains décharnées.