Puvis de Chavannes était doué d'une âme vigoureuse et tenace. Enfermé dans la noblesse de son idéal artistique comme en une tour d'airain, il dédaigna toujours les critiques, affectant de ne les pas entendre, et jamais il ne consentit à les désarmer par une concession à ses yeux déshonorante. Cette probité rare a trouvé d'ailleurs sa récompense. Le grand artiste a eu la joie de se voir enfin compris, mieux que compris, admiré de son vivant ; il dut même éprouver une ironique jouissance à compter parmi ses plus chauds partisans ceux-là même qui s'étaient montrés ses détracteurs les plus violents.
Aujourd'hui la gloire de Puvis de Chavannes rayonne d'un éclat incontesté. Justice entière lui est rendue. On ne songe à le comparer à aucun de ses contemporains parce que son art n'a rien qui s'apparente à l'art d'aucun d'entre eux. On voit en lui le continuateur et l'égal des grands peintres de fresque de la Renaissance italienne. A ceux-là même il ne doit rien, ne leur ayant rien emprunté. Mais il a de commun avec eux la passion de la vérité, la noblesse de l'inspiration et la sincérité de l'exécution.
Son premier vrai tableau, celui qui marque et fixe à jamais la personnalité du maître, c'est la Paix y aujourd'hui au musée d'Amiens. Tant de science, d'harmonie s'y manifestaient que le jury n'osa pas le refuser : il valut même une deuxième médaille à son auteur. Celui-ci ne tarda pas à lui donner un pendant avec son tableau de la Guerre, également à Amiens.
Déjà se devine le souci, chez Puvis, de sacrifier tous les petits moyens faciles de briller pour ne se préoccuper que de l'harmonie de l'ensemble. Sa vie durant, il n'aura d'autre préoccupation que de s'effacer complètement et d'obliger le public, devant son oeuvre, à ne voir que cette oeuvre sans songer au peintre.