On ne peut saisir pleinement la mort qu'en la considérant à travers la vie et dans chaque moment de cette vie comme dans les grands ensembles actifs et passionnels.
Castor dit que je me crois immortel. C'est peut-être un peu vrai. Je n'envisage pas de mourir. Mais il y a autre chose : j'ai toujours conçu mes écrits non comme des productions isolées mais comme s'organisant en vue d'une oeuvre. Et cette oeuvre tenait dans les limites d'une vie humaine. Mieux, par méfiance de la vieillesse, j'ai toujours pensé que l'essentiel en serait écrit pour mes soixante ans. Reste cet enfantillage absurde mais profond que je ne me voyais pas mourir avant soixante-dix ans.
Il en résultait comme un manchon de vide séparant la fin de ma vie de ma mort.
Si je ne crois pas que je vais mourir à cette guerre c'est que, depuis toujours, ma volonté est tendue contre la mort comme si c'était un simple mal de mer. (...) Je n'ai pas le temps de mourir, voilà à peu près comment je sens les choses. Et, magiquement, cela me donne la certitude que je ne mourrai pas avant d'être arrivé au bout du voyage.
Les bourgeois sont officiers. Les paysans et beaucoup d'ouvriers sont soldats. Moi, je suis ni l'un ni l'autre. En marge, en guerre comme en paix. Plus près du bourgeois cependant. La guerre ne détruit pas les classes. Elle les renforcerait plutôt.
Ce que je viens de dire mal et trop longuement, c'est que la guerre ne fait pas seulement l'objet de mes pensées, elle en fait aussi l'étoffe. A travers ce que je perçois, cette table ou cette pipe, je pense à la guerre ; la manière dont je pense et je perçois cette table et cette pipe est "de guerre" - enfin la façon dont cette table et cette pipe se donnent à moi est de guerre.
La guerre fantôme. Une guerre à la Kafka. Je n'arrive pas à la sentir, elle me fuit.
Toujours les tribulations d'un stoïque.Quand j'ai quitté le Castor, le 2 septembre, j'étais parti pour plus dur et pour mieux que cette médiocrité tranquille. A présent, je suis contaminé, pourri.
La morale commence là où s'arrête l'espérance.
Mais s'il est vrai que l'état de guerre vient par des hommes, il se réalise en dehors d'eux.
Personne ne vous doit rien _ et surtout vous n'avez aucun droit sur le destin.