Cela fait bien longtemps que je n'avais pas lu de roman historique alors que c'est pourtant mon talon d'Achille et ma faiblesse. Il faut dire qu'avec les années, je deviens difficile, de plus en plus exigeante. Que j'ai des gouts et des désirs de dictatrice: je veux du style, de l'exactitude historique, du romanesque, du souffle, de la profondeur. Je veux du truculent, du poignant, du puissant. Je veux du Dumas. Or, j'ai été si souvent déçue par certains ouvrages historiques contemporains que, de plus en souvent, je m'offre le luxe de faire la fine bouche.
"L'Impératrice de Pierre" a eu raison de moi tout d'abord grâce à la maison qui l'édite. Je n'ai jamais été déçue par le travail et le soin de la Table Ronde (bon nom ne saurait mentir, parole d'arthurienne!). Ensuite, j'ai rendu les armes... sur un malentendu! J'étais en effet convaincu que ce roman mettrait
Catherine II en lumière et c'est une figure qui m'a toujours fascinée. Il y a d'ailleurs longtemps que je rêvais d'un bon roman dont elle serait l'une des figures de proue... C'est en croyant cette attente exaucée que je me suis procurée "L'Impératrice de Pierre" et il ne m'a pas fallu longtemps pour me rendre compte qu'il y avait confusion sur la Catherine en question! L'héroïne de
Kristina Sabaliauskaité est en réalité la première du nom, la seconde épouse de Pierre le Grand, bien plus méconnu que celle qui lui succédera à la tête de la Très Sainte Russie quelques soixante ans plus tard!..
Finalement, ma déception a été de courte durée, ma curiosité étant la plus forte. J'avais avec ce roman l'occasion des plus agréables de découvrir une figure historique au destin incroyable et avec elle toute une page de l'Histoire de la Russie dont j'ignorais tout. Il est des malentendus qui réservent de bonnes surprises et je suis ravie de celui-là.
Dans ce roman de la lituanienne
Kristina Sabaliauskaïté, on fait donc la connaissance d'une femme que
Voltaire aurait comparé à Cendrillon, dont il a écrit qu'elle eut une vie aussi extraordinaire que celle de son impérial époux, Pierre le Grand de belle mémoire.
C'est elle, Catherine, qui entreprend tout au long des douze chapitres qui composent le premier volume de la saga qui lui est consacrée , de raconter sa vie, de sa naissance en Livonie (les pays baltes actuels) dans une famille marquée du sceau de la misère à son placement comme servante chez un austère pasteur letton, de son mariage éclair avec un dragon à sa rencontre avec le Prince Menchikov qui lui ouvrit les portes de la cour impériale.
Quelle vie! Quelle existence que celle de cette jeune femme que rien ne destinait à monter si haut, une existence où tout semble démesuré, excessif, absolu! On a peine à l'imaginer et pourtant le roman imaginé par l'auteure suit avec beaucoup d'érudition la partition mise à jour par les historiens, ce qui pour moi est un vrai gage de qualité.
Pour autant, on sent, on devine la patte de la romancière, de l'artiste dans les descriptions à la fois crues et fastueuses des étoffes, des palais, des corps et de leurs étreintes, des odeurs et des fluides, de la sueur et du sang. On la sent sous la peinture de la cruauté et de la barbarie de la noblesse russe et de ce tsar épris de progrès et de sciences mais capable pourtant de se livrer aux pires débauches. On la sent dans ce triangle amoureux aussi malsain que fascinant, parfois d'une étrange tendresse, qui se dessine et qui dit bien assez comment être une femme désirable au XVII siècle ne laissait que peu d'alternatives en réalité... On ne jugera plus la courtisanerie à la lecture de ce genre de destin... Quand on ne possède que son corps et qu'il est moyen de survie, à quoi bon s'encombrer de moralité? On sent la plume aiguisée de l'écrivain de talent enfin derrière la personnalité affirmée, désabusée de Catherine qui alors qu'elle succombe raconte mais n'oublie pas. On la perçoit dans cette mélancolie qui point sans jamais vraiment dire son nom, dans le crépuscule de cette femme qui n'était pas destinée à être si grande, qui le fut pourtant par caprice, par désir et par amour.
En filigrane, c'est aussi la Russie, âpre et mystérieuse du Grand Siècle qui s'offre à nous dans toute sa complexité, c'est
Pierre le Grand, c'est la marche du temps.
L'équilibre est presque parfait entre rigueur historique et portée romanesque dans ce roman enlevé comme pourrait l'être un texte de mon cher Dumas, rythmé, trépidant où la mort et la vie se fracassent l'une contre l'autre, où l'on fait l'amour comme on fait la guerre... C'est presque un roman d'aventures vécu dans un paysage en train de s'estomper comme le récit de Catherine dont on craint sans cesse qu'elle ne puisse jamais le terminer.
Envoutante atmosphère...
Vivement l'automne...!