Vous pensez peu au futur, n'est-ce pas ? C'est le privilège de la jeunesse.
Nous avions le soleil et la mer, le rire et l'amour, les retrouverions-nous jamais comme cet été-là, avec cet éclat, cette intensité que leur donnaient la peur et les autres remords ?
On s'habitue aux défauts des autres quand on ne croit pas de son devoir de les corriger.
Elle me parlait debout en me fixant et j'étais horriblement ennuyée. Elle était de ces femmes qui peuvent parler, droites sans bouger; moi, il me fallait un fauteuil, le secours d'un objet à saisir, d'une cigarette, de ma jambe à balancer, à regarder balancer...
Tout le merveilleux mécanisme des rapports humains, toute cette puissance du langage, je les avais brusquement entrevus. Quel dommage que cela fût par les voies du mensonge. Un jour, j'aimerais quelqu'un passionnément et je chercherais un chemin vers lui, ainsi, avec précaution, avec douceur, la main tremblante…
J'éprouvais, en dehors du plaisir physique et très réel que me procurait l'amour, une sorte de plaisir intellectuel à y penser. Les mots "faire l'amour" ont une séduction à eux, très verbale, en les séparant de leur sens. Ce terme de "faire", matériel et positif, uni à cette abstraction poétique du mot "amour", m'enchantait, j'en avais parlé avant sans la moindre pudeur, sans la moindre gêne et sans en remarquer la saveur. Je me sentais à présent devenir pudique.
Je me rendais compte que l'insouciance est le seul sentiment qui puisse inspirer notre vie et ne pas disposer d'arguments pour se défendre.
Tard dans la nuit, nous parlâmes de l’amour, de ses complications. Aux yeux de mon père, elles étaient imaginaires. Il refusait systématiquement les notions de fidélité, de gravité, d’engagement. Il m’expliquait qu’elles étaient arbitraires, stériles. D’un autre que lui, cela m’eût choquée. Mais je savais que dans son cas, cela n’excluait ni la tendresse ni la dévotion, sentiments qui lui venaient d’autant plus facilement qu’il les voulait, les savait provisoires. Cette conception me séduisait : des amours rapides, violentes et passagères. Je n’étais pas à l’âge où la fidélité séduit. Je connaissais peu de chose à l’amour : des rendez-vous, des baisers et des lassitudes.
Sans doute, à son âge, je paierai aussi des jeunes gens pour m'aimer parce que l'amour est la chose la plus douce et la plus vivante,la plus raisonnable. Et que le prix importe peu.
(p.124)
Le côté lapidaire, définitif de sa formule m’enchanta. Certaines phrases dégagent pour moi un climat intellectuel, subtil, qui me subjugue, même si je ne les pénètre pas absolument. Celle-là me donna envie de posséder un petit carnet et un crayon.