Si d'aucuns avaient pensé qu'avec le temps et le mûrissement des civilisations les langues s'allongeraient, gagneraient en signification et en syllabes, voilà tout le contraire : elles avaient raccourci, rapetissé, s'étaient réduites à des collections d'onomatopées et d'exclamations, au demeurant peu fournies, qui sonnaient comme cris et râles primitifs, ce qui ne permettait aucunement de développer des pensées complexes et d'accéder par ce chemin à des univers supérieurs. À la fin des fins régnera le silence et il pèsera lourd, il portera tout le poids des choses disparues depuis le début du monde et celui encore plus lourd des choses qui n'auront pas vu le jour faute de mots sensés pour les nommer.
La religion fait peut-être aimer Dieu mais rien n'est plus fort qu'elle pour faire détester l'homme et haïr l'humanité.
Le principe de la contagion n'a pas toujours été bien compris, on ne meurt pas parce que les autres sont malades mais parce qu'on l'est soi-même.
Ils convinrent honnêtement que le grand malheur de l'Abistan était le Gkabul : il offrait à l'humanité la soumission à l'ignorance sanctifiée comme réponse à la violence intrinsèque du vide, et, poussant la servitude jusqu'à la négation de soi, l'autodestruction pure et simple, il lui refusait la révolte comme moyen de s'inventer un monde à sa mesure, qui à tout le moins viendrait la préserver de la folie ambiante.
La religion, c'est vraiment le remède qui tue.
La patience est l'autre nom de la foi, elle est le chemin et le but, tel était l'enseignement premier, au même titre que l'obéissance et la soumission, qui faisaient le bon croyant.
La paix était revenue un jour et la paix a ceci d'inévitable qu'elle efface les mémoires et remet les compteurs à zéro.
Mécroire, c'est refuser une croyance dans laquelle on est inscrit d'office mais, et c'est là que le bât blesse, l'homme ne peut se libérer d'une croyance qu'en s'appuyant sur une autre....
Le système n'est jamais ébranlé par la révélation d'un fait gênant, mais renforcé par la récupération de ce fait.
Il n'y avait jamais pensé, mais si on lui avait posé la question il aurait aurait répondu que les Abistani se ressemblaient tous, qu'ils étaient comme lui, comme les gens de son quartier à Qodsabad, les seuls êtres humains qu'il ait jamais vus. Or voilà qu'ils étaient infiniment pluriels et si différents qu'au bout du compte chacun était un monde en soi, unique, insondable, ce qui d'une certaine façon révoquait la notion de peuple, unique et vaillant, fait de frères et de soeurs jumeaux. Le peuple serait donc une théorie, une de plus, contraire au principe d'humanité, tout entière cristallisée dans l'individu, en chaque individu. C'était passionnant et troublant. C'est quoi alors un peuple?
La religion fait peut-être aimer Dieu mais rien n 'est plus fort qu 'elle pour faire détester l'homme et haïr l'humanité .