Citations sur L'astragale (45)
"Pendant trois tours de cadran, j’oscillai entre la vie et la mort, roulée dans une mer de couvertures et de draps enchevêtrés, qui m’étouffaient, me ligotaient, puis se dénouaient en espaces angoissants et vides ou je ramais et raclais comme une naufragée. Le téléphone sonnait, je criais « Allô, allô », sans songer à décrocher ; je cherchais ma mort dans l’ombre des rideaux qui restaient fermés, dans l’alternance de la pénombre et du noir absolu. "
(p. 140)
Deux femmes, privées d'amour et de splendeur: je ne peux pas, elle ne veut plus. Tout le jour, nous sommes accolées, liées par la similitude des gestes, des menus, des douleurs de femme, par les aiguilles qui s'activent en même temps, la sienne vers la gauche, la mienne vers la droite,: nos chaises se font face et je suis gauchère, nous nous reflétons. On coud, on fume, on chantonne; de temps en temps on se sourit en soupirant... Mais c'est à la veillée que nous devenons tout à fait intimes. La camaraderie d'atelier est alors reléguée, ficelée à la douzaine parmi les cravates, serrée dans la valise du devoir; et l'intimité se tisse, volute à volute, verre à verre, à travers la table où nous présidons, parmi les fleurs de toile cirée et l'empilement des assiettes.
Attendre de grandir ! J'ai attendu de guérir et de marcher, c'était déjà très long, l'étoile est trop loin...Pour le moment, je suis là, le regard brouillé de larmes, mais je vais le régler, mon regard, et je saurai bien voir à travers la nuit.
Je renifle Paris, je me planque en son coeur, je suis revenue. Vaincue, cassée, je suis là quand même ; d'ailleurs, comme nous disions souvent à la tôle, le vainqueur c'est celui qui se casse. Je reviens, Paris, avec les décombres de moi-même, pour recommencer à vivre et à me battre.
On ne se lave pas du jour au lendemain de plusieurs années de routine chronométrée et de dissimulation constante de soi .Lorsque la carcasse est libérée, l'esprit, qui était jusque là la seule échappatoire, devient au contraire l'esclave des mécanismes.
Moi, je marche. Je ne flâne pas au rade, je n'ai pas le temps. Je n'aime pas le trottoir et je ne suis pas plus pute qu'autre chose. j'emploie ce moyen parce qu'il est rapide, qu'il ne nécessite ni horaires ni apprentissage, ou si peu.
Aussi avais-je obéi très complètement, par habitude, au « Déshabillez-vous » de l’infirmière. La taule me cernait encore : je la retrouvais dans des réflexes, des tressaillements, des sournoiseries et des soumissions dans les gestes. On ne se lave pas du jour au lendemain de plusieurs années de routine chronométrée et de dissimulation constante de soi.
Je souris: Julien va nous voir passer, il comprendra que je suis un peu retardée et que ce n'est pas ma faute.
Sarrazin est un Jean Genet en jupe fendue, une Virginie Despentes maquillée. Elle a le style grave et discipliné des délinquants dont chaque mot compte devant le juge. Son expérience humaine était aussi noire que sa culture littéraire était claire, le bon mélange pour entrer, pieds et poings enfin déliés, dans l'immortelle beauté artistique.
(Extrait de la préface de) Patrick Besson
La route est pure et âpre comme un désert ; plus tard peut être, calmement, nous aborderons les sentiments magiques...Il y a d'ici là beaucoup de douleurs encore, beaucoup de gens et de choses à pulvériser : fibre à fibre, je détisse, je sabote ; je me déteste de faire à Julien « un travail » mais je sens autour de lui trop d'attaches fausses et gluantes, je voudrais scier au moins celles là.
Moi aussi jadis, j'ai été cajolée, ménagée, léchée : j'étais intact et mordante, mon placard étaient bien repli et mes mains ingénieuses.
Mes accessoires sont détruits, je suis blessée et pauvresse, et c'est moi maintenant qui m'offre et m'accroche ; les gens ne me retiennent point, car je n'ai plus rien à leur proposer que moi, moi nue, et il faudrait beaucoup de temps et de tendresse pour faire jaillir de moi quelque ressource, quelque source.