Avant de lire l'avertissement, au tout début du livre, je n'avais pas fait de lien avec
1984 de
George Orwell. Je ne peux pas croire que j'avais passé à côté de cette ressemblance immanquable. Et pourtant tout est là ! D'un totalitarisme (plus politique et technologique) à l'autre. Donc voilà
2084 : la fin du monde. Mais est-ce vraiment la bonne année ? Celle d'un commencement, peut-être, parce que les dates, ce n'est plus important dans cette dystopie. le monde n'est qu'un. Que ce soit dans l'espace ou dans le temps. Il n'y a que l'Abistan. Cet empire théocratique, ce système, contrôle tout en passant par l'amnésie collective (d'où la non-importance de savoir en quelle année nous nous trouvons) et la soumission au Dieu unique, Yölah, et au message qu'il a transmis par la parole d'Abi, son prophète. Ainsi, totalitarisme religieux.
Comme dans
1984, le protagoniste est assez innocent au commencement. Ati est un employé de mairie malade, tuberculeux. Il part en voyage, dans ce qui est à la fois un pèlerinage et un repos de santé jusqu'aux confins de cet empire. Là, à travers les pensées qui l'habitent pendant sa lente guérison, l'auteur
Boualem Sansal en profite pour nous introduire à son univers futuristique et dérangeant. On peut le comprendre assez bien mais, pour profiter au maximum de cette expérience littéraire, je suggère au lecteur d'y accorder toute son attention et de n'en perdre aucun détail. Malgré l'effort titanesque de Sansal pour nous décrire son monde nouveau, les rapprochements à faire avec l'islam sont inévitables. Même son travail sur le vocabulaire laisse des traces (par exemple, mockba au lieu de mosquée, l'utilisation des termes mécréant et guerre sainte, etc.)
Puis, un jour, il y a le déclencheur. Pendant son séjour dans le sanatorium, Ati a trop de temps pour « rêver, hésiter, réfléchir, mécroire éventuellement, croire peut-être. » (p. 54) Mais il y a pire. Sur le chemin du retour, il croise Nas qui lui parle d'un site découvert récemment. Un site mystérieux, à l'architecture étrange, où ne ne retrouvent pas les signes habituels. Y aurait-il eu d'autres civilisations ? Y aurait-il autre chose que l'Abistan ? Bref, un site susceptible de révolutioner les fondements de l'empire.
Premier point négatif : le rythme est lent, trop lent. Il commençait à être temps qu'il se passe quelque chose.
Boualem Sansal fait avancer son histoire à pas de tortue. Cette découverte n'est présentée qu'à la page 85 dans la présente édition. Et il y a quelque chose dans la narration qui me laisse une impression de répétition. Néanmoins, il ne faut pas abandonner, mais persévérer dans sa lecture.
Comme Nas l'avait prédit, l'Appareil (l'autorité) annonça en grande pompe la découverte d'un site, transformé en lieu saint où aurait séjourné le prophète Abi. Tout n'est que mensonge. le discours officiel, de la propagande, un bourrage de crâne hypocrite, de l'endoctrinement, de l'obscurantisme, du fanatisme. Ati et son nouvel ami Koa se s'enfuient de Qodsabad via les quartiers populaires, des ghettos, où ils rencontrent des renégats. Ils découvrent ce qu'on pourrait appeler un mouvement underground, avec ses Renégats et tout. Ici encore, l'histoire s'enlise, j'avais le sentiment qu'elle ne menait non pas nulle part mais dans les profondeurs de méandres encore plus complexes inutilement. Mais je me suis accroché.
Deuxième point négatif : Ati manque de substance. Il remarque qu'autour de lui les choses ne collent pas mais c'est à peine s'il s'en indigne. Il n'incarne pas tout à fait ce désir de changer les choses, c'est comme s'il se laissait mener au gré des événements ou des révélations. Untel me dit ceci, je l'écoute, tel autre me dit cela, je le suis. Aussi, il semble sans émotions, il est distant. C'est sa quête qui m'intéresse, pas Ati. Il aurait pu mourir tant qu'il ait transmis sa mission à quelqu'un d'autre.
Toutefois, malgré ces deux points négatifs, j'ai adoré cette immersion dans un univers effrayant et captivant.
2084 : la fin du monde est, à sa façon, une lutte au dogmatisme et fanatisme religieux, c'est un hymne à l'intelligence et à la pensée critique. Ça porte effectivement à réfléchir au sort de la démocratie dans le monde et aux vagues d'obscurantisme et de radicalisation qui l'attaquent dans certaines parties du monde. Bravo à
Boualem Sansal pour son audace et son courage, qui dénonce le pouvoir par l'ignorance et, le cas échéant, par la peur et la persécution (et la violence). Évidemment, il s'agit d'un ouvrage quelque peu complexe, il faut bien prendre son temps pour assimiler toutes ces d'informations sur son monde unique et sur les implications du libre arbitre mais suivre les réflexions d'Ati est certes fondamental.