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Citations sur Les chemins de la liberté, tome 3 : La mort dans l'âme (31)

Mathieu ouvrit les yeux et vit le ciel ; il était gris perle, sans nuage, sans fond, rien qu'une absence. Un matin s'y formait lentement, une goutte de lumière qui allait tomber sur la terre et l'inonder d'or. Un commencement, un matin. Le premier matin du monde, comme tous les matins : tout était à faire, tout l'avenir était dans le ciel.(...)

Un chat passa près d'eux à toute vitesse, en zigzaguant. Il se tapit soudain, parut prêt à bondir ; puis, oubliant son projet, s'éloigna nonchalamment.
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Ça n'est pas tellement important l'intelligence, mais ça rend les relations agréables.
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Il se couche tout de son long comme les morts, sur les morts ; il regarde le ciel ; il se relève, il redescend à pas lents, il pense qu’il est seul. La mort est autour de lui comme une odeur, comme la fin d’un dimanche ; pour la première fois de sa vie il se sent vaguement coupable de penser et de vivre. Coupable de n’être pas mort. Au-delà des murs il y a des maisons mortes et noires avec tous leurs yeux crevés : l’éternité de la pierre. Cette clameur de foule dominicale monte vers le ciel depuis toujours. Seul Brunet n’est pas éternel : mais l’éternité est sur lui comme un regard. Il marche : quand il rentre, le soir tombe, il s’est promené tout le jour, il avait quelque chose à tuer, il ne sait pas s’il y est arrivé : quand on ne fout rien, on a des états d’âme, c’est forcé.
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Des Allemands s'étaient montrés, prudemment, à l'entrée de la grand-rue. . Chasseriau, Pinette et Clapot firent feu. Les têtes disparurent.
"Ce coup-ci, on est repérés."
De nouveau le silence. Mathieu pensa :"Qu'est-ce qu'ils préparent ?" Dans la rue vide, quatre morts ; un peu plus loin, deux autres : tout ce que nous avons pu faire. A présent il fallait finir la besogne, se faire tuer. Et pour eux, qu'est-ce que c'est ? Dix minutes de retard sur l'horaire prévu.

Dans le clocher d'une église. Mathieu baissa les yeux. Sous leurs pieds il y avait cette odeur de poivre et d'encens, cette fraîcheur et les vitraux qui luisaient faiblement dans les ténèbres de la foi. Sous leurs pieds, il y avait la confiance et l'espoir. Il avait froid ; il voyait le ciel, il respirait le ciel, il pensait avec du ciel, il était nu sur un glacier, très haut ; très loin au-dessous de lui, il y avait son enfance.(...)

La terre haussait vers ce mourant son visage renversé, le ciel chaviré coulait à travers lui avec toutes ses étoiles : mais Mathieu guettait sans daigner ramasser ces cadeaux inutiles.(...)

Mathieu s'en fut dans un coin et fouilla des yeux la campagne. Il pensait qu'il allait mourir et ça lui semblait drôle. Il regardait les toits obscurs, la douce phosphorescence de la route entre les arbres bleus, toute cette terre somptueuse et inhabitable et il pensait : je meurs pour rien.(...)

Mes yeux éteindront le monde et le fermeront pour toujours.
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Que beaucoup d’entre vous sont croyants, mais je sais aussi qu’il en est d’autres qui m’écoutent par curiosité, pour s’instruire ou simplement pour tuer le temps. Vous êtres tous mes frères, mes très chers frères, mes frères d’armes et mes frères en Dieu, je m’adresse à vous tous, catholiques, protestants, athées car la parole de Dieu est pour tous. Le message que je vous délivre en ce jour de deuil, qui est aussi le jour du Seigneur, consiste en ces simples trois mots : “ Ne désespérez pas !... “ car le désespoir n’est pas seulement péché contre l’adorable bonté divine : les incroyants mêmes conviendront avec moi que c’est un attentat de l’homme contre lui-même et, si je puis dire, un suicide moral. Il en est sans doute parmi vous, mes chères frères, qui, trompés par un enseignement sectaire, ont appris à ne voir, dans la suite admirable des événements de notre histoire, qu’une succession d’accidents sans signification ni lien. Ils s’en vont aujourd’hui répétant que nous avons été battus parce que nous n’avions pas assez de tanks, parce que nous n’avions pas assez d’avions. De ceux-là, le Seigneur a dit qu’ils ont des oreilles pour ne pas entendre et des yeux pour ne point voir, et sans doute, lorsque la colère divine se déchaina sur Sodome et Gomorrhe, se trouva t-il dans les citées impies des pécheurs assez endurcies pour prétendre que la pluie de feu qui réduisait leurs villes en cendres n’était qu’une précipitation atmosphérique ou un météore. Mes frères, ne péchaient-ils pas contre eux-mêmes ? car, si la foudre est tombée sur Sodome par hasard, alors il n’est pas un ouvrage de l’homme, il n’est pas un produit de sa patience et de son industrie qui ne puisse, du jour au lendemain, être réduit à néant, sans rime ni raison, par des forces aveugles. Pourquoi bâtir ? Pourquoi planter ? Pourquoi fonder une famille ? Nous voici, vaincu et captifs, humiliés dans notre légitime orgueil national, souffrants dans notre corps, sans nouvelles des êtres qui nous sont chers. Eh quoi ? Tout cela serait sans but ? Sans autre origine que le jeu de forces mécaniques ? Si cela était vrai mes frères, je vous le dis : il faudrait nous abandonner au désespoir, car il n’est rien de plus désespérant et rien de plus injuste que de souffrir pour rien. Mais, mes frères, je demande à mon tour à ces esprits forts : “et pourquoi n’avions-nous pas assez de canons ? “ Ils répondront sans doute : “ C’est parce que nous n’en produisions pas assez. “ Et voilà que se dévoile tout à coup le visage de cette France pécheresse qui, depuis un quart de siècle, avait oublié ses devoirs et son Dieu. Pourquoi en effet, ne produisions-nous pas assez ? Parce que nous ne travaillions pas. Et d’où vient, mes frères, cette vague de paresse qui s’était abattue sur nous comme les sauterelles sur les champs de l’Egypte ? Parce que nous étions divisé par nos querelles intestines : les ouvriers, conduits par des agitateurs cyniques, en étaient venus à détester leurs patrons ; les patrons aveuglés par l’égoïsme, se souciaient peu de satisfaire aux revendications les plus légitimes ; les commerçants jalousaient les fonctionnaires, les fonctionnaires vivaient comme lui gui sur le chêne ; nos élus à la chambre, au lieu de discuter, dans la sérénité, de l’intérêt publique, se heurtaient, s’insultaient, en venaient parfois aux mains. Et pourquoi ces discordes mes très chers frères, pourquoi ces conflits d’intérêt, pourquoi ce relâchement dans les mœurs ? Parce qu’un matérialisme sordide s’était rependu dans le pays comme une épidémie. Et qu’est ce que le matérialisme sinon l’état de l’homme qui s’est détourné de Dieu : il pense qu’il est né de la terre et qu’il retournera à la terre, il n’a plus de souci que pour ses intérêts terrestres. Je répondrai donc à nos sceptiques : “ Vous avez raison, mes frères : nous avons perdu la guerre parce que nous n’avions pas assez de matériel. Mais vous n’avez qu’en partie raison parce que votre réponse est matérialiste et c’est parce que vous êtes matérialistes que vous avez été battus“.
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Il a suffit d'une bouchée de pain ! Une bouchée de pain, et cette cour sinistre où agonisait l'armée vaincue s'est changée en plage, en solarium, en kermesse. Deux types tout nus se bronzent au soleil, couchés sur une couverture; Brunet voudrait marteler de coups de pied leurs fesses dorées : foutez le feu à leurs villes, à leurs villages, emmenez-les en exil, ils s'acharneront partout à reconstruire leur petit bonheur têtu, leur bonheur de pauvres; allez donc travailler là-dessus.
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Il pensait : “Je vais mourir pour rien “, et il avait pitié de lui-même. Une seconde ses souvenirs bruissèrent comme un feuillage sous le vent. Tous ses souvenirs ; “J’aimais la vie. “ (…) Il y en avait marre. (…) “Finis les remords, les réserves, les restrictions : personnes n’est m’on juge, personne ne pense à moi, personne ne se souviendra de moi, personne ne peut décider pour moi. “ Il décida sans remords, en connaissance de cause. Il décida, et, à l’instant, son cœur scrupuleux et pitoyable dégringola de branche en branche ; plus de cœur : fini. “Je décide que la mort était le sens secret de ma vie, que j’ai vécu pour mourir ; je meurs pour témoigner qu’il est impossible de vivre ; mes yeux éteindront le monde et le fermeront pour toujours. “
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Mathieu était seul.

-Nom de Dieu, dit-il à voix haute, il ne sera pas dit que nous n'aurons pas tenu quinze minutes.
Il s'approcha du parapet et se mit à tirer debout. C'était une énorme revanche ; chaque coup de feu le vengeait d'un ancien scrupule. Un coup sur Lola que je n'ai pas osé voler, un coup sur Marcelle que j'aurais dû plaquer, un coup sur Odette que je n'ai pas voulu baiser. Celui-ci pour les livres que je n'ai pas osé écrire, celui-là pour les voyages que je me suis refusés, cet autre sur tous les types, en bloc, que j'avais envie de détester et que j'ai essayé de comprendre. Il tirait, les lois volaient en l'air, tu aimeras ton prochain comme toi-même, pan dans cette gueule de con, tu ne tueras point, pan sur le jeton d'en face. Il tirait sur l'homme, sur la Vertu, sur le Monde : la Liberté, c'est la Terreur ; le feu brûlait dans la mairie, brûlait dans sa tête : les balles sifflaient, libre comme l'air, le monde sautera, moi avec, il tira, il regarda sa montre : quatorze minutes trente secondes ; il n'avait plus rien à demander sauf un délai d'une demi-minute, juste le temps de tirer sur le bel officier si fier qui courait vers l'église ; il tira sur le bel officier, sur toute la Beauté de la Terre, sur la rue, sur les fleurs, sur les jardins, sur tout ce qu'il avait aimé. La Beauté fit un plongeon obscène et Mathieu tira encore. Il tira : il était pur, il était tout-puissant, il était libre.
Quinze minutes.
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Assis sur les marches du perron, des hommes fument paisiblement, ils ont l'air chez eux, ils se reposent après le labeur de la semaine; de temps en temps il y en a un qui hoche la tête et laisse tomber quelques mots; alors tout le monde se met à hocher la tête. Brunet les regarda avec colère, il pense : " Ça y est ! les voilà qui s'installent. " La cour, les miradors, le mur d'enceinte c'est à eux, ils sont assis sur le pas de leur porte, ils commentent avec une lente sagesse paysanne tous les incidents du village : "Qu'est-ce qu'on peut faire avec des gars comme ça ? Ils ont la passion de posséder; vous les foutez en taule et, au bout de trois jours, vous ne savez plus s'ils sont prisonniers ou propriétaires de la prison. "
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Ils riaient, ils refusaient les obligations de la grandeur au nom de la canaille, faut pas s’en faire pourvu qu’on ait la santé, le boire et le manger, j’emmerde la moitié du monde et je chie sur l’autre moitié , ils refusaient les consolations de la grandeur par austère lucidité, ils se refusaient même le droit de souffrir ; tragiques : même pas, historiques : même pas, nous sommes des cabotins, nous ne valons pas une larme ; prédestinés : même pas, le monde est un hasard. Ils riaient, ils se cognaient aux murs de l’Absurde et du Destin qui se les renvoyaient ; ils riaient pour se punir, pour se purifier, pour se venger : inhumains, trop humains, au-delà et en deçà du désespoir : des hommes.
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