Le phare, voyage immobile : expérience de solitude ? Presque. Car
Paolo Rumiz n'est pas seul dans le ventre du grand cyclope dont le faisceau scrutateur des profondeurs de la nuit rassure les navigateurs de sa ronde lumineuse. Il partage son séjour avec les gardiens de la lanterna. Ces derniers s'attacheront toutefois à respecter sa retraite du monde civilisé. Il n'en dévoilera pas la localisation, au risque de voir son éperon rocheux envahi par une affluence de lecteurs curieux et irrespectueux d'une nature pour laquelle il ne cache pas sa vénération.
Confrontation avec les éléments ? Certainement. Il paraît que les phares méditerranéens, bien qu'en déficit de notoriété au regard de leurs équivalents atlantiques, n'ont pourtant rien à leur envier quant à la bravade des furies venteuses de tous les points cardinaux, des assauts des lames écumantes de rage venant battre cette provocation de l'espèce humaine placée en travers de leurs migrations liquides. Et lorsque la foudre relie ciel et terre de ses grandes zébrures électriques, petit homme a les poils qui se dressent sur tout le corps.
Confidences philosophiques ? Si peu. L'expérience nous semblait pourtant propice à quelques réflexions sur la nature de l'espèce intelligente avec laquelle il prend ses distances dans cette retraite. Les allusions ne s'attacheront qu'à la blâmer de son goût trop prononcé pour le confort et le progrès technologique qui lui font mépriser son écrin naturel.
Confidence mystique ? Au monothéisme en vogue,
Paolo Rumiz préfère les ancêtres plus fantasques de la mythologie grecque. Ces divinités étaient finalement plus humaines que le grand ordonnateur de nos croyances modernes, lui qui s'est arrogé l'exclusivité en les reléguant au rang de fantaisies insensées. Quand il est question d'âme, c'est pour rappeler l'origine grecque de ce mot, anemos, le vent. Il est vrai qu'il nous ébouriffe tout au long de cet ouvrage et change de nom au fur et à mesure que tournent les pages.
Ce n'est pas l'aube qui fait éteindre le phare, mais bien ce dernier qui fait se lever le soleil au dessus de l'horizon quand, las de sa ronde nocturne, de son lot de marins rentrés à bon port grâce à lui, il veut s'assoupir à son tour.
La lanterna, c'est une pause contemplative entre mer et ciel, "dans le ventre de la machine insomniaque… seul devant le Grand horloger".