Citations sur Le chien couchant (15)
Ce chien semblait sentir, pensa Gueret, que lui-même, Gueret, n'avait plus peur. Peut-être était-ce cette peur reniflée sur lui qui avait fait fuir ce chien, ces jours derniers, devant sa main. Il partagea un sandwich avec lui, assis à l'ombre d'un des arbres rabougris, miraculeusement sortis du sol cendreux. Et plus tard, ce fut cette image bête qui devait revenir à Gueret comme celle de son bonheur le plus profond et le plus réel : le chien, l'ombre noire du terril découpée sur la surface ensoleillée du champ, l'odeur du pain et de la moutarde ; et ce soleil aveuglant et amical qui lui donnait pour la première fois des idées de bronzage.
Elle le regardait, la bouche toujours ouverte, et sa ressemblance avec une volaille passa tout à coup à travers l'esprit de Gueret sans qu'il s'y arrêtât. Déjà, il ne la voyait plus, il ne la voyait pas.
Les gosses pauvres, on ne leur donne pas de leçons pour devenir riches ; il n'y en a pas. On leur montre juste qu'il faut le devenir pour échapper à cette gadoue. Mais il n'y a pas de recette; il faut qu'ils improvisent.
Il se répétait qu’il était plutôt bel homme, qu’elle n’était plus ce qu’on appelle « une jolie femme », et que les exigences amoureuses devaient être plus frustrées chez elle que chez lui. Après tout, son désir à lui était plutôt flatteur, pensait-il bêtement, se refusant à croire ce qu’elle lui disait obstinément depuis le début, c’est-à-dire que l’amour ne l’intéressait plus. Cette indifférence ne cadrait pas avec ses initiatives nocturnes, et Gueret était trop novice en amour pour penser que l’expérience toute seule pouvait lui donner cette habileté et ces soupirs de femme comblée.
Qu’est-ce que tu veux que ça me fasse, moi, que tu sois jeune ? Ça ne m’excite pas, moi. Il n’y a que les vieillards que ça excite, la chair fraîche ! Tu ne savais pas ?
Elle était plus rouge que lui. Ses cheveux gris ressortaient sur ce rouge, et ils se regardaient, penchés l’un vers l’autre, chuchoteurs et complices, mi-hostiles, mi-séduits tour à tour. Ce qui dérangeait chez eux, ce n’était pas leur différence d’âge, mais plutôt leur similitude d’espèce. Et dans ce restaurant gastronomique de province, s’ils n’avaient pas l’air de la mère et du fils, ils avaient quand même l’air étrangers aux autres et parents entre eux.
Cette femme impassible lui semblait un mur. À présent, il se rappelait comme un rêve extravagant les quelques moments où elle avait ri, parlé d’orchidées, de soleil, de son gros orteil massé par les ploucs ; ces moments où il avait vu sur elle, toujours vivants, les reflets d’un charme, d’une jeunesse et d’une beauté stupéfiante.
Les hommes ont la manie de mettre leur virilité quelque part, dit-elle, soit dans leurs bureaux, soit avec les femmes, soit avec des canassons ou au football. Il faut toujours qu’ils la prouvent quelque part. Mais toi, ce n’est pas avec les femmes que tu le feras…
Les gosses pauvres, on ne leur donne pas de leçons pour devenir riches ; il n’y en a pas. On leur montre juste qu’il faut le devenir pour échapper à cette gadoue. Mais il n’y a pas de recette ; il faut qu’ils improvisent.
Les putains deviennent toujours morales quand elles ont des gosses, tu n’as pas remarqué ? Et plus elles sont putes, plus elles veulent en faire des curés. C’est immanquable, ça…