Citations sur L'université de Rebibbia (37)
(…) je reste tranquille dans un coin, bien heureuse de n’être pas obligée d’intervenir, ne serait-ce que parce que la surprise de l’existence de ce petit recoin élitiste a achevé de bouleverser tous les a priori sur la prison que je traînais derrière moi malgré une nature assez pragmatique (du moins pour une Italiote).
Les voix de ces filles affluent, cultivées, certaines mêmes savantes et spirituelles. La réalité de la prison a glissé vers d’autres rivages qui sont tout entiers à explorer, comme les névroses, la biologie des femmes et peut-être même le devenir du corps social.
La prison fait retomber en enfance. (...)
L'impatience est une ennemie en prison comme sur les bateaux, il n'y a pas d'espace suffisant pour le rythme précipité de cette émotion. Je note avec quelle impatience, justement, la gardienne a rouvert la porte, et c'est comme un coup de poing dans l'estomac pour moi: elle vit à moitié dehors à moitié dedans, et par conséquent l'impatience qu'elle apporte avec elle du dehors nous blesse, nous qui avons déjà pris un rythme hors du temps. (p. 42)
Le sens de tout cela est que la détenue n'a plus le droit de manipuler de l'argent qui, comme nous le savons, est symbole d'autonomie et d'identité, mesure de notre valeur et de notre place dans la société.Un autre coup pour nous faire régresser dans une enfance forcée. 88
La prison a toujours été et sera toujours la fièvre qui révèle la maladie du corps social.
En courant dans les escaliers, je pleurerais presque de désespoir pour la première fois ici dedans - devant la constatation que pour nous, mortels, il n'y a pas moyen, même en prison, d'échapper à l'atroce fatalité de devoir toujours, en quelque coin qu'on se trouve, prendre un parti (celui des autres), une position, un masque, et cætera, et cætera: infernal !
Je voulais seulement, en entrant ici, prendre le pouls de notre pays, savoir à quel point en sont les choses. La prison a toujours été et sera toujours la fiévre qui révèle la maladie du corps social :continuer à l'ignorer peut nous amener à répéter le comportement du bon citoyen allemand qui connut l'aventure de vivre au temps peu éloigné du régime nazi.
la prison est le spectre, ou l’ombre, de la société qui la produit, c’est bien connu (…) [elle] a toujours été et sera toujours la fièvre qui révèle la maladie du corps social.
La nausée passe au signe de solidarité qui ne manque jamais de vous soutenir si l'on découvre votre regard trop fixe rivé à la porte fermée ou à la fenêtre, ou si seulement vous vous enfermez un instant en vous-même. Ce n'est pas qu'elles ne sachent pas se taire si vous êtes en train de penser ou vous laisser aller paisiblement à des caprices de l'imagination, mais à peine vous flanchez, elles le sentent... Ces femmes connaissent encore l'art de l' "attention à l'autre", elles savent que la condition psychique de l'une peut dépendre celle des autres. (p.146)
Le sens de tout ça est que la détenue n'a plus le droit de manipuler l'argent qui, comme nous le savons, est symbole d'autonomie et d'identité, mesure de notre valeur et de notre place dans la société. Un autre coup pour nous faire régresser dans une enfance forcée. Si pour l'homme, habitué à manier l'argent depuis des siècles, cette condition doit être ressenti comme quelque chose d'aberrant (je ne m'étonne pas que beaucop y perdent complètement leur personnalité), pour la femme tout cela s'inscrit dans la continuité de ce qu'elle a toujours été: femme d'intérieur ou enfant, comme vous voulez, à laquelle on a toujours dénié- à travers l'argent gagné puis dépensé-un contact direct avec la réalité du monde. (p.89)
Elle continue à m'ignorer, mais pour moi à partir d'aujourd'hui elle sera ma petite Marilyn vieillie. Il y a beaucoup de tendre beauté dans le déclin physique d'un certain type de femme; dommage que, cette beauté, la société ne l'accepte pas. (p.34)