Citations sur L'université de Rebibbia (37)
Ici les échelles de valeur de chacun se manifestent avec une clarté absolue, et il n’y a pas moyen de cacher aux autres, et encore moins à nous-mêmes, notre nature. Cela m’éclaire enfin sur la vraie raison de la terreur que nous avons tous de la prison : nous savons ataviquement que là-dedans il ne nous sera plus possible de faire tenir debout la “construction idéale” que nous-mêmes, aidés par la culture, l’argent, les bonnes manières, nous nous sommes soigneusement édifiées dehors. Ici revient en vigueur, souveraine, la sélection naturelle.
Voilà ce qui est terrorisant dans cet ensemble de cellules: l'anormalité de leur silence.
Nous désirons souvent le silence, mais celui de la vie est toujours sonore, même à la campagne, à la mer, même lorsque nous sommes enfermés dans notre chambre. Là où je me trouve, le non-bruit a été conçu pour terroriser l'esprit, qui se sent recouvert de sable comme dans un sépulcre. (p.16)
Dès que j'ai été dehors[Temps de la promenade], au lieu de voir qui il y avait et qui il n'y avait pas, je me suis jetée dans une exaltation poétique comme une forcenée, et j'ai marché, le menton levé, à la façon d'une personne qui se délecte toute seule d'une promenade au milieu des champs. Ce n'est pas l'endroit...Ici le réel est tellement puissant, les douleurs de chacun tellement à la limite du supportable, qu'il suffit d'une attitude de sérénité excessive pour vous rendre incongru et suspect. (p.31)
Moi aussi, maintenant, j'ai tellement hâte de sortir parce que ça fait un an que je suis dedans, mais au bout de deux ou trois mois de liberté dans l'anonymat- liberté qui a pour seul avantage qu'on vous laisse mourir seul-je sais que me reprendra le désir d'ici. Il n'y a pas de vie sans communauté, on le sait bien: ici on en a la contre-épreuve, il n'y a pas de vie sans le miroir des autres...(p.220)
(...) mais on n'a pas de temps ici pour l'orgueil, pour une trop bonne opinion de soi-même...toutes choses cultivées "là-bas dehors". (p.54)
La petite chinoise me connaît déjà. Comme toutes celles qui sont là, elle est parvenue au langage profond et simple des émotions, de telle sorte que langues, dialectes, différences de classes et d'éducation ont été balayés comme d'inutiles camouflages des vraies forces (et exigences) des profondeurs: cela fait de Rebibbia une grande université cosmopolite où chacun, s'il le veut, peut apprendre le -langage premier. (p.147)
Ici les échelles de valeur de chacun se manifestent avec une clarté absolue, et il n'y a pas moyen de cacher aux autres, et encore moins à nous-mêmes, notre nature. Cela m'éclaire enfin sur la vraie raison de la terreur que nous avons tous de la prison: nous savons ataviquement que là-dedans il ne nous sera plus possible de faire tenir debout la "construction idéale" que nous-mêmes, aidés par la culture, l'argent, les bonnes manières, nous nous sommes soigneusement édifiée dehors. Ici revient en vigueur, souveraine, la sélection naturelle. (p.132-133)
Cette violence blesse mon visage comme une gifle mais ne m’humilie pas. Je m’en étonne, tandis que m’alarme le soupçon atroce que cette non-humiliation soit due au fait que je me sens « condamnable », racaille désormais digne de n’importe quelle insulte de quiconque est en règle avec la loi.
Une fois franchi le mur de ce qu'à l'intérieur de nous-mêmes nous concevons comme licite, le sol sauvage des passions interdites s'ouvre tout grand devant nous, immense prairie que nul ne peut plus surveiller.
La prison a toujours été et sera toujours la fièvre qui révèle la maladie du corps social: continuer à l'ignorer peut nous amener à répéter le comportement du bon citoyen allemand qui connut l'aventure de vivre au temps peu éloigné du régime nazi.